« Opérations anti-drogues » à l’école : inefficace et anti pédagogique

juillet 2016

Quelle image a-t-on de l’école et des élèves pour y autoriser l’entrée de policiers et de chiens renifleurs ? L’école pourrait-elle être une plaque tournante d’un trafic de drogues que les autorités et les processus pédagogiques ne peuvent enrayer ?

Chaque nouvelle « opération anti-drogue » menée dans une école de Bruxelles se passe dans l’indiffé- rence générale. Pourtant, une série d’acteurs pointent, depuis longtemps, l’inutilité de ses mé- thodes stigmatisantes et dégradantes. Ce type de pratiques induit une fausse impression de « rassu- rement » chez certains mais constitue un échec sur le plan éducatif et pédagogique. Sous couvert de prétentions « préventives », certaines directions d’école présentent l’intervention policière dans les écoles comme la solution efficace pour mettre un terme à toute consommation de cannabis ou autres psychotropes. De plus, certaines écoles ont intégré dans leur projet pédagogique et ce, dans une logique du marché scolaire, une note instituant deux fois par an, en collaboration avec la police, des opérations drogue sans prévenir personne. But ? Rassurer que l’école est bien « clean » !

Il faut pourtant rappeler le risque que des élèves non concernés par des faits de consommation ou de trafic se retrouvent pointés par des chiens policiers qui peuvent identifier un élève à tort. Lorsqu’on sait également que les saisies de drogues effectuées lors de ce genre d’opération policière sont extrême- ment maigres, il est légitime de questionner l’effi- cacité de ces interventions, d’autant plus au regard des effets de stigmatisation bien plus importants pour les élèves.

À côté de cela, il faut rappeler que la consommation de cannabis est un phénomène répandu dans notre société et que la règlementation est peu claire parce qu’elle nécessite de mobiliser plusieurs instruments juridiques (loi, arrêté royal, circulaire…) et parce que son application n’est pas uniforme car elle varie selon différents critères (âge de la personne, tolérance des autorités locales…).

Enfin, si un processus de rappel de certains interdits et des impacts pour la santé peut être envisagé, il ne doit pas se dérouler de façon aussi violente et intrusive, au mépris de droits et liber- tés individuelles tel le respect de la vie privée.

La question des dépendances est à prendre avec sérieux mais compromettre le capital confiance qui existe au sein des lieux d’éducation et d’instruction nous semble dangereux. En effet, le travail de la police n’a pas le même objectif que celui des équipes éducatives, les méthodes de travail sont distinctes et le code de déontologie régissant les professions est bien différent.

Enfin, rappelons la circulaire du ministre de l’Intérieur du 7 juillet 2006³ qui encourage les collaborations entre écoles et police pour lutter contre les infractions (dont les faits de drogue) alors que plusieurs autres circulaires préconisent une approche préventive et éducative. Pourquoi ne pourrait-on pas plutôt imaginer qu’en début d’année scolaire, les responsables des écoles s’accordent avec les acteurs mobilisables autour des trois questions qui partout posent problème aux écoles — toxicomanie, décrochage scolaire et violence — sur le mode d’organisation à adopter et sur la mise en place, en amont, d’un programme de prévention adapté afin de ne pas envisager de faire appel à la police dans une situation de crise ou d’urgence?

En effet, il existe de réels acteurs de prévention : des points d’appui aux écoles en matière de prévention des assuétudes au sein des CLPS, des centres PMS et PSE ou encore des services spécialisés subsidiés par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Force est de constater que ces ressources sont peu perçues comme de véritables partenaires que la direction d’établissement peut solliciter et mobiliser pour aborder la question de la consommation de canna- bis dans ou aux alentours de l’école.


  1. Cette lettre ouverte est le résultat d’une réflexion collective du groupe de Concertation Réflexion École-Police Bruxelles
  2. Le groupe de Concertation Réflexion Ecole- Police Bruxelles est composé de Bruxelles Laïque, du Centre Bruxellois de Promotion de la Santé, du Délégué Général des Droits de l’Enfant, du Fonds des Affections Respira- toires, d’Infor-Drogues, de la Liaison Antiprohi- bitionniste, de la Ligue des droits de l’Homme, du Service Droits des Jeunes et de Prospective
  3. Circulaire ministérielle PLP 41 du 7 juillet 2006 en vue du renforcement et/ou de l’ajus- tement de la politique de sécurité locale ainsi que de l’approche spécifique en matière de criminalité juvénile avec, en particulier, un point de contact pour les écoles. Le document est téléchargeable via : enseignement.be/index.php?page=26823&do_id=1910