Depuis 2023, une recherche-action coordonnée par Prospective Jeunesse est en cours afin de questionner les pratiques de prévention des assuétudes dans une approche de promotion de la santé en maisons médicales. Après une première année exploratoire qui a permis de tirer les premiers constats, des actions sont actuellement déployées au sein de trois maisons médicales partenaires.
Dans le cadre de l’évolution récente du secteur social-santé bruxellois, notamment avec la mise en place du Plan Social Santé Intégré, il apparaît essentiel aujourd’hui d’interroger l’articulation possible entre les différents acteurs de terrain, de confronter des cultures de travail sectorielles et de construire des communautés de pratiques entre acteurs. Plus spécifiquement, autour de la prévention des assuétudes, Prospective Jeunesse, en partenariat avec la Fédération des maisons médicales, souhaitait explorer la pertinence de renforcer les pratiques de prévention des assuétudes des professionnels des maisons médicales dans une approche de promotion de la santé.
Au départ de ce questionnement, un groupe de professionnels issus de sept maisons médicales bruxelloises composé d’infirmières, de médecins, d’un psychologue, d’une assistante sociale et d’une kinésithérapeute a été mis sur pied au début de l’année 2023. Lors d’une première phase exploratoire, ce groupe s’est réuni pour une série de sessions de travail et d’échanges autour de la construction d’une grammaire commune et de l’identification des enjeux à poursuivre au sein du secteur sur cette thématique.
Dans un deuxième temps, l’hypothèse suivante a été formulée et validée par ce groupe de travail : renforcer les principes de la promotion de la santé dans un plan global de prévention des assuétudes permettrait d’améliorer les pratiques en maisons médicales et d’éviter d’intervenir uniquement lorsque des usages problématiques sont déjà installés. Si le renforcement de la promotion de la santé dans les pratiques de prévention des assuétudes est un travail sur le long terme, dépassant le cadre de la recherche-action, trois maisons médicales bruxelloises ont accepté de mettre en place, tout au long de l’année 2024, une première action dans ce cadre, accompagnées par Prospective Jeunesse.
« Les professionnels s’appuient peu – voire pas du tout – sur l’offre d’activités collectives dans leur approche des problèmes d’assuétudes. »
L’un des premiers constats formulés au terme de la phase exploratoire de la recherche a mis en évidence le fait que, si toutes les maisons médicales participantes proposaient une série d’activités de santé communautaire telles que des ateliers d’apprentissage du vélo, des « cafés-papote », des ateliers de cuisine, des promenades nature… aucune de ces activités n’était identifiée d’emblée comme une action ayant potentiellement un effet préventif direct ou indirect en matière d’assuétudes. En outre, à travers les récits des situations vécues en maisons médicales, il est apparu au fil des sessions que les professionnels s’appuyaient peu – voire pas du tout – sur l’offre d’activités collectives dans leur approche des problèmes d’assuétudes. Or, si les maisons médicales offrent une série d’opportunités de soins globaux intégrés dans le collectif, elles ne s’en saisissent pas nécessairement dans le suivi des patients, à tout le moins dans le cadre des situations rapportées par les participants au groupe de travail.
Un autre constat découlant directement de l’état des lieux des actions de prévention des assuétudes, fut celui de la multiplicité des actions concentrées aux niveaux de la prévention spécifique et curative, sans pour autant que ces actions s’articulent les unes avec les autres dans une stratégie globale et cohérente de prévention des assuétudes.
Enfin, le processus exploratoire a permis de relever un sentiment ambivalent entre l’épuisement et l’enthousiasme ressentis globalement par les professionnels par rapport aux démarches de promotion de la santé. En outre, bien que certaines activités soient développées dans le cadre des objectifs de promotion de la santé au sein des maisons médicales, le concept reste flou lorsqu’il s’agit de s’éloigner des actions de santé communautaire pour, par exemple, prendre en considération les inégalités sociales de santé ou favoriser la participation des patients en amont dans les projets. Le manque de temps des équipes soignantes prises dans l’urgence des soins, l’articulation parfois complexe entre une approche biomédicale centrée sur le symptôme à traiter et la promotion de la santé qui défend une approche globale et la difficulté de mesurer l’impact direct des actions de promotion de la santé ont été maintes fois évoqués dans le cadre de la recherche.
« Un sentiment ambivalent entre l’épuisement et l’enthousiasme ressentis globalement par les professionnels par rapport aux démarches de promotion de la santé. »
Face à ces premiers constats, l’un des outils adaptés spécifiquement lors de cette phase exploratoire visait à faciliter la prise en considération de certains concepts-clés de la promotion de la santé dans les actions de prévention menées en maisons médicales. Le guide d’auto-évaluation, co-construit avec les participants tout au long de la première année, est divisé en trois chapitres : l’approche globale et positive de la santé, la participation des publics et la dynamique organisationnelle au sein des maisons médicales. Il s’agissait ici de mettre les répondants dans une posture réflexive sur les pratiques, tout en invitant à formuler des perspectives d’améliorations dans le cadre de leurs actions.
Croisée avec l’état des lieux des actions de prévention des assuétudes menées au sein des maisons médicales participantes, la démarche a permis à ces dernières de choisir une action de prévention des assuétudes dans une approche de promotion de la santé à mettre en œuvre.
Et ensuite ?
Les maisons médicales du Noyer (Schaerbeek), du Goéland (Uccle-Linkebeek) et ASASO (Saint-Gilles) ont accepté de se mettre en action dans le cadre de la recherche tout au long de l’année 2024. Accompagnée par Prospective Jeunesse, chaque maison médicale partenaire a constitué un sous-groupe de travail qui s’est réuni à plusieurs reprises pour déterminer une action de prévention des assuétudes en promotion de la santé au sein de leur structure dans un processus plus ou moins long selon les groupes.
En ont résulté trois actions très différentes. Pour l’une, il s’agissait d’organiser une formation proposée à l’équipe sur la façon d’entrer en dialogue autour des assuétudes avec les patients, avec un focus spécifique autour de la non-demande : que faire quand un patient présente les signes d’un usage problématique sans pour autant formuler une demande d’accompagnement spécifique aux soignants ? Dans la seconde, l’action vise à mettre sur pied une campagne de prévention alcool avec un double objectif : redonner du sens aux campagnes mensuelles de prévention alcool et soutenir une réflexion et une vision communes au sein de l’équipe. Enfin, la troisième a choisi d’organiser une formation pour l’équipe autour des usages problématiques des écrans afin de mener dans les prochains mois une campagne préventive sur ce thème.
« Toutes les actions choisies par les maisons médicales partenaires se situent à un niveau de prévention spécifique. »
Si la seconde phase de la recherche-action n’est pas encore finalisée, empêchant à ce stade de tirer des conclusions validées par l’ensemble des participants, nous pouvons toutefois pointer certaines observations permettant de renforcer les constats de la phase exploratoire.
Parmi ceux-ci, le choix de la non-décentralisation des actions de prévention est parlant. En effet, toutes les actions choisies par les maisons médicales partenaires se situent à un niveau de prévention spécifique, c’est-à-dire des mesures pour lesquelles tant l’analyse que la réponse apportée sont centrées sur le problème. Elles visent à prévenir ou limiter le problème identifié, elles ont donc une orientation dite négative dans le sens où elles visent à empêcher, limiter, lutter contre… Pourtant, d’autres types d’actions ont été évoquées. Il a par exemple été envisagé de mettre sur pied un projet de patients-partenaires où le soignant est centré sur les objectifs de vie du patient et le vécu de celui-ci par rapport à son assuétude, de créer des alternatives variées aux comportements problématiques, d’axer sur les motivations aux changements tout en incluant le contexte de vie…
Un autre point concerne l’absence des bénéficiaires comme partie prenante de l’action. En effet, aucune maison médicale n’a fait le choix d’impliquer les patients dès le départ de l’action. Or, ce choix nous semble constituer un réel frein au développement du « pouvoir d’agir » (ou empowerment) des patients dans les actions de prévention des assuétudes, pensées pour eux par d’autres. La réponse à ces questions est systématiquement formulée de la sorte : comment faire de la prévention chez nos patients si nous ne sommes pas au clair entre nous, si nous ne sommes pas outillés pour répondre à leurs questions ? Empêchant alors toute réflexion au départ des publics finaux concernés par les actions menées, les soignants gardent la main sur une forme de « savoir », poursuivant de la sorte un modèle bien ancré dans notre système de santé malgré une réelle volonté de changer de modèle.
Il reste une étape cruciale dans le déroulement de cette recherche-action, à savoir la phase de mise en commun entre tous les partenaires des observations et conclusions. Les points repris ci-dessus y seront discutés, d’autres seront validés ou modifiés. Un rapport détaillé, actuellement en cours d’élaboration, reprendra l’ensemble des conclusions de cette recherche-action. À suivre donc…
1. Voir le Plan Social Santé Intégré 2022 : https:// www.brusselstakescare.be.
2. Selon le modèle pyramide développé par J. Declerck, De preventiepiramide. Preventie van probleemgedrag in het onderwijs, Acco, 2011.
3. Prospective Jeunesse co-organise une journée d’échanges autour de la question « Social-Santé et Promotion de la Santé : comment concilier les pratiques? » le 26 novembre au Parlement bruxellois.
4. Adapté du guide d’autoévaluation (Comment améliorer la qualité de vos actions en promotion
de la santé ?) coordonné par l’Agence nationale de santé publique en France, septembre 2009, https:// irepsna.org.
5. Selon J. Declerck, op. cit.
6. Voir l’article de Damien Favresse dans le présent numéro.