Développer la capacité à résoudre: une autre approche de la prévention

juillet 2016

> Interview de Dominique Paquot, directeur d’une école fondamentale. Propos recueillis par Julien Nève.

 

En tant que directeur d’une école fondamentale, Dominique Paquot n’est pas directement confronté aux problématiques de consommation de drogues et aux réponses policières. Il estime néanmoins de son ressort et de sa responsabilité de mettre en place une école d’apprentissage, centrée sur l’autonomie des enfants. Une école où on fait de la prévention, non pas parce qu’on y parle de drogues, mais parce que dès le plus jeune âge, on met les élèves en situation de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés, en acceptant leurs erreurs.

Quel est votre sentiment par rapport à cette recrudescence de descentes de police dans les écoles¹?

Je ne suis pas spécialement en faveur de cette manière d’agir. Mon fils en ayant vécu une, je crois pouvoir dire que ce type d’intervention est plus anxiogène et traumatisant qu’autre chose. Je pense qu’il vaut mieux miser sur la prévention en tant que démarche qui vise à « construire quelque chose chez l’enfant » qui amène ce dernier à être davantage dans la réflexion, la construction et la coopération. Il s’agit de donner une place à l’enfant, une vraie place, et la seule manière de le faire, c’est de le rendre acteur ! Peut-être que cela éviterait que l’on doive arriver avec un fourgon de police pour rentrer dans les écoles et essayer de trouver de la drogue. Je pense aussi qu’il serait plus intéressant — mais je ne suis pas de la police ni de l’enseignement secondaire — de travailler avec les dealers qui se trouvent autour des écoles.

Que manque-t-il, selon vous, pour pouvoir gérer la question des assuétudes en interne ?

La possibilité de miser sur l’implication des élèves et leur capacité à résoudre des problèmes. Je pense simplement que dans la société dans laquelle nous vivons, l’école fondamentale n’est pas une vraie école, c’est-à-dire une école dans laquelle l’enfant est considéré en tant que tel, avec toutes ses qualités et ses défauts. Je pense que l’école en général ne donne pas assez à ses élèves une place « d’enfant acteur de sa vie d’écolier ». Elle les cantonne à une position d’enfant évalué, trop systématiquement sur base de l’intelligence de la mémoire et de la restitution. L’école décide à leur place, elle ne donne pas la parole.

Si, dès le plus jeune âge, en le faisant participer notamment à des conseils de classe ou autres, on lui donne une place à la fois sociale et scolaire, par laquelle l’enfant va construire son savoir, faire en- tendre sa parole, se former pour être médiateur et pouvoir résoudre des problèmes, on le rend auto- nome. Si on ouvre des écoles à différentiation, des lieux qui accueillent des enfants en situation de handicap, ça pourrait aussi fonctionner ! Donner une vraie place, c’est de ça qu’il s’agit ! Je ne dis pas que c’est la panacée, mais c’est une approche de la prévention à laquelle il faudrait donner des moyens.

Votre personnel considère-t-il que cette démarche de prévention fait également partie de ses missions ?

D’autant plus dans notre école car nous sommes une école à pédagogie active, alternative et d’inclusion ! Donc il est clair que ce que nous mettons en place et que je considère comme de la prévention, fait partie de notre travail quotidien. Nous ne faisons pas de prévention spécifique sur les drogues, comme on pourrait éventuellement l’envisager en secondaire, mais nous travaillons en termes d’essais de construction avec l’enfant, dans l’idée d’éviter qu’il y ait un attrait excessif vers les drogues ou autres.

Je ne peux pas précisément évaluer l’impact de cette démarche mais je reste persuadé que la mise en place d’une pédagogie différente, reposant sur la réflexion et l’esprit critique, aura toujours plus d’impact qu’une pédagogie fondée sur le « faire pour eux » qui ne leur permet pas d’être créatifs et acteurs.

Donc oui, nous faisons de la prévention, non pas en allant dans les classes expliquer que « la drogue ce n’est pas bon », mais en construisant autrement pour le reste de leur scolarité et de leur vie d’adulte. Dans le secondaire, la question est de savoir si la prévention ne va pas amener les jeunes à se dire « Ah tiens ça existe j’essaierais bien ! ». Pour ma part, je pense qu’une prévention doit être non-moralisatrice et s’inscrire dans un échange et une écoute de l’autre. Nous faisons parfois de la prévention autour de l’utilisation d’Internet ou autre. Et donc effectivement nous essayons toujours que dans cette prévention-là, ce ne soit pas l’adulte qui dise « attention, ce n’est pas bien, ne le faites pas », mais qu’il y ait un vrai échange, une véritable construction avec les élèves.

La brochure que vous publiez et qui propose des alternatives à la police peut être utile, en ce qu’elle propose des ressources dont les enseignants ont besoin. Je suppose que toutes les brochures qui peuvent aider les enseignants à travailler la prévention dans les classes sont intéressantes, pour autant qu’elles puissent être utilisées dans l’objectif de rendre l’élève acteur, et non pas se réduire à lui dire simplement « c’est bon » ou « ce n’est pas bon ».

Rencontrez-vous souvent des enseignants du secondaire prompts à diligenter ce type d’interventions policières dans leurs écoles ? Si oui, comment réagissez-vous ?

Comme je le répète, je ne suis pas spécialement en contact avec beaucoup d’écoles secondaires. Je pense que certaines vont juger tout à fait positif qu’une armée entière vienne dans leur école dans le but d’essayer de déceler de la drogue, tandis que d’autres écoles, plus ouvertes, trouveront cela tout à fait anxiogène et déplacé.

Mes enfants suivent un enseignement à pédagogie active alternative où la répression n’a pas sa place. Si certains peuvent penser que la descente de police constitue une forme de protection, pour ma part, j’estime que l’image donnée aux jeunes n’a rien de glorifiant On peut d’ailleurs faire le parallèle avec les attentats : afin de rassurer la population et montrer que l’on se préoccupe de la sécurité des jeunes, on dispose des militaires et des policiers à l’entrée des écoles. Je ne suis vraiment pas certain que cela ait une quelconque utilité et j’ai d’ailleurs personnelle- ment refusé d’entrer dans ce jeu-là.


1. Propos recueillis par Julien Nève.

« Je pense qu’il faudrait chercher à comprendre pourquoi le jeune se drogue. Pas seulement comment il a commencé, mais pourquoi il continue, qu’est-ce qu’il cherche en faisant ça, qu’est-ce qui lui manque et pourquoi il a besoin de s’évader comme ça… »

« En fait, se demander comment gérer la question des drogues à l’école, c’est un peu une question impossible. »

Extraits de la capsule « Pourquoi le jeune se drogue-t-il ? »