Face à l’inquiétante recrudescence des interventions policières dans les écoles destinées à prévenir les consommations de drogues, une série d’institutions se sont mobilisées pour dénoncer tant l’inefficacité que l’illégalité de ces pratiques, mais aussi et surtout proposer des alternatives, respectueuses du droit et productrice de sens pour tous.
Des policiers dans l’école… Cela se passe près de chez nous. De plus en plus souvent. Afin de répondre aux problèmes posés par l’usage de drogues à l’école et aux alentours, une direction met sur pied une intervention policière anti-drogues. Concrètement, 15 à 20 policiers arrivent en classe. Les élèves, alignés dans le couloir, sont reniflés par les chiens puis fouillés un à un, à l’abri du regard des autres. Le but ?
« Mettre les jeunes face à leurs responsabilités » nous disent la police et les directeurs. Ainsi, les élèves ne sont pas sanctionnés par l’école, c’est devant la police et les services jeunesse de la police qu’ils répondront de leur délit.
Ce type d’interventions se multiplie dans les établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elles sont organisées dans le cadre de la circulaire PLP41¹ qui encourage les collaborations entre écoles et police et qui a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des associations œuvrant dans les domaines de l’éducation et de la prévention.
Un positionnement collectif pour agir
En 2013, le Délégué général aux droits de l’enfant (DGDE) s’indignait déjà de ces pratiques qu’il considère comme humiliantes, dégradantes et inefficaces, tant sur le plan pédagogique qu’au niveau préventif. Il a alors contacté le Centre Bruxellois de Promotion de la Santé (CBPS) en sa qualité de point d’appui aux écoles en matière d’assuétudes à Bruxelles.
C’est dans ce contexte que le CBPS, en concertation et en partenariat avec le DGDE, a décidé de réunir une série d’acteurs afin de faire le point sur le cadre règlementaire régissant les rapports police-écoles. Une première réunion a abouti à la mise en place d’un groupe de travail réunissant le DGDE, Infor-Drogues, Prospective Jeunesse, le FARES, la Liaison Antiprohibitionniste, la Ligue des droits de l’Homme, le Service Droit des Jeunes de Bruxelles, Bruxelles Laïque et le CBPS. La Concertation Réflexion École Police Bruxelles (CREPB) était née.
La CREPB, pour quoi faire ?
Cette concertation a pour objectif de soutenir une réflexion collective autour du recours à la police par les directions d’école pour des questions d’usages présumés de drogues.
La réflexion a abouti à une mise en garde quant à l’inefficacité de ces interventions en matière de prévention des assuétudes. De plus, elle a permis de mettre en lumière les atteintes à la légalité que ces pratiques impliquent et la mise en cause de l’autorité des chefs d’établissements qu’elles provoquent tout en suggérant une série d’actions concrètes afin de favoriser les relations entre les acteurs de la prévention et le monde scolaire.
Enfin, la CREPB a également attiré l’attention des politiques et de la communauté éducative sur cette problématique.
Des outils concrets²
À ce jour, une série d’outils ont été créés par la CREPB. Infor-Drogues et la Ligue des droits de l’Homme ont élaboré dans un premier temps une première brochure présentant les effets potentiellement problématiques des interventions policières en milieu scolaire
Une seconde brochure intitulée « Drogue-Police- École : droits, questions et pistes » a été réalisée par la CREPB pour présenter, sous forme de synthèse, les éléments juridiques liés aux interventions policières et proposer des démarches de prévention alternatives aux actions policières. Élaboré notamment sur base de rencontres avec des directions d’établissement, ce support permet de clarifier le travail des services spécialisés et détailler leur logique d’intervention.
Par la suite, un support média, réalisé sous la forme de capsules vidéo, a été créé avec la participation d’une dizaine de jeunes. Ce travail a permis l’expression de leurs ressentis et de leurs réflexions sur l’école, la police et les dépendances.
Une lettre ouverte, publiée dans ce numéro, a également été rédigée par les différents membres de la CREPB afin d’interpeller le monde politique et la société civile par rapport à des méthodes inefficaces et improductives en matière de santé et d’éducation.
Enfin, une matinée d’échanges et de débats, organisée le 6 mai 2015, a réuni de nombreux acteurs issus de divers horizons, de la promotion de la santé à l’institution policière en passant par l’école³.
Avant tout, soutenir l’école
On demande beaucoup de choses à l’école. Qu’elle s’outille mieux. Qu’elle collabore. Qu’elle éduque. Qu’elle innove. En la critiquant souvent. En lui offrant peu de moyens. Les directions se trouvent régulièrement seules face aux contradictions d’un système qui s’emballe, prises entre les feux des acteurs scolaires, des jeunes, des parents et du monde extérieur, écartelées entre le devoir de transmettre, la nécessité de pallier et la volonté de ne pas nuire. Les questions liées aux drogues sont un révélateur puissant des contradictions sociales à l’œuvre aujourd’hui.
C’est pour relancer la réflexion sur cette position intenable et soutenir, à sa mesure, un cheminement autour duquel tous les acteurs de la prévention et de l’éducation sont concernés que les associations membres de la CREPB ont décidé de se mobiliser.
1. La PLP41 est la circulaire ministérielle du SPF Intérieur du 7 juillet 2006 « en vue du renforcement et/ou de l’ajustement de la politique de sécurité locale ainsi que de l’approche spécifique en matière de crimina- lité juvénile avec, en particulier, un point de contact pour les écoles ».
2. Voir l’article d’Antoine Boucher dans le présent numéro pour une présentation de ces différents
3. Voir l’article de Paul Herman en conclu- sion du présent numéro pour une piquante synthèse de cette matinée.
Afin de relayer la parole des jeunes et d’alimenter le débat dans le cadre de la matinée d’études consacrée aux liens entre la police et l’école en matière de consommation de drogues, le groupe de Concertation et de Réflexion École- Police Bruxelles (CREPB)¹ a souhaité proposer à un groupe de jeunes de se mettre en réflexion.
Dans ce cadre, trois capsules vidéo ont été réalisées par un groupe de 12 jeunes d’horizons divers, accompagnés par Prospective Jeunesse, en partenariat avec l’asbl Comme un Lundi² pour le soutien artistique et technique de la vidéo. À noter également que les capsules s’intègrent dans les projets « Art et Prévention » de Prospective Jeunesse qui visent à favoriser l’ouverture de débats avec les jeunes et leur participation active ainsi que celles des adultes qui les encadrent par le biais de la pratique artistique³.
En pratique, l’atelier de création vidéo a été organisé fin 2014 pendant trois jours au cours desquels le groupe de jeunes a appris à se connaître, à apprivoiser la thématique en s’appropriant une série de questionnements face au recours à la police dans les établissements scolaires confrontés à la consommation de can- nabis, à réaliser des interviews auprès de professionnels, à formuler et exprimer leur propre opinion sur la thématique et à se familiariser avec les aspects tech- niques de la réalisation audiovisuelle. L’ensemble de l’atelier créatif a été filmé par les jeunes eux-mêmes. Le montage des trois capsules a ensuite été réalisé par l’asbl Comme un Lundi et Prospective Jeunesse en février 2015 avant leur diffusion publique lors du colloque « Mes stress d’école » du 6 mai 2015.
Les trois capsules vidéo réalisées avec les jeunes correspondent aux trois thématiques abordées lors du colloque :
Une série de paroles des jeunes extraites directement de ces capsules viennent illustrer les pages de ce numéro. Elles sont également accessibles via le web- documentaire réalisé sur la thématique Drogues-Police-École via le lien suivant : http://enlignedirecte.be/messtressdecole/#Accueil.
1. Les membres du groupe CREPB sont le Centre Bruxellois de promotion de la Santé, le Délégué général aux droits de l’enfant, Infor-Drogues, Prospective Jeunesse, la Liaison Antiprohibitioniste, la Ligue des droits de l’Homme, le Service Droit des Jeunes, Bruxelles Laïque et le Fonds des Affec- tions
2. Comme un Lundi asbl dédie ses activités à l’éducation aux médias et à la citoyenneté ainsi qu’à des réalisations Pauline Bo-mbaert, animatrice de Comme un Lundi, a accompagné les jeunes dans la réalisation des capsules.
3. Voir à ce sujet le numéro 63 de la revue « Drogues | Santé | Prévention » (automne 2012).