Le protoxyde d’azote (N2O ou oxyde nitreux) est un gaz chimique découvert à la fin de 18ème siècle par le chimiste Joseph Priestley. Ce produit contribua au progrès de la médecine et au développement de l’anesthésie au 19ème siècle, facilitant grandement les extractions dentaires et les amputations. Actuellement, il est encore utilisé isolément dans le cas de procédures médicales brèves, ou en combinaison à d’autres agents anesthésiants dans le cas de procédures plus lourdes. Il est aussi parfois utilisé en médecine dentaire chez les patients anxieux ou peu coopératifs, et est utilisé comme alternative à l’anesthésie péridurale lors d’accouchements, principalement au Royaume-Uni.
Ce produit est également utilisé comme additif dans l’industrie alimentaire, principalement en tant qu’émulsionnant et gaz propulseur dans les bombonnes et les siphons à crème chantilly. Il est également utilisé comme gaz dépoussiérant dans certaines bombes aérosols pour ordinateur. Enfin, il est aussi plus occasionnellement utilisé comme comburant par des amateurs de tuning automobile.
Ce produit fait aussi l’objet d’un usage détourné en raison de ses propriétés euphorisantes et des rires incontrôlables qu’il tend à déclencher à certaines doses, d’où son appellation de gaz hilarant. Dans cet usage, le produit est généralement expulsé dans un ballon de baudruche avant d’être aspiré. L’euphorie survient très rapidement et ne dure qu’une ou deux minutes. Elle s’accompagne de distorsions visuelles et auditives ainsi que d’une sensation de chaleur au niveau de la tête. Le corps semble lourd et les muscles sont temporairement affaiblis. A forte dose, il engendre un effet dissociatif (indifférence par rapport aux stimulations corporelles) et peut provoquer des vertiges, voire des nausées et des vomissements.
La consommation de protoxyde d’azote peut entraîner, comme toute substance psychoactive, des effets indésirables et des dommages. Ils proviennent non seulement du produit (quantité consommée, modalité et fréquence de consommation…), mais aussi des caractéristiques individuelles de l’usager (état de santé, vulnérabilités psychosociales, etc.). Enfin, le contexte de consommation est également un élément clé et souvent sous-estimé des conséquences de l’usage de substances psychoactives (Dalgarno & Shewan, 2005 (1)).
Différentes publications attestent de l’innocuité relative de ce produit lors d’un usage médical qui respecte certaines contre-indications (voir Clarck & Brunick, 2015 (2)). Les complications liées à l’usage récréatif sont rares, y compris dans les pays où ce produit bénéficie d’une forte popularité (van Amsterdam, Nabben & van den Brink, 2015 (3)). Néanmoins, des accidents, des intoxications sérieuses ainsi que des décès peuvent survenir en cas de chute, d’œdème pulmonaire, d’hypoxie (4) ou d’arrêt cardiaque. A ce jour, aucun décès lié à l’usage de ce produit ne semble avoir été recensé sur le territoire belge (5). En revanche, quelques décès sont survenus ces dernières années dans nos pays voisins (France et Pays-Bas) et plusieurs dizaines au Royaume-Uni, où le produit a bénéficié d’une grande popularité.
De manière générale, les dommages induits par la consommation de protoxyde d’azote peuvent être directs ou indirects, immédiats ou différés, transitoires ou permanents. Dans le tableau 1, nous présentons de manière synthétique les principaux risques liés à l’usage récréatif de protoxyde d’azote. Leur probabilité de survenue dépend des quantités consommées (et de l’éventuelle consommation combinée d’autres produits), du contexte de consommation (mode de consommation, position, etc.) et des caractéristiques du consommateur (corpulence, régularité de l’usage, pathologie préexistante, etc.). Ces risques peuvent être considérablement réduits moyennant certaines précautions, d’où l’importance de mettre en place des actions de prévention ciblées, en particulier auprès des groupes à risque (principalement les adolescents et les jeunes).
Le N2O et les autres inhalants volatiles sont généralement considérés comme peu addictifs en raison des effets aversifs qu’ils induisent en cas d’usage excessif (maux de tête, nausées, vomissements, diarrhées…). Le risque de dépendance est donc très faible. Néanmoins, en cas d’usage répété, il y a un risque de neuropathie lié à une carence en vitamine B12, provoquant des troubles sensoriels, moteurs et cognitifs (Butzkueven & King, 2000 (6) ; Lan et al., 2019 (7) ; Waters, Kang, Mazziotta, & DeGiorgio, 2005 (8)). Bien que le tableau clinique s’améliore généralement après arrêt de la consommation et traitement à la vitamine B12, certaines séquelles peuvent perdurer en cas d’usage abusif prolongé, en particulier des déficits sensoriels (Lan et al., 2019).
Risques liés au mode d’administration
Engelures de la cavité buccale et des voies aérodigestives supérieures ou embolie pulmonaire si le gaz est consommé sans être préalablement réchauffé à l’air ambiant.
Hypoxie lors d’une administration prolongée ou lors d’une consommation dans un endroit confiné. L’hypoxie peut induire un évanouissement voire le décès si le déficit en oxygène est prolongé.
Risques liés aux effets physiologiques
Pathologies graves (œdème pulmonaire, neuropathie, etc.) en cas d’utilisation malgré les contre-indications suivantes : carence en vitamine B12, hypertension artérielle pulmonaire, hypertension intracrânienne, pneumothorax, occlusion intestinale, obstruction de l’oreille moyenne, accident de décompression, embolie gazeuse, affection des voies respiratoires.
Risques liés aux effets psychoactifs
Chute, accident ou mauvaise manœuvre liés à un vertige, une perte importante du tonus musculaire, voire une perte de conscience. Les capacités de conduite automobile sont impactées pendant une trentaine de minutes après l’exposition au produit.
Prise de décision dommageable en raison de l’altération de l’état de conscience.
Ne pas prendre immédiatement conscience de la gravité d’une lésion traumatique causée par une chute sous l’effet du produit (en raison de ses effets analgésiques).
Inhalation du bol alimentaire (pouvant entraîner une asphyxie) en cas de vomissements en état de perte de conscience.
Risques en cas de confusion sur le produit
Le N2O entre parfois dans la composition des dépoussiérants d’ordinateur, au même titre que d’autre gaz davantage nocifs. Plusieurs décès recensés sont liés à une confusion sur le produit.
Risques liés à une exposition répétée
Anémie mégaloblastique par carence en vitamine B12, susceptible d’induire une neuropathie (sclérose médullaire). Ce risque est plus élevé chez les personnes qui pratiquent le véganisme.
Diminution (réversible) de la fertilité chez les femmes et risque d’avortement lors du 1er trimestre de grossesse.
Risques liés à l’usage combiné d’autres dépresseurs du système nerveux central (alcool, benzodiazépines, opioïdes, GHB…)
Perte de conscience, dépression respiratoire, inhalation des vomissements, coma, mort.
L’usage récréatif du protoxyde d’azote a précédé de plusieurs décennies son usage médical. On retrouve ainsi de nombreuses traces historiques attestant de son utilisation récréative outre-manche durant l’époque Victorienne. Ce produit était alors particulièrement apprécié dans les milieux aristocrates, où des séances collectives (Laughing gas parties) étaient organisées régulièrement.
Plus récemment, l’usage détourné de ce produit s’est également popularisé dans les milieux festifs, à partir des années 70 en Amérique du Nord et à la fin des années 90 en France. En Belgique, les premiers signalements ne peuvent être datés précisément, mais on trouve déjà mention d’un usage détourné en milieu festif au début des années 2000, mais dans des proportions très anecdotiques. L’usage de ce produit s’est en revanche davantage répandu dans les milieux festifs au Royaume-Uni ainsi qu’aux Pays-Bas.
Depuis environ deux ans, divers signalements suggèrent que la consommation de ce produit est en augmentation en Belgique ainsi que dans d’autres pays voisins, et qu’elle n’est plus confinée aux seuls milieux festifs. En effet, de nombreuses cartouches métalliques sont retrouvées régulièrement dans l’espace public de certaines communes bruxelloises et wallonnes. Selon toute vraisemblance, ce produit est désormais aussi consommé en groupe par des adolescents.
Selon l’enquête HBSC 2018 (9) (voir Tableau 2), environ 3% des élèves wallons et bruxellois scolarisés dans l’enseignement secondaire supérieur (2ème et 3ème degrés) ont déjà consommé du protoxyde d’azote au moins une fois dans leur vie. Ce niveau de prévalence reste particulièrement bas si on le compare à leur consommation d’alcool et de cannabis (environ 56% et 27% respectivement pour l’ensemble des deux régions francophones), et il avoisine les niveaux de prévalence des autres drogues illégales (ecstasy, cocaïne, LSD…).
La majorité des adolescents qui ont consommé du protoxyde d’azote ne l’ont fait qu’une ou deux fois, ce qui suggère que l’usage de ce produit est plutôt occasionnel et opportuniste. Mais une poignée de jeunes semble en avoir consommé plus régulièrement.
Tableau 2: Fréquence d’usage de protoxyde d’azote (exprimée en nombre de jours) au cours de la vie chez les élèves de l’enseignement secondaire supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, par région, 2018 :
Source : Comportements, santé et bien-être des élèves – Enquête HBSC 2018 en Fédération Wallonie-Bruxelles – Sipes (Ecole de Santé Publique – ULB).
L’usage de ce produit augmente significativement avec l’âge des répondants et concerne davantage les garçons que les filles (voir Tableau 3). Actuellement, les adolescents (en particulier les mineurs d’âge) ne semblent donc pas davantage s’orienter vers ce produit. L’enquête HBSC ne permet pas de documenter une éventuelle augmentation de l’usage de protoxyde d’azote, dans la mesure où l’usage de ce produit n’était pas spécifiquement étudié lors des enquêtes antérieures.
Tableau 3. Fréquence d’usage de protoxyde d’azote (exprimée en nombre de jours) au cours de la vie chez les élèves de l’enseignement secondaire supérieur de la FWB, par tranche d’âge et par genre, 2018:
Source : Comportements, santé et bien-être des élèves – Enquête HBSC 2018 en Fédération Wallonie-Bruxelles – Sipes (Ecole de Santé Publique – ULB).
La Global Drug Survey (GDS) fournit également quelques indications utiles par rapport à l’usage de protoxyde d’azote (Winstock, Ferris, Maier & Barratt, 2016 (10)). Ainsi, parmi les quelques 1000 répondants belge de l’enquête en ligne (11) réalisée en 2016, 18,6% ont déclaré avoir déjà consommé du protoxyde d’azote au cours de leur vie, et 7,4% au cours des 12 derniers mois. Ces proportions sont nettement inférieures à celles enregistrées aux Pays-Bas (47,1% et 34%) ainsi qu’au Royaume-Uni (51,3% et 37,5%).
Ces résultats suggèrent donc que ce produit est consommé en Belgique dans une moindre mesure que dans d’autres pays. La situation pourrait toutefois avoir évolué. La GDS s’est aussi intéressée aux conséquences auto-rapportées de l’usage de protoxyde d’azote.
Parmi les 8.511 personnes ayant déclaré une consommation de N2O les 12 derniers mois, 30,3% rapportent comme conséquences à court terme la survenue d’hallucinations, 29,3% de la confusion, 12,3% de nausées, 5,6% des pertes de connaissance et 2,5% des chutes ou des blessures accidentelles. Plus inquiétant, 3% des usagers rapportent des signes associés au premier stade de l’atteinte neurologique périphérique (engourdissement persistants des membres ou de la face).
Enfin, un usager sur dix manifeste une inquiétude par rapport à l’impact de ce produit sur leur santé physique et mentale, et 2,5% estiment avoir perdu le contrôle de leur consommation. Ces résultats confirment que l’usage de N2O n’est pas sans risque qu’il est important d’informer au mieux les usagers afin de les réduire.
Au niveau du centre Antipoisons belge (12), les appels faisant mention de cas d’exposition au protoxyde d’azote sont rares mais en légère augmentation : 2 en 2016, 5 en 2017 et 9 en 2018 (14). L’indicateur des demandes de traitement (TDI) confirme quant à lui que l’usage d’inhalants volatiles engendre rarement des prises en charge dans les services spécialisés en assuétudes ou dans les hôpitaux. En effet, les inhalants ne sont mentionnés comme produits problématiques que dans 0,2% des épisodes de traitement enregistrés en Belgique de 2015 à 2018 , soit 50 à 70 cas par an (Antoine, 2019 (14)).
L’usage de protoxyde d’azote semble être en augmentation en Belgique, quoiqu’il reste peu répandu comparativement à celui d’autres substances et à ce que l’on observe dans d’autre pays. Selon les données disponibles, malgré la disponibilité et la légalité du produit, les adolescents ne semblent pas y être les plus exposés, puisque ce sont surtout des jeunes majeurs qui rapportent en avoir consommés. La plupart des personnes qui en ont consommé l’ont fait de manière expérimentale ou occasionnelle, l’usage régulier étant exceptionnel.
Le protoxyde d’azote, d’autres inhalants volatiles (colles, solvants, poppers, éther…) font l’objet d’un usage détourné à visée récréative depuis de nombreuses décennies. Leur consommation est le plus souvent le fait d’adolescents, qui s’orientent vers ces produits d’usage commun en raison de leur disponibilité et de leur légalité, mais aussi parce qu’ils ne sont pas en contact avec le marché des drogues illégales. L’usage de ce type de produit subit généralement des effets de mode cycliques et passagers. Il est probable que le succès actuel du protoxyde d’azote soit exacerbé par le caractère viral de la circulation des publications qui en font l’apologie sur Internet, en particulier sur YouTube ainsi que sur les réseaux sociaux.
Face à l’augmentation des traces d’usage dans l’espace public, des inquiétudes ont émergé et certaines communes ont pris des mesures (via une adaptation du règlement général de police) de manière à restreindre la vente des capsules à chantilly aux mineurs d’âge ou afin de pouvoir verbaliser l’usage dans l’espace public. Des restrictions locales ou nationales n’auront probablement qu’un faible impact sur la disponibilité du produit, dans la mesure où il restera accessible dans les communes ou pays voisins, via une commande sur Internet, ou encore via un achat par un pair majeur. Et sanctionner l’usage dans l’espace public ne fera que le pousser dans la clandestinité, ce qui est généralement contre-productif. Etant donné 1) le niveau de prévalence de consommation relativement bas ; 2) le type d’usage qui en est généralement fait (occasionnel et récréatif) ; 3) le faible pouvoir addictif du produit ; et 4) sa faible dangerosité pour autant qu’il soit consommé adéquatement, il ne paraît pas opportun d’en interdire l’usage ou d’en restreindre excessivement l’accessibilité. En revanche, il est important d’informer préventivement les consommateurs, en particulier les jeunes, sur les risques liés à la consommation de ce produit et sur les moyens de les minimiser.