La déception est sans doute à la hauteur des attentes et… de la durée d’attente. Après des années, la Belgique semble sur le point de se doter d’un Plan alcool, auquel les experts ne sont même pas prêts à accorder ce titre
Le 10 novembre 2022, le comité ministériel restreint du gouvernement fédéral a avalisé les grandes lignes d’un Plan alcool, qui doit être formellement adopté lors d’une CIM (Conférence interministérielle) Santé à la mi-décembre. C’est peu dire que les mesures retenues ont reçu un accueil particulièrement critique (voir les interviews de Thomas Orban et Martin de Duve, dans ce numéro) et que la liste de ce qui ne figure pas dans le plan est bien plus longue que ce qui y figure.
Nous proposons ici un résumé des mesures convenues, que nous mettons en regard des revendications du « Groupe porteur Jeunes, alcool et société1 » (Voir Encadré).
Les premières mesures concernent la publicité en faveur de l’alcool dans une période courant de 5 minutes avant jusqu’à 5 minutes après une émission qui vise un public mineur d’âge, ainsi que dans les journaux et publications visant principalement ce public. Il en va de même dans les cinémas et sur les « supports digitaux », sans que les modalités de détermination ce cette catégorie (« qui vise un public mineur d’âge » aient été précisées.
Les secondes concernent l’interdiction de la vente d’alcool fort aux 16-18 ans. Dans la loi actuelle, la distinction est faite en fonction du mode de production, qui ne correspond plus à l’évolution du marché, qui propose désormais de nombreux produits hybrides ou mixtes, de sorte que le personnel des bars ou des magasins ne sait pas toujours ce qu’il peut vendre à qui.
En termes de lieux de vente, les avancées concernent les stations autoroutières, dans lesquelles la vente d’alcool sera désormais interdite… mais seulement entre 22h et 7h du matin. Cette vente sera également interdite dans les magasins des hôpitaux et dans les distributeurs automatiques.
Enfin, le gouvernement fédéral veut élaborer et mettre en œuvre un trajet de soins alcool, spécifiquement pour le groupe cible des adolescents et des jeunes adultes. Il souhaite élaborer ce trajet de soins en coopération avec les partenaires du réseau Soins de santé mentale. Le gouvernement fédéral veut proposer aux jeunes qui arrivent par les urgences – en raison d’une intoxication à l’alcool et/ou à la suite d’un accident sous influence – un trajet de soins auquel les parents sont également associés. Ce trajet de soins doit également être poursuivi après la sortie de l’hôpital. Le modèle en a été développé à Anvers et à l’heure actuelle, les partenaires chargés de développer ce trajet de soins ne sont pas encore connus.
On le voit, ces quelques mesures font particulièrement pâle figure en regard des demandes beaucoup plus fortes du secteur, non seulement sur les points abordés, mais aussi sur ceux qui ne figurent même pas dans le « Plan ».
L’alcool est aujourd’hui le seul psychotrope pour lequel il est encore autorisé de faire de la publicité. Celle-ci est omniprésente, en particulier en Belgique, et les alcooliers ne cessent de développer des pratiques commerciales douteuses dans le but de favoriser les surconsommations et de toucher de nouveaux publics, dont celui des plus jeunes.
Il faut interdire la publicité pour l’alcool, à l’instar des autres psychotropes pour lesquels elle a déjà été interdite. En effet, l’État, dans le cadre d’une politique « drogues » cohérente, doit permettre aux consommateurs de faire des choix libres et éclairés, dénués de toute influence publicitaire et commerciale.
La loi permet de poser un cadre, des limites et, dans le cas de la consommation d’alcool, de protéger les mineurs. Cependant, la législation en vigueur, qui distingue boissons fermentées et boissons spiritueuses, n’est pas encore assez claire. Le terme « spiritueux » est difficilement compréhensible, peu connu du public et aucune information n’est disponible sur les contenants pour rendre compte de cette distinction. En outre, la loi reste peu appliquée (plus de 80% des commerces vendent encore des boissons spiritueuses à des mineurs d’âge alors que la loi le leur interdit) et témoigne de la difficulté à l’intégrer. L’adoption d’une loi claire pour tous faciliterait le travail préventif et éducatif des acteurs de terrain. Une loi doit être compréhensible et appliquée pour être efficace.
Dès lors, si le législateur veut garder une distinction entre certains types de boissons alcoolisées selon les âges (16-18 ans), il est préférable de se baser sur le taux d’alcool puisque l’information est accessible sur les bouteilles et donc disponible à tous. Nous proposons ainsi cette clarification : en dessous de 16 ans : aucune boisson alcoolisée ; à partir de 16 ans : toute boisson alcoolisée dont le taux d’alcool ne dépasse pas 16° ; au-dessus de 18 ans : toute boisson alcoolisée.
La promotion de la santé doit être réellement considérée comme prioritaire, et à soutenir à long terme. Or, en matière de drogues, les dépenses publiques octroyées au secteur « prévention » et « réduction des risques » paraissent encore quasi insignifiantes au regard de celles attribuées aux secteurs « assistance » et « sécurité. Il est donc temps de rétablir un juste équilibre pour donner une place plus importante qu’elle ne l’est actuellement aux actions éducatives et de promotion de la santé, investissement utile et efficace puisqu’il permet, in fine, d’agir réellement sur les comportements à risque pour l’individu et pour la société.
Aujourd’hui, la loi pénalise toute personne qui sert de l’alcool à un jeune de moins de 16 ans et concerne ainsi, de facto, les parents. Dépénaliser l’apprentissage parental permettrait ainsi aux parents d’assurer un rôle éducatif en matière de consommation d’alcool, levier d’apprentissage à une consommation cadrée, généralement progressive, socialement adaptée, plus responsable et moins risquée. Il conviendrait qu’à la loi actuelle « Il est interdit de vendre, de servir ou d’offrir… », soit ajoutée la mention « à titre commercial ou promotionnel » afin de pallier ce travers.
Le secteur de l’alcool offre un exemple flagrant des dérives des pratiques publicitaires. Mais ces dérives s’observent également en matière d’alimentation, de développement durable, d’égalité des sexes ou encore de greenwashing. C’est donc l’ensemble de la publicité qui doit être mieux contrôlée. Il est dès lors nécessaire de réguler l’ensemble de la publicité à travers un Conseil fédéral de la publicité, organe public à créer, indépendant, au pouvoir réellement contraignant et aux missions d’observation élargies. Le secteur privé ne pourra jamais se substituer au secteur public dans la défense de l’intérêt général.
Les risques encourus par le consommateur sont exacerbés par la déshydratation que l’alcool provoque. Nous devons donc faciliter l’accès à l’eau afin de généraliser le fait d’alterner boisson alcoolisée et boisson « soft » chez les consommateurs d’alcool. Rendre l’accès gratuit à l’eau dans les restaurants, cafés et bars (comme c’est déjà le cas en France, en Grèce, en Suède et au Royaume-Uni) accorderait la priorité à la santé de tous plutôt qu’à l’intérêt économique d’une minorité.
Le consommateur devrait avoir, en toutes circonstances, le droit d’être informé sur ce qu’il consomme. L’UE impose d’ailleurs cette obligation à tous les produits alimentaires, sauf aux boissons alcoolisées. Il faut mettre fin à cette exception et ajouter aux informations nutritionnelles les données relatives au nombre d’unités standards d’alcool que contient le flacon.).
Le décret sur les services de médias audiovisuels en Fédération Wallonie-Bruxelles prévoit l’octroi d’espaces gratuits pour des campagnes d’éducation pour la santé au prorata des espaces publicitaires pour des boissons alcoolisées. Ce lien paradoxal doit être rompu. Le législateur doit fournir des espaces garantis et indépendants tout en renforçant le budget octroyé à la prévention. Dès lors, nous proposons que soit mis en place un quota annuel fixe d’espaces gratuits pour les campagnes de prévention, basé sur la moyenne des espaces qui ont été octroyés pour celles-ci lors des cinq dernières années sur chaque chaîne (budgets de réalisation non compris).
Aujourd’hui, le Jury d’éthique publicitaire « oblige » (sans réel pouvoir contraignant puisque c’est un organe privé) la mention « Notre savoir-faire se déguste avec sagesse » sur toute publicité alcool. Mais celle-ci apparaît plutôt comme un slogan publicitaire qu’un avertissement sanitaire. Pour sortir de cette hypocrisie et tant que la publicité est autorisée, il faut la remplacer par une mention plus objective et informative, du type « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé ».
1 Ce groupe réunit treize associations issues des secteurs de l’éducation, de la santé et de la jeunesse dans le but de promouvoir des consommations responsables et moins risquées d’alcool : Citadelle, Forum des jeunes, Infor Drogues, Latitude Jeunes, Le Pélican, Les Scouts, Ligue des familles, Modus Vivendi, Ocarina, Prospective Jeunesse, Question Santé, Recherche action pour une prévention intégrée des dépendances et Univers santé. L’intégralité des revendications du groupe est consultable ici : https://www.jeunesetalcool.be/nos-revendications/.