À quoi tu carbures? Exploration du lien entre drogues et travail par des élèves de 5e professionnelle.

juillet 2016

Nous sommes dans le courant de l’année scolaire 2014 dans une école anderlechtoise. Pas de policier en vue… Dans un local de l’immense Institut Emile Gryson, vingt élèves du cours de morale laïque de 5e professionnelle expriment l’envie de travailler la question des drogues. L’idée est accueillie avec enthousiasme par leur professeur de morale, qui entreprend de nous contacter pour imaginer la mise sur pied d’un projet de plusieurs mois dans le cadre de ses heures de cours.

En guise de préalable, il est apparu essentiel de partir des représentations des élèves sur les drogues et la santé à l’aide d’un outil permettant les échanges autour des notions de dépendance, de bien-être et des motivations d’usages. Cette première séance de cours est également l’occasion de dessiner les prémisses d’une dynamique participative qui se poursuivra par l’élaboration concrète d’un reportage radio, en collaboration avec Radio Panik¹, sur les liens entre la consommation de drogues et le travail. Sur ces bases, le programme de départ, co-construit par le professeur de morale et Prospective Jeunesse, évoluera constamment en fonction des questionnements des élèves qui élaborent progressivement le fil rouge du reportage, guidés par un professeur bienveillant, dans un climat de confiance.

Les élèves visionnent ensuite un long métrage met- tant en scène Eddie², personnage jusque là sans éclat, qui découvre une substance pharmaceutique lui permettant d’exploiter son potentiel intellectuel au maximum et subjuguer son entourage… Jusqu’au jour où il doit affronter les effets secondaires du produit et faire face à tous ceux qui le pourchassent pour mettre la main sur ses stocks. Les élèves sont alors invités à réfléchir et débattre autour de différents aspects de l’addiction, sur base d’une série de questions formulées par leur professeur : quelle stratégie pour éviter les effets secondaires ? Quelles conséquences liées à la consommation ? Quelle autre fin pourrait-on imaginer à cette histoire ?

Par après, quelque peu influencés par la vision de ce film, les élèves sont amenés, par petits groupes, à élaborer les questions pouvant servir à la réalisation d’une interview. Chaque élève repart avec une sélection de cinq questions: consommez-vous des produits quand vous êtes fatigué ? Comment gérer les collègues qui consomment ? L’addiction rend-elle le travail plus facile ou plus difficile ? Quelles pourraient être les raisons d’une addiction dans un contexte professionnel ? Comment en sortir ? Une seule consigne leur est donnée : interviewer la personne de leur choix sur son lieu de travail.

Entre temps, une séance de cours est consacrée à la rencontre des partenaires-animateurs de Radio Panik qui viennent en classe expliquer aux élèves leur travail et imaginer avec eux le contexte sonore du reportage.

Après Pâques, les élèves reviennent avec les réponses aux interviews — au total une centaine ! — dont ils doivent dans un premier temps retranscrire l’essentiel et sélectionner les éléments pertinents à garder pour en discuter avec la classe. Par groupe, ils choisissent ensuite une séquence et explique au reste de la classe pourquoi ils ont retenu cette partie- là. Ainsi, au sortir du cours, les élèves disposent de la substance du reportage… Ils sont prêts pour la phase  d’enregistrement.


Nous ne décrirons pas en de meilleurs mots que ceux d’une animatrice de Radio Panik, la manière dont se déroule la séance d’enregistrement, dans les studios de l’association à Saint-Josse. Elle met en lumière l’intérêt de travailler avec le médium radio et tout le potentiel pédagogique qu’il renferme: s’enregistrer puis se réécouter les a motivés. Le premier essai, en classe, déclencha d’ailleurs un enthousiasme que je n’aurais pas imaginé. La radio comme outil et comme lieu les a « enthousiasmés ». Le jour de l’enregistre- ment au studio fut vraiment magique. Je n’aurais pas soupçonné une telle implication de leur part. L’aspect concret, tactile et sensitif du travail les motive… Cette classe était vraiment un bon groupe. J’ai senti la possibilité et la grande envie de leur part de réaliser une émission. Passer sur les ondes, prendre la parole les intéresse. Ils étaient inquiets de savoir si ce travail serait diffusé et, donc, un peu déçu de ne pas pouvoir diffuser cet objet sonore. Une émission est synonyme d’être entendu, écouté par une certaine audience. Ils sont intéressés par un projet dans la mesure où ils en sont acteurs.

Prendre le temps de s’approprier l’outil radio, s’ancrer dans la réalité, passer plus de temps sur le terrain, manipuler des outils, renforcer les collaborations sont autant de dimensions dont nous n’aurions pas saisi l’importance si l’initiative n’avait pas été prise par ce professeur de morale, de mettre ses élèves en projet. Pour l’heure et de son point de vue, on a déjà fait bouger les lignes à différents niveaux : les élèves ont fait appel à l’entraide et à la collaboration quand c’était nécessaire, ils ont manifesté un certain plaisir à s’exprimer au micro et une fierté dans le fait d’avoir mené à bien ce projet et d’avoir réalisé un objet sonore. Et surtout, le projet a contribué à établir une relation élève-professeur basée sur une plus grande compréhension réciproque.

Toujours pas de policier en vue… Les élèves de la 5e professionnelle ne les auront pas attendus pour s’emparer de la question des drogues, aussi sensible soit-elle. Sur la cartographie des incidences, on se situe plus près de la satisfaction collective que du traumatisme. Avis à tous ceux qui cherchent des idées pour remplir les cours « de rien », pardon, les deux heures « d’encadrement pédagogique alternatif »…


1. Radio Panik est une radio libre créée en Située à Saint-Josse, elle se définit comme radio associative d’expression et de création ainsi que comme radio multi- et inter- culturelle.

2. Limitless, Neil Burger, 2011

EXTRAITS DE LA CAPSULE « POURQUOI LE JEUNE SE DROGUE-T-IL ? »

« Une école idéale serait une école où on apprendrait à vivre, à prendre nos propres décisions. On se sentirait alors plus libre et on aurait une réelle motivation en allant à l’école. »

« Au début, je pensais que la prévention ne servait à rien. C’était très flou dans ma tête, j’avais l’impression qu’il n’y avait aucune issue. Mais maintenant, j’y vois plus clair. Je vois qu’en fait si, il y a des solutions pour des écoles meilleures. »