> Interview de Bernard Hubien par Julien Nève.
L’Union des Fédérations des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique (UFAPEC) est une association d’éducation permanente qui vise à favoriser les relations entre la famille et l’école en les inscrivant dans la perspective d’un partenariat positif, élément indispensable à l’épanouissement de tous les enfants. Une partie de ce travail consiste à analyser et encourager la prise de conscience des enjeux de société autour de la politique et des institutions éducatives. À ce titre, son secrétaire général, Bernard Hubien, explicite la position de l’UFAPEC face à la judiciarisation de l’école qui doit rester un lieu sacré où tous les acteurs se sentent en sécurité dans un espace de liberté permettant à chacun d’y exercer son métier.
Pourriez-vous définir l’Union des Fédérations des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique (UFAPEC) en quelques mots¹?
Notre mission prioritaire est de favoriser les bonnes relations entre la famille et l’école, élément indispensable à la réussite scolaire, en faisant entendre le point de vue parental. L’UFAPEC accompagne également les associations locales de parents en cas de problème. Dans ce cas, nous assumons un rôle de conciliateur entre les différents acteurs d’une école : l’association de parents, la direction et le pouvoir organisateur. Nous mettons également en place un accompagnement individuel pour les parents qui nous contactent pour des situations problématiques particulières.
Avez-vous régulièrement des contacts avec des parents inquiets, confrontés à des questions d’assuétudes ?
Oui, c’est régulier. Cependant, on constate une évolution ces dernières années, les parents nous contactant davantage pour des problèmes d’alcool que de drogues. C’est quelque chose qui nous a surpris car l’alcool a toujours été là, même si on en parlait moins. Je pense que c’est l’alcoolisation qui commence plus tôt. En tout cas, c’est la perception des parents qui rapportent que lors de fêtes de jeunes de treize ou quatorze ans, il y a aujourd’hui de la bière, voire de l’alcool fort. Il y a également de plus en plus de questionnements concernant les écrans, internet, les jeux vidéo et les réseaux sociaux. Et, liés à cela, des cas de cyber-harcèlement.
L’UFAPEC a écrit une analyse concernant la présence de la police à l’école². Pourriez-vous nous en parler ?
Effectivement, dans le cadre de ses missions d’éducation permanente, l’UFAPEC produit des analyses au départ des préoccupations des parents et associations de parents dans lesquelles nous nous positionnons et communiquons notre point de vue aux parents. Dans ce cadre, nous avons questionné la place de la police à l’école car plusieurs cas d’interventions policières au sein d’établissements scolaires nous ont été rapportés. Notre position est claire : l’école ne doit pas être judiciarisée.
Cela vaut autant pour les jeunes eux-mêmes que pour les recours pour lesquels les parents sollicitent souvent notre aide pour trouver un avocat. La police n’a pas à venir arrêter les jeunes à l’école. Il faut essayer de conserver l’aspect sacré de l’école, c’est-à-dire un lieu où les acteurs qui interviennent se sentent en sécurité, dans un espace de liberté dans lequel chacun peut exercer son métier : les élèves étudier et apprendre, les enseignants transmettre et accompagner l’apprentissage, les éducateurs aider à la socialisation et à la découverte des processus démocratiques, etc. La présence de la police dans l’école vient briser cet aspect-là. Il est souvent défendu que les policiers exercent des missions de prévention et d’éducation, mais nous ne pensons pas qu’ils soient les acteurs les plus appropriés.
Vous rejoignez en cela les pouvoirs publics pour lesquels la police n’est pas habilitée à faire de la prévention et doit être l’acteur de dernier recours ?
C’est vrai, mais il y a une partie du discours policier qui dit l’inverse. Et il faut savoir que certaines écoles invitent la police, notamment pour faire de la prévention des assuétudes. Or, les policiers ne sont pas les acteurs les plus opportuns pour transmettre aux enfants un message éducatif et préventif. Outre la prévention, les cas où la police débarque dans l’école pour faire de la répression, cela peut-être extrême- ment traumatisant pour l’ensemble des élèves. Là, c’est un abus. L’école doit être un lieu où chacun se sent protégé. Dans le cas d’adolescents qui ont peut- être l’un ou l’autre problème d’assuétude, la police n’est pas l’interlocuteur à privilégier. La police est démocratiquement chargée de la protection du corps social dans l’exercice du pouvoir, notamment pour l’aspect répressif, qui lui est confié. Pour le jeune, le policier incarne celui qui a le pouvoir de réprimer.
Le mélange des genres serait donc la source de confusion ?
Effectivement, l’éducation et la prévention c’est une chose. La répression, si elle doit s’exercer, c’est autre chose. Lorsqu’un policier vient parler de son travail dans une classe, on se situe dans une découverte d’un métier.
Le rappel de la loi n’est pas une mauvaise chose, c’est éducatif. En effet, si on veut une école démocratique qui vive la démocratie, il est clair qu’il faut une énonciation des règles qui permet une réflexion discursive tout en offrant un espace de questionnement de ces mêmes règles pour en déployer le sens. On peut être d’accord ou pas avec une règle, mais la question du sens est cruciale pour les jeunes. Or, le policier, lui, n’est pas dans « le sens de », il est dans l’énonciation pure et simple de la règle.
Par rapport aux interventions de la police dans l’école, n’y a-t-il pas une certaine pression des parents qui ont besoin d’être rassurés ?
L’école doit être un espace non pas sécuritaire, mais un espace sécurisant. Bien sûr, on peut interroger l’école sur le sens des mesures mises en place, mais c’est au responsable de l’école que revient le soin d’apporter les réponses. Certains parents sont par- fois demandeurs d’un relai éducatif de la part de l’école parce qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils sont à bout. Ils attendent alors que l’école prenne un rôle plus disciplinaire et, si la police doit intervenir dans ce cadre, ils se disent que ”ça sera une bonne leçon”. Les parents se retrouvent alors dans une situation ambivalente car si vraiment la police intervient, ils seront les premiers à vouloir protéger leur enfant !
La question des rôles et responsabilités au sein de l’école reste ambigüe, l’enseignant ne se reconnaissant pas dans ce rôle éducatif…
Il me semble qu’on a oublié un temps où l’école était un espace de vie et un espace éducatif avec des responsabilités partagées. L’évolution des structures sociales et familiales a modifié le temps de l’école qui est aujourd’hui très important. Or, ce temps n’est pas pensé globalement comme un temps de vie et comme un temps éducatif. La conception du métier d’enseignant n’a pas évolué avec les modifications sociales et culturelles que nous connaissons. L’enseignant qui déclare qu’éduquer, ce n’est pas son job oublie que l’école est un espace de vie. En dehors de sa fonction, il a une responsabilité éducative en tant qu’adulte évoluant dans un espace de vie donné.
Pour vous, l’école a donc une responsabilité éducative claire…
Oui, pour moi, l’école est aussi un espace éducatif. On n’est pas là uniquement pour la transmission de savoirs et l’acquisition de compétences. Le problème c’est que la conception du métier n’a pas évolué. La représentation que l’on a de l’enseignant qui vient à l’école pour prester son temps de travail en classe, qui aura quelques réunions et qui, le reste du temps, travaille chez lui est une conception qui ne tient pas compte de la réalité. Par exemple, de jeunes enseignants qui n’ont pas accès à un logement suffisamment important pour pouvoir travailler chez eux, au calme. Parfois, j’ai l’impression que l’enseignant est un être foncièrement schizophrène. Parce que la plu- part des enseignants sont eux-mêmes parents, mais quand ils défendent leur point de vue professionnel, ils oublient complètement leur identité parentale. Et qu’on ne vienne pas dire que les enfants d’enseignants n’ont pas de problème avec leurs parents…
Aujourd’hui, nous sommes dans une conception de l’enseignement qui segmente de manière assez forte les métiers. Il y a les éducateurs, les enseignants, les directeurs, éventuellement un préfet, etc. Et chacun se renvoie la balle en disant : « ça, c’est sa responsabilité à lui », sans voir que l’on partage globalement une responsabilité éducative. Mais, nous sommes co-responsables avec les parents. Je suis souvent frappé par le fait qu’on alerte très tard les parents en cas de problèmes. Ce n’est que quand on commence un processus d’exclusion de l’enfant que les parents découvrent certaines choses. Or, c’est trop tard, ce n’est pas un dialogue co-éducatif. Cela peut sembler plus évident aux institutrices de maternelle ou de primaire qui conçoivent davantage leur métier comme une co-éducation avec les parents, mais plus on avance et moins cela semble évident. Et cela s’explique en partie par l’importance de cette segmentation qui a pour conséquence que l’enseignant restreint sa responsabilité à l’application de son pro- gramme. Pourtant, c’est un adulte au milieu d’un groupe de jeunes qui doit être cohérent entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. Les jeunes ne sont pas dupes…
Vous parliez de la nécessité de l’école d’évoluer, à quoi pensiez-vous ?
Nous pensons que l’école doit changer assez fondamentalement. Nous nous sommes d’ailleurs beaucoup investis dans le Pacte pour un Enseignement d’Excellence pour permettre ces changements nécessaires. Par exemple, nous sommes frappés par le fait que les médecins et spécialistes de la chronobiologie soutiennent qu’avec les adolescents, il ne faut pas commencer d’activités demandant une concentration intellectuelle importante avant 9 h 30. Donc, si on souhaite respecter le jeune dans ses apprentissages, il est préconisé de réserver une heure, entre 8 h 30 et 9 h 30, à des activités ne nécessitant pas de concentration importante mais qui vont mettre le corps et le cerveau en route. Aujourd’hui, nous entendons sans cesse des parents dire que leurs enfants ne supportent plus d’être « comme un sac sur une chaise pendant toute une journée ! ».
Autour de cette question de la temporalité, d’autres problèmes se posent : nous entendons souvent des directeurs et enseignants qui se plaignent de parents absents, qui ne viennent pas aux rendez-vous fixés… Mais quand un parent n’est pas là, cela peut s’expliquer par le fait qu’il ne peut tout simplement pas se libérer pour un rendez-vous à 14 h 30 parce que son patron ne lui donne pas congé ! Nous souhaiterions donc que le temps de l’école et le temps de la famille correspondent davantage pour faciliter un partenariat école-famille positif.
N’y a-t-il pas aussi des parents qui ont tout simplement peur ? Pour lesquels l’école est un lieu où ils vont être dévalorisés ?
C’est tout à fait exact. Et il ne faut pas oublier que le parent a lui-même connu un parcours scolaire dont il garde un souvenir plus ou moins bon. Certains d’entre eux ont ainsi vécu l’école comme un lieu d’oppression ou de stigmatisation, voire un lieu d’exclusion. Ils revivent alors, en tant que parents, ces souvenirs difficiles face à certaines attitudes d’enseignants ou de directeurs parfois très condescendantes.
À cela s’ajoute le fait que le monde des enseignants est un monde principalement issu de la classe moyenne, beaucoup ignorent ce que vivent les fa- milles de leurs élèves. Rien qu’à Bruxelles, près de la moitié des professeurs sont des navetteurs, ils ne savent pas ce qui se vit dans les quartiers où ils travaillent. Il est alors essentiel que, dans la formation initiale, l’enseignant soit formé à pouvoir décrypter les conditions sociologiques des jeunes qu’il a en face de lui et de leurs familles.
La valorisation de l’enfant ne pourrait-elle pas être une piste pour mettre les parents en confiance face à l’école ?
Nous rêvons d’une école du bic vert et non pas du bic rouge. Une école du bic vert qui mette en évidence ce qui va bien, ce qui fonctionne, les dynamiques positives, etc. Par exemple, nous venons d’avoir le cas d’un jeune qui vient de recevoir son bulletin dans lequel il est écrit en rouge « IRRÉCUPÉRABLE !!! ». Bien entendu, après cela, le jeune ne voulait plus aller à l’école car ce sont des adultes en qui le jeune est censé avoir confiance qui l’écrivent. Cela touche à l’estime de soi, à l’image de soi. Pour nous, c’est inacceptable ! Il faut expliquer aux enseignants que c’est un acte mortifère. Ils n’en ont pas conscience, ils pensent aider…
Alors comment rétablir une bonne relation de confiance entre l’école et les parents ?
Je me souviens par exemple d’un projet d’accompagnement mené auprès d’une école maternelle accueillant des familles précarisées et qui avait formulé la demande suivante : « comment faire enfin de nos parents de bons parents responsables de la scolarité de leurs enfants ? ». Cet accompagnement, mené par l’association Changement pour l’Égalité (CGé), avait débuté par une réflexion sur la représentation que les enseignants avaient des familles précarisées. Or, l’équipe éducative de cette école-là a vécu le projet comme un électrochoc et s’est rendu compte que le problème ne se situait pas au niveau des parents mais à leur niveau, dans leurs représentations du bon parent.
Un autre exemple est cette école où il y avait un problème de communication entre les enseignants et les parents : les enseignants communiquaient par des billets dans le journal de classe et se plaignaient que les parents ne venaient jamais. Or, sur l’ensemble des parents concernés, seule une maman maitrisait la lecture en français ! Ils ont alors instauré un système de pictogrammes colorés et cela fonctionne très bien. Ce type d’initiatives favorise énormément les bonnes relations.
D’où l’importance de rétablir une bonne communication parents-école…
Effectivement, il est essentiel de chercher, en fonction de son public parental, ce qui va fonctionner pour favoriser la communication. On sait bien que la note donnée au jeune en lui disant « Tu donnes ça à tes parents ! » reste au fond du sac, se chiffonne et se retrouvera trois semaines plus tard en lambeaux…
1. Propos recueillis par Julien Nève.
2. La police à l’école : est-ce sa place ? Ana- lyse UFAPEC avril 2012 par Floor accessible sur le site www.ufapec.be
« École me fait penser à Prison. C’est le fait de passer 8 heures par jour, 5 jours par semaine dans un endroit qui ne me plaît pas, avec des gens qui ne me plaisent pas forcément, et voir des trucs qui m’ennuient. Pour moi, le temps de l’école, c’est plutôt quelque chose de désagréable. »
« Je préfère les règles parce que sans cela, personnellement, je fais n’importe quoi. Donc je préfère qu’on me dise Fais ci, fais ça. C’est comme si ton patron te disait “répare-moi cet ordinateur”, et que tu lui répondais “Non je n’ai pas envie”. C’est ton métier, c’est ton patron, il est au-dessus de toi, donc forcément tu dois l’écouter, tu dois réparer cet ordinateur… »
« Franchement, avoir un prof qui te gueule dessus pendant des heures à la suite, non merci. Le plus désagréable en fait est de rester tout le temps assis sur une chaise et de ne pas pouvoir bouger ou faire quelque chose qui m’intéresse. »
Extraits de la capsule « L’école, un instrument de formatage ? »