Une question de confiance

juillet 2016

> Entretien avec Charles Auquière, directeur de l’Institut Sainte-Marie à Saint-Gilles. Propos recueillis par Julien Nève.

 

Alors qu’elle est présentée comme le socle sur lequel se construisent les apprentissages des matières scolaires, la relation de confiance est généralement ce qui fait défaut dans les réponses mises en place par rapport aux consommations des élèves. Charles Auquière nous expose en quoi cette absence mine la relation éducative dans son ensemble.

Quel est votre sentiment par rapport à une recrudescence de descentes de police dans les écoles¹ ?

Y a-t-il vraiment une recrudescence de descentes ou simplement une inflation de la communication autour de ces pratiques ? Et si recrudescence il y a, est-elle en corrélation avec une éventuelle augmentation des consommations ?

Je serais prudent par rapport aux statistiques et ce qu’on voudrait leur faire dire. J’ai envie de comparer le phénomène à celui des HP (Haut potentiels) : ils tombent des arbres en ce moment, la moitié de mes élèves sont devenus HP, et pourtant je ne pense pas qu’il y en ait plus qu’il y a dix ans. Ce qu’il y a davantage ce sont des actions de détection et de communication avec comme effet positif une mobilisation du corps enseignant autour de la recherche de réponses adéquates.

De même lors du colloque, Paul Hermant se fait fort de comparer le discours tenu par un policier qui dénombre pas moins de 700 interventions annuelles sur Bruxelles avec celui d’un autre intervenant ne faisant mention que de deux ou trois cas isolés. En fait, ces deux personnes ne parlent pas de la même chose. Une école peut faire de temps en temps appel à la police pour venir chercher un élève qui n’est plus en état de suivre les cours parce qu’il a trop bu ou trop fumé, mais il ne s’agit pas pour autant d’une descente de police dont l’objectif est de fouiller tous les élèves sur base d’une suspicion de trafic.

S’agissant de l’école, je pense qu’il y a une inquiétude grandissante par rapport à un phénomène de consommation et de trafic que l’institution ne par- vient pas à contrôler, essentiellement parce qu’elle n’en a pas les moyens. Les directions sont alors poussées à agir dans un climat de désarroi, lui-même entretenu par un cadre législatif particulièrement flou qui n’aide pas à savoir comment la problématique doit être abordée. Doit-on exclure un élève lorsqu’on le voit fumer ou lorsqu’on pense qu’il a fumé ? Est-ce d’ailleurs la solution ? Quelles seraient les alternatives ?

Une confusion parfois entretenue par les policiers eux-mêmes. Deux élèves m’ont ainsi rapporté que s’étant fait surprendre par deux policiers, ils ont dû livrer leur haschich mais l’ont ensuite récupéré agrémenté d’un commentaire des policiers quant à sa piètre qualité. Une attitude à tout le moins paradoxale lorsqu’on songe à celle adoptée par certains de leurs collègues, notamment à l’occasion des descentes dans les écoles. Qui plus est, le discours entre jeunes a tendance à renforcer l’idée que « ce n’est pas grave de fumer ». Les clichés tels que « je gère », « j’arrive à suivre les cours », « en fin de compte, c’est légal » sont en effet légion.

Au final, de par son ambivalence, ce contexte favorise la tendance des jeunes à ne voir que le bon côté des consommations. Ce qui semble converger avec la perception des enseignants selon laquelle les jeunes banalisent et sous-estiment les risques liés à leurs consommations. En conséquence de quoi se voit renforcer l’idée que les jeunes sont incapables de définir eux même les limites, qu’ils sont pris par l’effet du groupe et qu’ils sont incapables, en somme, de gérer leur consommation.

Si on perçoit qu’il y a plus de jeunes qui fument qu’avant, c’est peut-être parce qu’ils fument de manière plus visible. Et j’y vois là le signe que les écoles n’ont ni le temps ni les moyens de gérer cette problématique en interne.


1. Propos recueillis par Julien Nève

Les enseignants sont-ils demandeurs d’interventions policières dans l’école ?

Dans mon école très peu. Beaucoup d’enseignants parmi les plus anciens sont encore traumatisés par la descente qui a eu lieu à Sainte-Marie il y a 20 ans. Certains en parlent encore.

La plupart des enseignants ici encouragent la prévention plutôt que la répression. On a bien eu un inspecteur de police qui est venu deux ou trois ans de suite pour animer des séances d’information, mais il s’agissait d’une discussion sur son métier plutôt que sur la question des consommations. Cela a surtout permis de présenter une autre image du policier et c’est quelque chose dont les jeunes se souviennent encore plusieurs années après.

Même si c’est loin d’être évident, tout l’enjeu de la relation éducative est de faire comprendre aux jeunes que nous sommes avec eux et pas non pas contre eux, y compris en ce qui concerne les matières non- scolaires. Toutes les mesures de l’ordre du répressif creusent le fossé entre eux et nous. Pour donner un exemple concret, le Service de l’Enseignement de la Commune a réuni les directeurs de différentes écoles communales à la suite des attentats de Paris. Par mesure de sécurité, ils nous ont demandé de fouiller les sacs de tous les élèves à l’entrée de l’école. Or si nous acceptons de fouiller les élèves, cela implique que nous ne leur faisons pas confiance. Ce serait aller complètement à l’encontre du lien que nous nous efforçons de construire avec eux. Surtout sur une thématique comme celle des attentats, il est primordial de ne pas mettre de barrière entre eux et nous.

On ne peut pas à la fois miser sur la confiance et faire venir la police dans les écoles, cela ne me semble pas juste et les élèves sont les premiers à pointer l’incohérence et agir en conséquence.

Que manque-t-il pour pouvoir gérer la problématique autrement ? Y a-t-il des associations auxquelles vous pouvez faire appel pour vous accompagner ?

Quand j’ai pris mes fonctions, l’équipe éducative faisait état d’une recrudescence des consommations des élèves, notamment de speed. Je me suis de- mandé ce qu’on allait pouvoir mettre en place et j’ai contacté des inspecteurs de police qui m’ont d’emblée conseillé de ne surtout pas envisager une des- cente. Ils m’ont ensuite fourni la liste de toutes les associations qui travaillent sur la thématique. Cela montre une image très éloignée de celle véhiculée lors de la journée d’étude : les méchants flics et les bons acteurs de terrain.

Bien sûr les associations sont très disponibles. Nous avons beaucoup travaillé avec Modus Vivendi, Prospective Jeunesse, le CBPS pour mettre en place une démarche de prévention axée sur l’implication de tous les acteurs scolaires. Les travailleurs des associations impliquées sont venus à toutes les réunions, ils ont remis des rapports, ils se sont vraiment investis pour faire un diagnostic de la situation et dégager des pistes d’action concrète. À nous maintenant, acteurs scolaires (direction, élèves, éducateurs, enseignants…) et extrascolaires (service d’accrochage scolaire, médiateur, PMS) de transformer ces pistes en projets et de consolider une démarche résolument axée sur la confiance, le dialogue et la participation de tous, en particulier des jeunes. Les associations partenaires se montrent toujours disponibles si besoin. Cette démarche répond à la demande initiale de mon équipe de « faire quelque chose ». Pour moi, en tant que directeur, les objectifs étaient de ne pas soutenir la politique de l’autruche mais bien de viser la diminution des risques sanitaires pour les élèves et le renforcement de leurs compétences. Il s’agissait aussi de dédramatiser certaines réactions des professionnels.

 

Le bémol, c’est que ce type de démarche est particulièrement lent. C’est un processus qui demande beaucoup de temps en interne, de l’implication dans la durée et des personnes un minimum formées. Chaque étape de la démarche suscite des questions éthiques et pratiques qui se confrontent aux réalités scolaires. L’organisation des groupes de parole pour l’établissement du diagnostic, une étape fondamentale qui fait l’état de la situation en termes de perceptions et de besoins des acteurs scolaires (élèves et professionnels), ne s’est pas faite toute seule. Il y a toute une série de questions qui se sont posées : comment va-t-on organiser ces moments ? Comment maximiser la participation des élèves et des professionnels ? Quelle communication ? Dans quel local ? Sur quelles heures ? Avec quel suivi ? Et puis, plus globalement, il faut savoir que nous avons un taux de renouvèlement des élèves de 30 % par an. Donc statistiquement, tous les élèves ayant été impliqués dans une initiative prise au cours de l’année, seront partis dans trois ans. C’est donc beaucoup d’énergie dépensée.

Et puis il y a une partie des enseignants qui considère que la prévention des assuétudes ne fait pas vraiment partie de leurs missions. Il est vrai que nous les écoles nous en avons déjà trop ! Avec certains élèves que nous accueillons, nous faisons presque de l’alphabétisation. Aussi, nous accueillons des primo-arrivants, sans structure propre, qui parlent à peine français. Là nous travaillons sur deux ans parce que, tout simplement, nous ne visons pas la réussite la première année. C’est compliqué d’aborder de manière approfondie des questions comme les assuétudes ou la citoyenneté dans ces conditions.

Que retirez-vous en tant que participant à la journée du 6 mai ?

J’ai accepté de participer à cette journée en tant que directeur d’une école dans laquelle on a entrepris une démarche spécifique par rapport aux assuétudes.

Or, on m’a demandé ce qui justifiait une descente de police dans une école. Je pense que je n’aurais pas dû répondre à la question, car ne voulant pas dénigrer les directions qui font appel à la police, je me suis retrouvé à jouer le rôle de leur avocat. J’ai évidemment pris soin de préciser que je n’étais pas un porte-parole des directions, mais j’étais un peu mal pris, d’autant plus qu’à part moi, il n’y avait que deux autres directeurs, dont un d’une école primaire et l’autre de l’enseignement  spécialisé.

Cela dit, j’ai apprécié le dispositif participatif, même si cela peut générer autant de frustrations que de plaisirs. De plus, comme on était nombreux, les temps de paroles étaient courts, ce qui n’a pas rendu évident le développement des idées de chacun.

Et puis, je dois avouer que je me suis senti assez mal par rapport au fait que la journée était filmée, car avec un petit montage on peut me faire dire des choses que je ne pense absolument pas.

Enfin un participant a soulevé que les élèves ont été les grands absents. J’aurais pu venir avec plusieurs classes ou avec les délégués sans problème. Mon école se trouve à 500 m et je pense que dans le cadre de la démarche que j’essaie de mettre en place dans mon école, leur présence aurait été tout à fait justifiée et cohérente. C’est d’ailleurs lors des focus-groupes élèves instaurés dans le cadre de la démarche de prévention mise sur pied dans mon école que les pistes d’actions les plus pertinentes ont émergé : organiser une journée de l’abstinence pour fédérer et faire parler des consommations, ou encore un concours d’affiche en lien avec « les consos »… pour ne citer que celles-là.

Les élèves manifestent une envie réelle de projets ! Et je ne suis pas d’accord avec ceux qui prétendent qu’il est impossible de faire venir les élèves au sein de rencontres comme celle-là parce que le système ou les directions ne le permettent pas. Ce n’est pas vrai et d’ailleurs les circulaires l’encouragent !