La confiance en autrui n’est pas une valeur très en vogue de ce côté-ci de l’Europe. Les enquêtes quadriennales de l’European Values Study montrent que seul un tiers de la population affirme accorder sa confiance à autrui. En revanche, le résultat est plus élevé et la confiance plus valorisée dans les pays scandinaves. D’autres études montrent la même dichotomie entre nord et sud de l’Europe concernant la foi dans les discours médiatiques ou politiques. La méfiance généralisée dans nos pays ne découlerait donc pas uniquement d’un contexte de scandales, de fautes ou de collusions dévoilées au grand jour, d’un contexte « qui ferait forcément que… », mais serait également bien ancrée dans les tréfonds de nos représentations collectives.
Faire confiance, conseil cher à nos professions, aurait-il dès lors les allures d’une injonction, allant à l’encontre de nos ressentis et de nos mécanismes d’appréhension de la réalité ? Voilà qui expliquerait pourquoi cette thématique ne se démode pas malgré les années et en dépit des multiples théories sur son importance dans notre société et sur son implantation dans nos pratiques.
Si les jeunes et les usagers de drogues ont bien un point commun, c’est d’être, dans leur domaine, deux publics perçus comme peu dignes de confiance, à surveiller, à cadrer et à protéger. Dans ces pages, Anne-Sophie Poncelet, pour les jeunes, et Grégory Lambrette, pour les addicts, confrontent ces stéréotypes à la réalité, tandis qu’Emilie Walewyns et Matthieu Méan présentent une stratégie de Réduction des Risques auprès des étudiants qui mise sur leur responsabilisation et sur leur participation active au projet.
L’actualité politique de ces derniers mois a également été animée par les relations entre pouvoirs publics et travail social, au point de les redéfinir. Modification des règles du secret professionnel, financement par appels à projet, signes d’une confiance amoindrie ? Les premiers concernés se doivent de questionner ces évolutions, leurs conséquences à court et à long terme, car elles transforment les professions du social et de la santé dans le quotidien mais aussi leurs rôles et leur place pour l’avenir. Ce sont Aude Meulemeester, pour le Comité de Vigilance en Travail Social, et Jacques Moriau, du Conseil Bruxellois de Coordination Sociopolitique, qui se sont prêtés à l’exercice d’analyse et de projection, pour mieux permettre à chacun d’entre nous de s’approprier ces nouveautés sans faux-semblant, sans naïveté, sans fatalisme non plus.
La leçon de ce numéro pourrait être la même que celle du jeu « The evolution of trust » – autrement dit « l’évolution de la confiance ». Disponible en ligne, il décortique par les techniques de l’apprentissage actif les prises de décision qui renforcent ou déstabilisent la confiance entre les individus. Parmi les comportements proposés, le joueur comprend que c’est le « copycat » qui s’en sort le mieux dans ses relations aux autres, loyal envers ceux qui lui font confiance, méfiant vis-à-vis de ceux qui l’ont trompé. Dans les pages suivantes, se dessinent implicitement des cercles vicieux et des cercles vertueux de la confiance, dans lesquels nous sommes nous-mêmes engagés, probablement plus que nous ne l’imaginions.
Enfin, « hors thématique », Damien Favresse aborde la rencontre entre pratiques scientifiques et pratiques de terrain. Comment profiter de leurs enseignements respectifs et les appliquer les unes aux autres de manière fructueuse ? Ce n’est guère une recette, mais on serait tenté de copier les magazines de cuisine et de vous inviter à nous envoyer une photo du résultat si vous la faites !