Souvenez-vous, c’était il y a six mois… Il y a une éternité ! Le début du confinement, le début de ce que chacun prenait comme une parenthèse qui allait se refermer rapide-ment pour accoucher du monde d’après. Si les contours de ce monde d’après restaient flous, son cœur n’en était pas moins empli d’optimisme : le choc de la pandémie allait remuer les consciences et faire bouger des lignes jusque-là immuables. Chacun aspirait à un retour à la normale mais ce n’était pas « la norme d’avant » qui allait y présider. Les limites de notre modèle de développement, de production, de santé avaient été trop mises à nus pour qu’il sorte de cette épreuve sans transformation radicale.
Las ! Elle était encore bien trop optimiste cette dichotomie entre « monde d’avant » et « monde d’après » en ce qu’elle faisait l’impasse sur le « monde du pendant » dont nous ne sommes toujours pas sortis et dont nous ne savons toujours pas combien de temps il sera encore le nôtre. En termes politiques, légaux, économiques et sanitaires, s’installe insidieusement l’idée que l’exceptionnel est devenu la nouvelle normalité, et que nécessité fait loi, fût-ce au détriment de l’État de droit. L’après se dérobe sans cesse pour laisser la place à un présent aux apparences d’éternité et les rêves de transformation s’enlisent dans la nécessité immédiate de survie, tout autant économique que sanitaire.
Il n’en est que plus impératif de pouvoir tirer les leçons des mois passés, peut-être moins, hélas, pour tracer les coordonnées de ce fuyant monde d’après que pour analyser ce que la pandémie a révélé des fragilités de notre modèle. Pour ce faire, il s’agit de la considérer comme une forme de mise à l’épreuve, qui a mis en évidence et nous a forcé à voir ce que nous nous refusons à voir en temps « normal ». Dans un premier temps celui de la version atténuée du confinement que nous sommes amenés à connaître pour plusieurs mois encore, ces leçons devraient donc servir à élaborer des contre-mesures, articuler un contre-programme de court terme face à celui qui nous est imposé de manière chaotique et à ses effets délétères, en termes d’inégalités notamment.
Dans ce contre-programme, la promotion de la santé et sa vision systémique doivent occuper une place centrale. Car s’il est une leçon à tirer de l’épreuve que nous endurons, c’est qu’en temps d’urgence, ce sont les tripes qui parlent et qu’en l’occurrence les tripes gouvernementales ont laissé bien peu de place à cette vision systémique.
Quand bien même l’objectif affiché consistait à protéger la santé de tou.t.e.s, c’est une logique largement individualiste qui a prédominé, renvoyant chacun.e à ses responsabilités, à ses gestes barrières et à ses amendes pour non respect du confinement, sans grand souci d’une approche collective ou communautaire, ni réflexion approfondie sur les effets collatéraux de long terme – sur le plan de la santé mentale, notamment – des décisions prises. Avant de construire le monde d’après, il s’agit donc de penser collectivement la manière dont nous pouvons encore faire en sorte que le monde du pendant n’étouffe pas dans l’œuf toute possibilité de son advenue.