C’est en 1993 que l’Organisation mondiale de la santé fait paraître un document encourageant la mise en œuvre de programmes de développement des compétences psychosociales dans les écoles. Près de trente ans plus tard, le déploiement de ces programmes est éminemment variable d’un pays à l’autre. Mais que sont ces compétences psychosociales et en quoi leur développement constitue-t-il un outil adéquat en matière de prévention des assuétudes ?
Comme c’est souvent le cas en matière de concepts développés par des institutions internationales, la première question à se poser est celle de la… traduction. En effet, le texte original[1], en anglais, fait référence à des « life skills » (littéralement, « compétences de vie ») – une expression aux connotations beaucoup moins académiques et comportementalistes que sa traduction attestée de « compétences psychosociales ». Au moment de définir, ces life skills, l’OMS évoque « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et épreuves de la vie quotidienne. C’est la capacité d’une personne à maintenir un état de bien-être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement. La compétence psychosociale joue un rôle important dans la promotion de la santé renvoyant au bien-être physique, psychique et social. »
Le concept renvoie donc de manière évidente – à défaut d’être explicite – au quatrième axe de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (1986). Celui-ci incite en effet à appuyer le développement individuel et social grâce à « l’information, à l’éducation pour la santé et au perfectionnement des aptitudes indispensables à la vie ». Il vise en outre le renforcement des possibilités de contrôle de sa propre santé et de son environnement et recommande que ce travail soit facilité « dans le cadre scolaire, familial, professionnel et communautaire » et que des actions soient menées « par l’intermédiaire des organismes éducatifs, professionnels, commerciaux et bénévoles et dans les institutions elles-mêmes[2] ».
Une littérature abondante s’est attachée à catégoriser et sous catégoriser les compétences psychosociales en compétences sociales, compétences cognitives et compétences émotionnelles, qui se déclinent à leur tour en toute une série d’aptitudes à faire face à différents types de situations (pour un résumé, voir le tableau : « Les compétences psychosociales : une synthèse »).
Comme tout concept émanant des organisations internationales, celui de compétences psychosociales a fait l’objet de déclinaisons et d’appropriations variées selon les pays. Les premiers à avoir embrayé, dès les années nonante sont les Anglo-saxons, qui parallèlement à la mise en œuvre de programmes, ont développé des méthodologies d’évaluation spécifiques destinées à en attester le caractère probant (evidence-based) et réplicable. Les pays francophones semblent plus lents à démarrer : en France, c’est au cours des années 2010 que le décollage s’est vraiment effectué. Et c’est très récemment qu’il a fait l’objet d’une Stratégie nationale 2018-2022 (de déploiement des programmes de renforcement des compétences psychosociales).
Les programmes de renforcement des compétences psychosociales figurent désormais dans les orientations prioritaires de la Stratégie nationale de santé et du Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022. Ils s’adressent aux élèves de l’école primaire ou du collège et sont généralement co-pilotés par l’Agence régionale de santé et le rectorat. Après une phase d’expérimentation menée par des associations (Addictions France, Fédération Addiction, Groupe de recherche sur la vulnérabilité sociale, etc.), « l’enjeu désormais est de dessiner une trajectoire qui permette d’aller de l’expérimentation des programmes à leur déploiement sur le territoire, puis vers leur généralisation[3] ». L’objectif de cette stratégie ne se limite pas à la prévention de la consommation de substances psychoactives, mais aussi des comportements violents, des comportements sexuels à risque et, plus largement, des problèmes de santé mentale.
► Tina et Toni et Primavera
Ces deux programmes jugés prometteurs sont destinés aux élèves des classes de l’école maternelle pour l’un, et aux élèves de l’enseignement primaire pour l’autre. Ils prennent la forme d’ateliers proposant des mises en situation et des jeux de rôles.
► Good Behaviour Game (GBG)
GBG propose, aux élèves du premier degré, des activités régulières en groupes, centrées sur les attendus des programmes d’enseignement. Au cours de ces travaux collaboratifs, les élèves apprennent, sous la conduite de leur enseignant, à maîtriser leurs propos et leurs émotions, à interagir avec pondération, à organiser le travail collectif, à analyser leur contribution au travail d’équipe et le fonctionnement du groupe.
► Unplugged
Destiné aux collégiens, le programme Unplugged prévoit neuf séances d’activités et trois séances consacrées à des informations sur les risques liés à la consommation d’alcool, de tabac et de cannabis. Informés également sur les niveaux réels de consommation des jeunes de leur âge et invités à analyser le fonctionnement des groupes de pairs, les élèves développent notamment une plus forte résistance aux influences de leur environnement.
Source : Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), Le renforcement des compétences psychosociales : pour une prévention efficace à l’école. Disponible sur : https://www.drogues.gouv.fr/lessentiel-renforcement-competences-psychosociales-une-prevention-efficace-lecole-0
À rebours de l’impression quelque peu top-down que pourrait donner cette batterie de programmes clé sur porte, scientifiquement validés, Mélanie Bertier, chargée de mission et de formation chez Addictions France insiste sur leur caractère partenarial et sur l’importance de la co-construction avec les bénéficiaires : ceux-ci doivent avoir leur place dans l’élaboration du programme, ou au moins de sa mise en œuvre. À titre d’exemple, elle indique que les programmes Unplugged, qui avaient été pensés différemment pour les 6-8 ans et pour les 9-11 ans ont finalement été fusionnés lorsqu’il s’est avéré difficile de séparer les groupes. Au final, cette mixité s’est révélée payante – notamment du fait de la fonction de modèle que pouvaient jouer les aînés.
Plus généralement, les ateliers de développement des compétences psychosociales doivent se penser comme des espaces d’expérimentation plutôt que de transmission, des lieux dans lesquels la posture de l’intervenant.e doit tenir de la facilitation beaucoup plus que de l’expertise. « Des programmes démontrés comme efficaces ont été mesurés comme contre-productifs s’ils ont été mal mis en place », indique d’ailleurs Mélanie Bertier.
Renforcer la posture facilitatrice de l’intervenant… c’est bien là tout le travail des professionnels de la prévention, qui dans la plupart de ces programmes, n’interviennent pas directement auprès des élèves. Ils accompagnent les enseignants pour faire évoluer leurs pratiques professionnelles en matière de communication positive ou de gestion de groupe, notamment, partant du principe que ces changements vont avoir un effets significatif sur l’acquisition des compétences psychosociales par les élèves, leur permettant ensuite d’opérer des choix plus favorables à leur santé.
C’est dire l’importance d’un environnement favorable au développement des compétences psycho-sociales, c’est -à-dire un contexte qui permette aux élèves de les exercer, entourés d’intervenants engagés et formés, ayant une fonction de modèle, eux-mêmes soutenus par une institution volontaire qui porte en elle un projet participatif au sein duquel l’élève est reconnu comme un être global. C’est beaucoup demander mais c’est assurément plus porteur sur le long terme que les interventions basées sur le renforcement des effets négatifs des consommations !
En outre, si certains programmes, comme Tina et Toni et Primavera, Unplugged ou le Good Behaviour Game, sont dits « validés » lorsque « des effets positifs ont été démontrés empiriquement par des protocoles expérimentaux, ont été maintenus à long terme (au moins 1 an) et répliqués dans au moins deux sites différents[4] », il existe toute une série d’autres formules, qui, sans faire l’objet de cette validation, sont « basées sur les données probantes ». Elles offrent alors – en attendant une potentielle validation – un espace d’expérimentation et d’adaptation encore plus important. C’est par exemple le cas du programme « Papillons, ensemble déployons nos ailes » qu’Addictions France entend commencer à tester dans l’ensemble des Hauts-de-France.
En Belgique francophone, force est de constater qu’en matière de prévention des assuétudes, voire même de toute autre conduite à risques, l’approche par les compétences psychosociales ne connaît pas encore, comme telles, de déclinaisons formelles dans l’Enseignement… Si les approches par les savoir-être et savoir-faire ou encore par les compétences transversales s’en approchent, encore faudrait-il qu’elle s’intègrent plus ouvertement dans les stratégies de prévention en santé.
Car si les CPS s’invitent dans de nombreux projets, c’est de manière trop implicite. Les éducateurs les pratiquent… comme Monsieur Jourdain la prose.
[1] OMS, Life Skills Education in Schools, Genève, 1993.
[2] OMS, Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, Genève, 1986.
[3] Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), Le renforcement des compétences psychosociales : pour une prévention efficace à l’école. Disponible sur : https://www.drogues.gouv.fr/lessentiel-renforcement-competences-psychosociales-une-prevention-efficace-lecole-0
[4] LAMBOY, B., « Interventions validées en prévention et promotion de la santé mentale auprès des jeunes », Santé publique, vol. 23, 2011