Colère, inquiétudes, questionnements. Ce sont les réactions auxquelles le Délégué général aux droits de l’enfant est confronté depuis plusieurs années lorsqu’il est inter- pellé par des parents ou des professionnels suite à l’intervention de la police avec des chiens « renifleurs » dans une école. En effet, les questions que soulèvent ces pratiques sont multiples. Évoquons notamment toutes les interrogations autour de la relation éducative, du lien de confiance et d’autorité des élèves face à l’école.
Suite à une de ces interpellations, nous nous sommes rendus dans un établissement scolaire pratiquant ce type d’« opération » afin d’analyser ce qui peut inciter une direc- tion à faire appel à la police pour tenter d’enrayer un trafic ou de décourager la consommation. Force a été de constater que peu d’options avaient été envisagées pour traiter la question de la consommation de cannabis dans et aux abords de l’école. Pas de contact pris avec le Centre psycho-médico-social de l’école ni avec le Service de promotion de la santé. Pas de référence à des services ou associations extérieures qui auraient pu intervenir pour aborder ces questions avec les élèves.
Quels étaient alors les objectifs poursuivis? « Faire peur »? Débusquer des trafiquants? Pointer du doigt d’éventuels consommateurs bien qu’il ait déjà été démontré que la méthode des chiens « renifleurs » est loin d’être fiable puisqu’une personne qui aurait seulement été en contact avec un fumeur de cannabis peut être signalée par les chiens ?
Il nous a dès lors semblé indispensable de nous pencher sur cette question avec d’autres acteurs qui travaillent depuis longtemps sur la question de la prévention des assuétudes et sur la manière d’envisager celle-ci au sein des écoles. Le groupe CREPB (Concertation Réflexion École-Police Bruxelles) voyait alors le jour.
Les rencontres menées depuis plus de deux ans maintenant ont enrichi nos réflexions sur cette thématique et ont permis d’échanger les points de vue, les questions et les actions menées en lien avec le sujet des assuétudes.
Ce travail a également permis la création d’une brochure d’information et de sensi- bilisation intitulée « Drogue-police-école : droits, questions et pistes ». Elle s’adresse principalement aux acteurs du monde scolaire et tente de clarifier la confusion liée à la légitimité des interventions policières dans les écoles et à leurs conséquences. Cette brochure propose des pistes éducatives pour aborder et gérer les questions d’assuétudes à l’école et un répertoire de services-ressources. Elle a été diffusée dans toutes les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Parallèlement à la publication de cette brochure, un colloque participatif intitulé « Mes stress d’école » a été organisé en mai 2015. Le groupe CREPB a estimé important d’agir de manière proactive en questionnant, plus largement, les différentes logiques qui s’affrontent au sein du système scolaire (interdiction/répression vs confiance/prévention). En effet, la question des assuétudes est révélatrice des défis que l’école doit aujourd’hui relever. Comment sensibiliser l’école sur les réalités quotidiennes des publics qui la fréquentent ? Comment aider l’école à répondre aux contradictions qui la traversent ? Comment faire évoluer le système scolaire afin qu’il réponde concrètement à sa mission d’émancipation de tous les enfants, sans exception ?
Le groupe a accordé une réelle importance à la participation des jeunes dans ce débat puisque la parole leur a été donnée via la réalisation de plusieurs capsules vidéos projetées à l’occasion de la matinée d’échanges du 6 mai 2015. Les réflexions ont donc été construites autour de leurs propres questionnements et constats quant au rôle de la police, à celui de l’école ou encore leurs visions de la consommation de drogues et de la société dans laquelle elles s’inscrivent. Nous avons ainsi vu émerger avec beaucoup d’intérêts plusieurs réactions et questions de la part des intervenants présents. Parmi ceux-ci notamment : des acteurs scolaires, des psychopédagogues, des psychiatres, des chercheurs, des professionnels du secteur de la santé, des travailleurs sociaux et des intervenants de prévention, des policiers, des associations de parents et de jeunes, des défenseurs des droits fondamentaux et des droits des enfants.
Plusieurs constats ont émergé de nos échanges. Tout d’abord, l’appel à la police peut résulter d’une méconnaissance des acteurs qui peuvent intervenir pour aborder la question des consommations au sein d’une école et également des actions qui per- mettent d’ouvrir le dialogue avec les élèves. La police apparaît alors comme l’inter- locuteur le plus « efficace » en pareille situation. Nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour insister sur le fait que les interventions de la police dans l’école pour tenter de dénicher des consommateurs entachent inévitablement l’autorité et la construction d’un lien de confiance entre école et élèves. Beaucoup d’acteurs en lien avec le monde scolaire estiment également que la police n’a pas un rôle de prévention et d’éducation au sein de l’école et que son intervention peut être perçue comme un aveu d’échec pour aborder une question problématique avec des élèves. Ce qui peut creuser le fossé qui existe aujourd’hui dans de nombreux établissements scolaires entre enseignants et élèves. L’inefficacité d’une politique du « faire peur » a également été soulignée. De nombreux projets ont par contre démontré tout l’intérêt d’une démarche de prévention et de construction d’un dialogue avec les élèves afin d’évi- ter le recours à la police.
Il nous semble aujourd’hui essentiel de continuer la sensibilisation en cette matière et d’insister sur le fait que l’appel à la police dans l’école, pour toute question, doit être pensé en collaboration avec différents acteurs et réfléchi sous le prisme de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il paraît également évident que l’entame de discussions sur la question des consommations doit se faire bien avant l’apparition de situations problématiques. Le défi pour une institution comme la nôtre sera donc de rester atten- tifs à la manière dont sont reçues les recommandations proposées et de contribuer à ce qu’un dialogue constructif reste ouvert entre les acteurs scolaires, extrascolaires et de prévention.
Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant, initiateur du groupe CREPB