Quand mon fils a été envoyé en IPPJ

décembre 2019

INTERVIEW DE SOPHIE (NOM D’EMPRUNT), MAMAN.

Amaury avait 15 ans, presque 16, quand il est condamné à 5 jours en IPPJ fermée pour détention de cannabis et deal. Sa maman nous raconte comment elle a vécu ces quelques jours.

J’ai appris l’arrestation de mon fils quand la Police a perquisitionné sa chambre dans l’urgence et sans explications. Je savais qu’il fumait, je voyais ça comme des conneries d’ado. Je n’avais aucun soupçon sur le deal, je minimisais probablement. La perquisition m’a fait un choc, et le manque d’informations était très stressant. Amaury va-t-il bien ? Que s’est-il passé ? Je voulais le contacter, on m’a dit que ce n’était pas possible. Mon compagnon s’est rendu au commissariat, sans succès non plus. J’ai appelé le commissariat quelques heures plus tard, on m’a encore refusé tout contact, mais on m’a prévenue qu’il passerait la nuit au poste et qu’il serait déféré le lendemain au parquet. C’est à ce moment que j’ai compris la gravité des faits. C’est uniquement lors d’un coup de fil supplémentaire, vers 2h du matin, que j’ai appris que j’étais également attendue au parquet pour 10h.

À 10h, j’arrive au parquet et on m’annonce que le rendez-vous est à 14h. Voilà 24h sans aucune information, aucune médiation ni suivi parental. C’est mon fils. Il a 15 ans. Mais pour la Police, tout passe après l’enquête et je me retrouve seule face aux démarches. On m’explique que l’absence de contact sert à protéger mon fils. Un mineur délinquant est potentiellement dans un milieu parental néfaste, j’ai peut-être de mauvaises intentions. Je me sens comme un animal pris au piège. Je me sens jugée coupable d’emblée. Je ressens beaucoup de solitude et d’inquiétude : comment me préparer ? Comment aider Amaury de là où je suis ?

« La Justice se substitue totalement à moi, et je n’ai d’autre choix que d’accepter.« 

En raison de la localisation des faits, notre affaire est traitée dans une juridiction néerlandophone alors que nous sommes francophones. Heureusement, l’avocate, commise d’office comme le veut la loi pour les mineurs, maîtrise le français. Elle m’apprend que mon fils est inculpé de deal : il a été arrêté en possession d’une grosse quantité de cannabis sur lui et sa consommation est vraisemblablement fort élevée. La juge, néerlandophone également, nous reçoit. Quand Amaury arrive, la pression retombe, je craque et je me mets à pleurer. Il est là, il va bien. La juge est agacée par mon attitude. Elle n’exprime pas d’empathie vis-à-vis de notre situation. Son discours est sévère, jugeant. La nonchalance d’Amaury l’énerve considérablement. Je perçois son attitude comme celle d’un ado, stupide mais pas dangereuse. Évidemment, c’est subjectif. Aucun argument, aucune contextualisation ne sont pris en compte : la perte récente de son père, la sévérité de la peine pour un premier fait. Notre situation est balayée avec froideur. Je ressens beaucoup d’impuissance. C’est une expérience violente, comme si on me retirait mon enfant, ma capacité parentale. Je ne peux plus l’aider. La Justice se substitue totalement à moi, et je n’ai d’autre choix que d’accepter.

La juge réclame qu’Amaury dénonce ses complices. Ce sont ses amis, et, on peut trouver ça ridicule, mais il ne veut pas les trahir. C’est un ado, braqué sur ses valeurs. Face à son refus de coopérer, la juge décide d’un enfermement de cinq jours en IPPJ.

Il est emmené de suite. Nous n’avons pas pu parler, je n’ai pas pu le prendre dans mes bras.

Nous restons fort isolés pendant ces quelques jours. Il peut nous téléphoner à des heures strictes. Quand je lui rends visite, je suis choquée par cette prison pour jeunes. On vide mon sac, je dois m’asseoir à une table dans une grande salle, tous les jeunes arrivent en même temps, habillés de manière identique. Mais le personnel est gentil, chaleureux, attentif. Face à ma détresse, un travailleur me dit qu’il est là si j’ai besoin de parler. Mon fils, lui, a mis de la distance par rapport à ce qu’il vivait. Il est enfermé dans une IPPJ néerlandophone. Il ne comprend pas les autres gamins, ça n’a pas de sens. En revanche, ce passage lui permet de s’isoler, de réfléchir, de prendre au sérieux la situation.

Pendant ce temps, je trouve un autre avocat. Il m’apprend que le recours à l’IPPJ pour une première infraction est une peine sévère, rare en protection de la jeunesse.

Après les cinq jours en IPPJ, une audience a lieu. Amaury a pour conditions de liberté, de dénoncer ses camarades, sans quoi il encourt 3 mois en IPPJ. Les policiers tiennent à démanteler ce réseau de vente. La juge, francophone cette fois, lui a parlé de sa responsabilité de vendre une substance toxique à d’autres enfants, parfois plus jeunes que lui. Alors que le discours sur l’interdit de la juge néerlandophone ne le touchait pas, il a été sensible aux remontrances insistant sur son rôle vis-à-vis des « petits ». Amaury a été influençable, attiré par l’argent facile, sans perception du danger, mais il comprend les arguments de la juge. La juge francophone était dure mais sa ligne de conduite avait du sens. Ne pas faire de conneries, c’est important aussi. Nous l’avons laissé choisir de dénoncer ou non. C’était lui qui devrait vivre avec, et tenter de le forcer risquait de le braquer. Il l’a fait, en partie, en ressentant une énorme culpabilité. L’arrestation de ses amis l’a démoli, l’a rendu haineux envers la Police.

Aujourd’hui, il ne deale plus. Il a réfléchi à ce qu’il se serait passé s’il avait eu 18 ans au moment des faits. Il a changé d’école. On a parlé, on a mis des mots. Une personne de l’Aide à la jeunesse vient à la maison et fait un travail formidable. Elle est pleine d’humanité, elle nous entoure, elle s’implique. J’ai confiance en elle. Amaury va dans un centre pour jeunes consommateurs, ça débloque des choses, on veut faire bien.

Aujourd’hui, je pense aux personnes qui n’ont pas mes ressources face à un tel engrenage. Je me suis sentie comme un foulard pris dans un rouage. Le rouage tourne, le foulard est de plus en plus serré. Pourtant, je travaille, j’ai un salaire, un réseau, je connais des avocats qui m’ont conseillée, j’ai pu être présente pour lui. D’autres n’ont pas cette chance.

La barrière de la langue et de la culture a aussi été aberrante.

Une IPPJ ça abîme, ça vous sort du cadre habituel. Je suis sidérée que la justice ait risqué son décrochage scolaire en le retirant de l’école.

Heureusement, la fin de notre histoire me réconcilie avec la première partie, traumatisante, dont je garde beaucoup de rancœur. Ce que j’aurais voulu, dans cet autre monde de la justice qui s’impose soudainement, c’est qu’on m’accompagne.

Protection de la jeunesse : la place inconfortable de la famille

« Les professionnels des IPPJ travaillent dans un système qui les amène à assumer des positions contradictoires face aux familles. D’une part, dans la philosophie protectionnelle, l’acte délinquant est perçu comme étant le fruit d’une mauvaise éducation familiale. L’image que l’on renvoie de la famille ne peut être que défaillante. D’autre part, depuis le Décret de l’aide à la jeunesse de 1991 auquel sont également soumis les intervenants des IPPJ, le travail avec les familles est un axe prioritaire. Privilégier le maintien du lien familial est le maître-mot de ce décret. Mais comment fait-on pour privilégier la collaboration avec la famille alors qu’on estime dans le même temps qu’elle est responsable des difficultés rencontrées par le jeune ? »

Extrait de CARDON Marie, « Des paroles de jeunes placés en I.P.P.J. aux questionnements des professionnels », recherche financée par le Fonds Houtman, ULB, 2013, p. 55.


IPPJ : Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse. Quand un mineur commet un fait qualifié d’infraction, le juge de la Jeunesse peut décider de le confier pour une période déterminée à l’un de ces établissements, en régime ouvert ou fermé.