Interview de Marine Glaesener – psychologue et formatrice à Prospective Jeunesse. Par Caroline Saal.
Souffrant d’un léger handicap, Lucas s’était battu à l’école suite à des moqueries concernant son bras défaillant. Lors de cette incident, l’école a découvert que ce garçon de 17 ans avait du cannabis sur lui. Elle a exigé qu’il suive une thérapie dont l’objectif était d’arrêter de fumer. Alors que l’autre élève impliqué dans la bagarre a écopé d’une exclusion d’un jour, Lucas ne pourrait pas revenir dans son enceinte tant qu’il n’aurait pas suivi un premier rendez-vous.
L’école, plutôt élitiste, applique une réglementation autour des drogues très stricte et répressive. La tolérance zéro contribue à son image, non seulement auprès des parents, mais auprès de la communauté : c’est une école qui veut transmettre le meilleur et les personnes qui dévient un peu de la norme n’y ont pas leur place.
Quand on reçoit ce type de demande au téléphone, on donne très vite un rendez-vous pour limiter l’exclusion scolaire. Je l’ai donc reçu avec sa maman. Le gamin était complètement détruit par l’image que l’école lui collait : handicapé, bagarreur et drogué. Sa consommation l’aidait à justement sortir des difficultés par rapport à ce handicap et aux tensions familiales. Comme beaucoup de patients, il utilise le cannabis comme un moyen de tenir le coup et d’appartenir à un groupe. Cette exclusion créait une grande détresse, car, si elle devenait définitive, elle entraînerait également celle du petit frère. Par ailleurs, en fin d’année scolaire, les examens arrivaient et Lucas devait rattraper son retard. La pression était immense. Dans mon modèle thérapeutique, je contacte les écoles, avec l’accord du jeune. J’ai téléphoné au préfet pour travailler avec eux. Je me suis retrouvée face à un mur. « Passer l’éponge » – telle était perçue ma demande – aurait été donner un mauvais exemple aux autres élèves. La prise en compte du contexte n’était pas envisagée. Le cannabis est interdit, et enfreindre cette loi est puni.
Les parents se sont montrés compréhensifs et ouverts. Une éducatrice a également aidé à récolter tous les devoirs afin que Lucas suive l’avancée des cours. Au bout de trois semaines, il a pu réintégrer l’école pour passer ses examens. Remettre un pied dans cette école n’a pas été facile, tant sa confiance en lui, déjà faible, a été ébranlée.
Une autre conséquence : Lucas a perdu quelques amis qui ne l’ont pas soutenu, par peur d’être assimilés au cannabis. Lucas a été isolé dans « sa faute ». Parfois, les amis reconnaissent l’injustice, soutiennent leur copain. Cette fois-ci, certains se sont éloignés.
Tous les jeunes qui consomment ne sont pas en souffrance. L’expérimentation ou le côté récréatif sont souvent la motivation à consommer. Mais le cannabis peut être une échappatoire par rapport à une problématique familiale et personnelle qui a pris une place : la séparation des parents, la perte d’un ami ou d’un membre de la famille, la souffrance d’un proche… Dans la sanction de l’école, le cannabis devient le problème central, qui éclipse le reste. Il est utilisé comme lien de cause à effet avec la bagarre : Lucas n’est pas gérable, agressif. L’équipe éducative avait des soupçons de consommation : la bagarre a été le prétexte pour le fouiller. Les lois répressives sont un frein à ce travail : comme on le voit, elles ferment l’école et une partie de l’entourage à la compréhension, à se décentrer du produit pour accompagner Lucas.
Comment éviter que l’explosion de colère ne se reproduise pas ? Mon rôle est de dédramatiser la consommation et essayer d’accompagner un jeune qui est en souffrance. L’objectif est donc que Lucas rediscute avec ses parents, poursuive ses études, apprenne à gérer ses émotions.
1. Propos recueillis par Caroline Saal.