Du cannabis à l’adolescence : bad boys for life

juillet 2019

À PROPOS DE L’AUTEURE

Decarpentrie Véronique est  psychologue et formatrice en prévention, à Prospective Jeunesse

Prospective Jeunesse reçoit en consultation des jeunes consommateurs, souvent à la demande de leurs parents ou de leur école. Comment l’illégalité du cannabis influence-t-elle l’image du jeune consommateur ? Quelles conséquences dans sa relation aux autres ? Véronique Decarpentrie nous livre l’exemple d’Arnaud (nom d’emprunt). Objectif principal ? Défier les étiquettes.

Quatre ans avant notre rencontre, Arnaud a eu des problèmes avec la Justice, en lien avec une consommation de cannabis.

À l’époque, il a 14 ans et ses parents se séparent, il rencontre des difficultés scolaires et sa relation avec son père s’envenime. Ils en viennent à se battre. Ces figures de protection et d’accompagnement que sont l’école et le père se retrouvent mises en échec. Arnaud, pourtant perçu comme un garçon adorable, très sensible, développe alors un comportement qu’on qualifierait d’antisocial : il consomme du cannabis. Privé d’argent de poche, il se met à en vendre et à voler pour payer sa consommation. Face à la gravité de la situation, désemparée, sa mère le dénonce à la police. Elle cherche du secours et a imaginé qu’elle trouverait une aide ou mettrait fin à une situation difficile. Il a rencontré plusieurs fois la police, est passé devant le juge.

Il décrit cette période de vie sans vraiment la rattacher à des évènements mais en disant qu’il est devenu un connard. « De toute façon je fume parce que je suis un connard ! », « parce que je fais de la merde ». À cause du cannabis, ou plutôt du statut illégal du cannabis, il est étiqueté délinquant, non seulement par le système judiciaire, mais aussi par toute sa famille. Il a vraiment intégré cette image de lui-même, tout en se remémorant son enfance. Il a envie que l’enfant adorable qu’il était soit reconnu à nouveau. Il voit aussi toute la difficulté à redevenir cet enfant adorable.

Il est arrivé en consultation avec les pieds de plomb, lassé d’être balloté entre la guidance, la psy et les agents de l’aide à la jeunesse. Nous avons travaillé à remettre du sens dans son histoire, de l’acceptation et de la tolérance envers lui-même. Il gère difficilement les reproches, se met encore dans de fortes colères quand se réactive cette image négative qu’il a de lui-même. Mais nous travaillons à remplacer cette étiquette par ses valeurs : la remise en question, l’esprit critique ou la protection des plus faibles. Aujourd’hui, il recherche l’autonomie financière. Ce désir se heurte à des valeurs qu’il estime désormais hypocrites. Il s’est senti rejeté par ses parents, par l’école, par l’État. Je porte beaucoup d’attention à son regard critique sur la société. Il a gagné en maturité, et il s’en rend compte. Mon rôle est aussi de le confronter : il doit faire de ce regard critique une force, un moyen de trouver un chemin fidèle à lui-même et qui lui permette aussi d’être autonome.

« UN FILS PAREIL, MOI AUSSI, JE LUI EN AURAIS COLLÉ UNE »

Quand la mère d’Arnaud l’a dénoncé à la police, lui s’est senti trahi. Madame s’est beaucoup demandé si elle faisait le bon choix en tant que parent. Elle a pris cette décision pour elle, à la recherche d’un soutien pour arrêter les agissements de son fils. La Police représentait l’ordre établi, une figure d’autorité, un repère. Sa volonté est audible : redonner un cadre à son fils. Mais les échanges avec la Police sont durs. Désormais, il est identifié délinquant et, malgré l’absence de nouvelles infractions de sa part, convoqué par la Brigade des stupéfiants pour dénoncer les trafiquants qu’il connait. Lors de la rencontre, à laquelle il se rend avec sa mère, l’inspecteur a une attitude agressive et provocatrice : « Mais t’as vu comment tu me parles ? », « Baisse d’un ton ! ». Arnaud refuse de donner son téléphone, reste calme mais veut rester loyal. Il en a le droit. Mais l’inspecteur veut mettre la pression et s’emporte face au refus d’Arnaud de se soumettre à son autorité. Il ne perçoit pas qu’Arnaud a évolué et il voit dans cette attitude uniquement du défi. Heureusement, la mère est intervenue pour faire remarquer que l’énervement ou les mauvais comportements que l’inspecteur prêtait à Arnaud n’étaient pas vrais. Il restait calme. Elle l’a soutenu. L’inspecteur lui a rétorqué qu’elle « n’en avait pas fini avec son gamin ». Les parents sont fortement culpabilisés par la police : « On ne va pas rattraper en cinq minutes la mauvaise éducation que vous lui avez donnée ». Quand la mère a évoqué les agissements violents du père à l’encontre d’Arnaud, un policier lui a dit « Un fils pareil, moi aussi, je lui en collerais une ». Délinquant un jour, délinquant toujours.

GARÇONS ET FILLES FACE À LA DÉLINQUANCE, LE DOUBLE STANDARD DES INTERVENANTS

« Dans les dossiers des adolescentes, la procédure judiciaire semble focalisée sur les relations familiales et l’intimité des justiciables. (…) À l’inverse, l’analyse des situations des garçons montre une focalisation sur les actes commis, et éventuellement sur les groupes de pairs. On demandera davantage à un adolescent s’il a déjà commis de tels actes par le passé, si d’autres garçons l’ont incité à le faire, on fera un état des lieux de son entrée dans la délinquance. Les adolescentes sont donc perçues comme des individus à protéger, (…) et les adolescents comme des délinquants, potentiellement délinquants en puissance (…) les filles (et plus généralement les femmes) comme des personnes vulnérables et les garçons comme les figures légitimes de la déviance. À cela s’ajoute l’idée que le contrôle pénal, et notamment son lieu d’application le plus symbolique, la prison, serait peu adapté aux femmes, alors qu’il est une réponse tout à fait acceptable pour les hommes. »

Extrait de VUATTOUX Arthur, « Filles et garçons au tribunal pour enfants », in Prospective Jeunesse, Drogues / Santé / Prévention, n° 84, octobre-décembre 2018, p. 6.

PRISONNIER DU QUARTIER

Une des raisons des convocations d’Arnaud, c’est le quartier dans lequel il vit, les trafics qui s’y déroulent. Il y côtoie des bandes urbaines où règne la loi du plus fort. Il se sent constamment sous pression, sur le qui-vive, en alerte. Pour protéger son petit frère, il se sent obligé de redoubler de violence. Il a intégré cette nécessité d’être un homme fort pour ne pas qu’on fasse du mal aux gens qu’il aime. Il a vraiment envie de fuir ce quartier, de partir et il demande souvent à sa mère de déménager. Financièrement, ce n’est pas possible.

Arnaud consomme moins de cannabis, mais ce produit répond à ses besoins de calmer ses colères, de s’apaiser. Dans certaines périodes, il fume beaucoup. Le cannabis est aussi un liant : il permet de passer un moment de détentes entre potes, dans un espace sécurisé.

ET AU TRAVAILLEUR SOCIAL DE REMETTRE DU SENS…

Notre travail, à nous, assistants sociaux, psychologues, c’est de redonner confiance en soi, retrouver la confiance dans ses capacités, dans la société. Ce travail se heurte aux valeurs répressives et à ce rejet : paradoxalement, nous travaillons à réintégrer Arnaud dans un système qui l’a rejeté. Nous essayons de trouver un chemin pour un mieux-être malgré ces contradictions, en reconnaissant ce qu’il a vécu, l’injustice dont il a été victime et la légitimité de sa colère. Une fois cette reconnaissance établie, Arnaud peut s’ouvrir aussi, nuancer son parcours : rétablir du lien avec son entourage et trouver son chemin.

Ces jeunes sont porteurs de messages que les adultes devraient écouter plus attentivement. Les ados qu’on rencontre disent souvent : « Moi, je n’ai pas de problème » et ils ont souvent raison. Ils renvoient en miroir les incohérences de notre société. Bien souvent, les jeunes qu’on nous amène en entretiens, ne sont pas à soigner. Les institutions qui les encadrent, en revanche, dysfonctionnent : des écoles inadaptées, excluantes… La mère d’Arnaud dit que son école l’a écrasé, n’a pas accepté le garçon hypersensible et hyperactif. Et cette expérience nécessite ensuite en thérapie de le reconstruire, de travailler ses motivations. Le cannabis ne sera pas au centre. Le nombre de pétards, ce n’est pas une information pertinente. Son stress, sa qualité de vie, voilà des informations bien plus pertinentes. En se centrant cependant sur le jeune à recadrer, on lui fait porter la responsabilité du changement alors que son comportement révèle d’abord les manquements de notre société.

Souvent, la fonction du cannabis est de bousculer. Fumer choque, heurte les valeurs, symbolise la sortie d’un chemin tout tracé. Ces jeunes sont souvent créatifs, en train de repenser les possibles, à la recherche de chemins à explorer. Notre société a besoin de personnes qui se questionnent.

STOP1921

Nous avons besoin beaucoup plus de cohérence dans cette politique drogues. Certaines branches de l’Etat prônent la répression, tout en nous demandant de récupérer les pots cassés et de les reconstruire. Envisageons plutôt de collaborer, de construire une autorité bienveillante et cadrante, un système qui entend et reconnait les difficultés qu’un jeune comme Arnaud traverse. Plutôt que de le laisser seul face à ses fragilités, de l’affubler de cette étiquette délinquante, reconnaissons ce qu’il vit et accompagnons-le immédiatement. Il trouvera alors en lui les compétences pour mener à bien son chemin de vie.


1. Propos recueillis et retranscrits par Caroline Saal.