La promo santé en maisons médicales : freins et leviers

avril 2024

Dès leur création, les maisons médicales inscrivent leurs pratiques de soins de première ligne dans la perspective, plus large, de la promotion de la santé. Quels facteurs favorisent ou freinent aujourd’hui le développement de la promotion de la santé dans ces structures ? Le point de vue de Marie-Pascale Minet, infirmière, éducatrice en diabétologie à la maison médicale du Maelbeek (Etterbeek), et permanente politique à la Fédération des maisons médicales, où elle a la charge des dossiers promotion de la santé et santé communautaire.

Propos recueillis par Marinette Mormont.

La promo santé en maisons médicales : freins et leviers

La promo santé en maisons médicales : freins et leviers

« Les médecins de la maison médicale du Maelbeek allaient jouer au foot avec les patients. »

Prospective Jeunesse: Comment sont nées les pratiques de promotion de la santé et de santé communautaire dans les maisons médicales?

Marie-Pascale Minet: Mettre en place la promotion de la santé et la santé communautaire, être à l’écoute des besoins des patients-citoyens, c’était l’ADN des premières maisons médicales dans les quartiers pauvres à Bruxelles et en Wallonie. Dans les maisons médicales pionnières, de Liège à Tournai en passant par Bruxelles, on était des militants, on luttait contre un système libéral et inégalitaire. Ces maisons médicales sont apparues conjointement aux mouvements féministes à l’entame des années ’70, dans un contexte de lutte sociale. Les médecins de la maison médicale du Maelbeek allaient jouer au foot avec les patients, ils allaient ensemble récolter des pommes de terre «au champ», à la périphérie bruxelloise avec les familles d’une association de lutte contre la grande précarité. Soutenus par ces deux associations de quartier, des patients-citoyens qui vivaient dans des logements exigus ont interpellé les politiques locaux pour qu’on aménage des espaces de jeux pour leurs enfants. Les papas et les employés communaux ont alors transformé un terrain vague en plaine de jeux… Ces projets inédits ont donné aux personnes vivant dans la précarité une force incroyable: celle de pouvoir influencer leur environnement. Elles se sont senties écoutées et valorisées. La santé communautaire était déjà là, dans les maisons médicales, avant même qu’on la nomme et qu’on y fasse référence.

 

Comment définir la promotion de la santé en maison médicale?

En promotion de la santé, on part des gens et de leurs besoins, explicites ou implicites. En santé communautaire, on va travailler le renforcement collectif pour qu’il agisse comme levier pour un mieux-être et une prise de pouvoir sur la santé individuelle et collective. Les populations elles-mêmes vont chercher les solutions à leurs problèmes avec l’appui des professionnels et des institutions. C’est la déclinaison collective de la promotion de la santé.

Qu’on soit médecin, kiné, accueillant, psy ou infirmier, parallèlement à l’approche biomédicale, il s’agit de prendre en compte tous les éléments (parcours et contexte de vie, environnement…) qui influencent la santé et, par notre manière de travailler, d’inviter la personne à prendre conscience des ressources qu’elle a en elle et autour d’elle. C’est donc aussi une question de posture : ne pas écraser les gens par son savoir et avoir en permanence conscience qu’on ne répond, avec nos compétences d’intervenant de la santé, qu’à une partie du problème, que des ressources sont à mobiliser ailleurs. C’est recevoir la personne dans sa globalité et sa complexité.

On peut aussi faire le lien avec la notion de santé positive et considérer la santé comme une ressource de la vie, un bien commun à préserver. Évidemment, aux yeux des soignants, les maladies émergent en premier: ils ne peuvent s’empêcher d’entrevoir les dégâts que provoquent l’obésité, l’hypertension, les problèmes cardio-vasculaires, de diabète, etc. et souhaitent y apporter une réponse à la hauteur de leurs compétences. Ces problèmes sont aussi la raison principale de la consultationpour les gens, en apparence du moins.

Sans y prendre garde, cela peut aboutir à des réponses socio-sanitaires très normées. Sans faire fi du savoir reconnu par la communauté scientifique, il est indispensable de prendre en compte les déterminants sociaux non médicaux de la santé. Mais cela demande du tempsde questionner comment la personne vit ses journées, comment elle fait quand « ça ne va pas », en quoi son contexte de vie constitue une difficulté pour faire face au problème de santé.

« On est peu à peu revenu dans des silos qu’on avait brisés. »

Le modèle des maisons médicales favorise-t-il les pratiques de promotion de la santé?

Le modèle des maisons médicales (pratique de groupe, interdisciplinarité, autogestion, accessibilité, solidarité…) est en soi un magnifique terreau pour développer cette approche de promotion de la santé. Et il existe autant de façons de la développer que de maisons médicales: chacune d’entre elles a sa manière de se gérer, de se financer et de développer ses projets en fonction de son histoire et du quartier dans lequel elle est implantée. Mais aujourd’hui, ce modèle, conçu dans les années septante et quatre-vingts, est mis à mal: il est bousculé par l’évolution de la société et par une conception du bien-être davantage tournée vers l’individu.

Quels sont donc les freins au développement de la promotion de la santé

Le contexte actuel (une succession de crises dont celle toute récente du Covid) fait que même des médecins hyper motivés sont pris dans une forme d’urgence médicale permanente. On pare au plus pressé. Sans parler de l’urgence sociale. On observe une imbrication des questions social-santé, en ce compris des enjeux de santé mentale. Avec la pénurie de médecins dans certains quartiers, cela devient compliqué. Si on brûle les étapes, si on veut que ça aille vite… ça ne marche pas. La prise en compte des déterminants sociaux et des contextes de vie, cela s’inscrit dans le temps long.

Il y a aussi une forme de fragilité de nos structures aujourd’hui, les travailleurs restent moins longtemps, le turnover est important: les liens de confiance avec les partenaires et les populations sont plus fragiles. Il faut alors recommencer les choses à chaque fois…

N’assiste-t-on pas aussi à une remédicalisation des questions liées à la santé?

Créer une maison médicale dans les années 80’, c’était adopter certaines postures contestataires (la lutte pour le droit à l’IVG, contre la grande précarité et l’illettrisme…), c’était faire le choix de se rapprocher des habitants dans les quartiers populaires: adopter le tutoiement, laisser les gens s’exprimer sur ce qu’ils ressentent, les écouter et tenter de construire avec eux des réponses aux besoins. Cela a constitué la base de la prise en charge médicale, en tout cas au Maelbeek, parfois au détriment des principes de l’« evidence-based medecine ». C’était une époque où l’approche sociale prédominait, parce qu’elle avait manqué jusque-là.

Grâce aux progrès de la médecine, on arrive aujourd’hui à prévenir des maladies et des complications qu’on n’arrivait pas à gérer il y a 50 ans. Les jeunes médecins revendiquent cette approche scientifique qui est bien sûr pertinente et nécessaire. De plus, pour l’immense majorité des personnes, la porte d’entrée de la maison médicale est la consultation, c’est-à-dire, la maladie ou le symptôme. Le médecin est le premier interlocuteur: il apporte une réponse médicale à un problème médical. À cette approche centrée sur l’observation clinique, il faudrait pouvoir associer celle qui prend en compte les ressources, le contexte de vie et l’environnement du patient.

Quelle est la place de la promotion de la santé dans les équipes ?

L’interdisciplinarité est un atout fondamental mais ne suffit pas. Dans certaines maisons médicales où il y a énormément de patients, cela devient difficile d’organiser des réunions de concertation pluridisciplinaires. Cela se fait plutôt en petit comité: entre médecin-infi, médecin-kiné-infi ou parfois en présence de l’assistante sociale. Mais ce qui manque encore davantage, ce sont les ponts avec les travailleurs de promotion de la santé. Ces deux approches doivent pouvoir converger à un moment donné. Des espaces de mise en commun entre curatif et non curatif sont plus que jamais à encourager dans nos équipes de première ligne de soin.
Les autorités politiques qui financent ces démarches doivent aussi être conscientes qu’il faut laisser le temps aux équipes de construire les liens et la confiance pour que cette philosophie imprègne les projets. Il faut pouvoir créer des moments d’échanges sur les problématiques qui se déversent largement dans les consultations et les visites à domicile, et les utiliser comme constats et révélateurs de besoins pour mener à bien les démarches en santé communautaire.  Pour faire émerger cette culture qui reste innovante, il faut des réunions et des formations, cela prend du temps. Et on est tous à courir après le temps.

La promotion de la santé est pourtant reconnue comme une fonction à part entière des maisons médicales…

Bien avant la reconnaissance officielle de la promotion de la santé, on essayait de faire valoir les bienfaits d’une médecine ouverte sur le quartier, proche des gens. Cela a fait l’objet de longues négociations politiques. Puis, petit à petit, ça s’est institutionnalisé. Des formations de spécialisation en santé communautaire ont vu le jour. On est peu à peu revenu dans des silos qu’on avait brisés.

Alors que la promotion de la santé est de plus en plus souvent évoquée dans les programmes politiques, aujourd’hui encore, elle n’occupe qu’une place marginale dans les cursus de formation de base d’un médecin généraliste ou d’une infirmière en soins généraux.
La santé devrait être abordée de manière globale et positive dans toutes les formations du social et de la santé, dès les premières années. Il faudrait aussi pouvoir davantage s’allier avec d’autres sur un territoire, travailler en partenariat et en intersectorialité. Ces tendances font leur chemin, heureusement.