Témoignage de Marie-Jeanne – Nom d’emprunt d’une bénévole
de la Liaison antiprohibitionniste
La période de confinement quand on consomme des substances illicites n’est pas forcément simple. Les difficultés pour s’approvisionner sont nombreuses et les dealers de plus en plus sur leurs gardes. Nous avons reçu ce témoignage d’une bénévole de notre association qui nous fait le récit de ses mésaventures et de son ras-le-bol général.
Je m’appelle Marie-Jeanne (nom d’emprunt) et j’ai plus de 40 ans. J’ai un boulot, je paie mes impôts, et chaque jour (à quelques rares exceptions près) et ce depuis plus de 20 ans, je pratique une activité illégale susceptible de m’envoyer devant un tribunal : je fume du cannabis. Je suis loin d’être la seule à en consommer et jusqu’à ce jour, je n’ai rencontré aucun problème judiciaire. Le fait d’être blanche et de la classe moyenne est probablement un facteur qui favorise l’absence d’ennuis avec les forces de l’ordre.
Les raisons pour lesquelles je fume sont nombreuses et variées : diminution du stress et de douleurs physiques, augmentation de ma créativité, endormissement plus rapide et alternative que je préfère largement à l’alcool, qui a tendance à me déprimer. Je suis dépendante dans le sens où l’idée de ne pas pouvoir fumer quand je rentre du travail est quelque chose qui me met dans un état d’instabilité. Bien sûr, il m’arrive d’arrêter de temps en temps, notamment lors de voyages à l’étranger ou tout simplement quand je décide de faire une pause. Je sais donc ce que c’est de devoir arrêter du jour au lendemain et je n’en suis évidemment pas morte. Pendant trois jours, j’aurai des difficultés à m’endormir mais en contrepartie, ce sera aussi beaucoup plus facile de me réveiller, je vais transpirer quelques toxines pendant la nuit et je me souviendrai de mes rêves. Bref, rien de grave en soi. Tant que c’est moi qui prends la décision, en général tout se passe bien. Mais quand j’en suis réduite à devoir arrêter parce que c’est le confinement et que les dealers déraillent, là je ne suis plus d’accord.
« Il s’agit par d’aider autant que possible le fumeur à
redéployer ses compétences psychosociales en fonction de la situation et de ce qui est à sa disposition. »
Je n’ai jamais été très à l’aise avec les dealers. Je ne sais comment m’adresser à eux, les phrases codées échangées par téléphone me semblent le plus souvent débiles et j’ai toujours le sentiment de les faire chier quand ils me répondent par : « Oui, c’est pour quoi ? ». Quand je débarque chez eux, je ne sais jamais s’il faut rester un peu pour papoter et partager un joint ou s’ils préfèrent tout simplement que je me casse fissa.
Bref, j’ai toujours fait le maximum pour les éviter, préférant passer par des contacts communs, et depuis une mauvaise expérience lors d’un deal de rue pour de la cocaïne (oui, je consomme aussi d’autres produits), je me suis dit qu’il était préférable d’arrêter ce genre de rencontres urbaines. Alors que je vis dans un quartier où je pourrais facilement me procurer de l’herbe, je m’y refuse. Je n’ai jamais acheté de cannabis en rue, ce n’est pas maintenant que je vais commencer.
Au moment où je décide de me confiner seule à la maison dès le 13 mars, je me rends compte que je suis quasi à sec et très rapidement l’angoisse monte. Par une synchronicité heureuse, un ami me contacte pour dire qu’il va faire quelques courses et me propose d’en prendre pour moi. Incroyable ! La solution est venue toute seule et je vais être tranquille pour quelques jours. A peine une semaine plus tard, je rencontre par hasard un ami à qui je parle de mon inquiétude quant à la durée du confinement : « Si je ne trouve pas un bon gros paquet de beuh d’ici quelques jours, ça va être la galère totale ». Et là mon pote me dit tout sourire « Je viens d’acheter 50 grammes, tu veux qu’on fasse moitié-moitié ? ». Dingue, quelle chance j’ai, je n’en reviens pas ! Ni une ni deux, on s’organise avec mon pote et là je me dis que je suis tranquille pour un paquet de temps. Mais c’était sans compter que j’allais aussi dépanner plusieurs ami·e·s en rade (la solidarité c’est important) et qu’en plus ma consommation a pratiquement doublé pendant le confinement. Donc, chaque jour, j’ai regardé ma réserve diminuer à vue d’œil tout en espérant pouvoir compter sur la bonne étoile qui m’accompagnait depuis le début.
«Alors que je vis dans un quartier où je pourrais facilement me procurer de l’herbe, je m’y refuse. Je n’ai jamais acheté de cannabis en rue, ce n’est pas maintenant que je vais commencer. »
Lors d’une discussion avec un ami, celui-ci me dit qu’il a reçu une annonce d’une connaissance qui vend de la weed et me demande si ça m’intéresse (lui-même n’est pas usager). Sachant que je ne vais jamais tenir avec ma réserve, je réponds par l’affirmative et demande à mon ami de faire le lien avec le revendeur. Je reçois une information comme quoi il n’y a aucun souci, je peux contacter cette personne par une messagerie cryptée et en mentionnant le prénom de mon pote. Ce que je fais quelques semaines plus tard une fois ma réserve quasi épuisée.
Je prends donc mon courage à deux mains et écris à cet inconnu en prenant plein de précautions d’usage. Ce dernier me répond sympathiquement, m’explique ce qu’il a en magasin mais qu’il attend un nouvel arrivage. Pendant deux jours, on échange des messages pour convenir du prix, de la quantité, du lieu et de l’heure de rendez-vous. Bref, l’affaire semble rouler…
C’est donc plutôt confiante que je quitte mon domicile tout en informant le dealer que j’aurai probablement 30 minutes de retard et que je m’en excuse. Il me répond : « Pas de problème ».
Après un sacré temps passé dans un bus puis quasi autant à marcher, j’arrive enfin à destination. Je prends mon téléphone et là je découvre un message assez étonnant : « Dis, au fait, tu peux me rappeler le nom de la personne par qui tu as eu mon contact ? ». Difficile de décrire la sensation ressentie à ce moment-là mais je réponds : « C’est via Machin Truc et sinon je suis devant ta porte ». Et là, le mec me répond « Je ne vois pas du tout qui c’est, tu peux m’en dire plus ? ». Que je lui en dise plus ? C’est-à-dire ? J’ai envie de lui envoyer : « Tu veux son numéro de registre national ou quoi ? ». La colère monte en moi et je commence à m’éloigner, parce que zoner sur une avenue déserte devant une porte c’est vachement repérable. Je lui réponds, assez énervée : « Dis, tu aurais pu faire ton enquête avant de m’envoyer ton adresse ! ». Le mec, qui se croit évidemment plus malin, m’informe que ce n’est pas son adresse, qu’il est désolé mais qu’en cette période on doit être encore plus prudent et qu’à la base il dépanne des potes, blablabla…. Moi, ulcérée, je suis déjà à plus de 100 mètres du lieu de rendez-vous et lui écris : « Écoute, j’ai passé l’âge pour ces conneries, laisse tomber ». J’étais quasi arrivée chez moi qu’il m’écrivait encore des messages : « Tu dois comprendre la situation, tu dois comprendre que je me méfie… ». J’ai terminé la conversation en lui disant que tant qu’à comprendre comme il m’y invitait gentiment, il pouvait aussi se mettre à ma place et comprendre mon énervement, et que la situation n’était pas plus simple pour les usagers.
Si je n’ai pas fait « l’effort » de donner plus d’informations c’est autant par orgueil (je déteste qu’on me fasse perdre mon temps) que par principe. Le dealer a visiblement eu peur d’un truc et s’est rappelé un peu tardivement qu’il n’avait pas pris les renseignements en temps voulu. Mais c’était son erreur. Et puis, quand on doute de moi alors que j’ai été réglo, ça ne passe pas. Enfin et surtout, j’avais au moins deux plans B et préférais largement donner mon fric à d’autres gens qu’un petit dealer qui me prenait de haut… (ah l’orgueil !).
J’avais donc des alternatives et me disais intérieurement « Ah ah, on va voir qui rira le dernier, je n’ai pas dit mon dernier mot ». Mais après deux jours, je dois me rendre à l’évidence et je ne ris plus du tout. Mes plans B ne répondent pas et me laissent dans un vide intersidéral. Je suis en train de fumer une sale résine de merde qui ne pète pas et me garde les poussières de vieux pacsons pour ma dernière soirée fumette. La loose totale…
Depuis mes mésaventures et l’absence de perspectives quant à la possibilité d’acheter du cannabis, je râle autant sur ces dealers qui ont le pouvoir de me foutre dans une humeur massacrante que sur ces politiques ineptes, incapables de réglementer une substance consommée par des milliers de personnes en Belgique. J’en ai marre qu’à mon âge, je doive encore me cacher pour acheter un produit parce qu’il est interdit. J’en ai marre d’attendre une réponse d’un dealer, j’en ai marre de ne pas pouvoir aller m’approvisionner auprès de mes potes qui cultivent à la campagne parce que se déplacer en ce moment est trop risqué.
Je n’avais pas décidé de vivre ce confinement dans l’abstinence et je ne souhaite pas augmenter ma consommation d’alcool pour supporter cet inconfort. Quand je pense à ces milliers de Belges qui ont accès aux bières, vins et spiritueux qu’ils souhaitent et que l’apéro en ligne est presque devenu une institution, j’avoue perdre patience face à cette inégalité. Quant au tabac, n’en parlons même pas, bien que ce produit soit de plus en plus mal vu dans nos sociétés hygiénistes, il n’en demeure pas moins accessible partout, et quasi à toutes les heures du jour et de la nuit.
Et pourtant, je ne suis évidemment pas la plus à plaindre. Je suis dépendante au cannabis, pas à l’héroïne et ce petit jeu des dealers est un autre enfer quand vous devez vivre un véritable manque. Et puis je sais aussi que de nombreux dealers ont cette activité parce qu’ils n’ont pas beaucoup d’alternatives, et qu’ils prennent aussi plus de risques que les usagers. Je sais tout ça et c’est avant tout pour toutes ces raisons que je veux un changement politique et non à cause de mon sevrage forcé. Il est plus que temps de passer à autre chose, d’arrêter de criminaliser les jeunes des quartiers, de foutre la paix aux amateurs qui cultivent dans leur jardin ou dans leurs caves et de laisser tranquille le peuple de l’herbe ! Lâchez-nous, bon sang !