Édito : le groupe facteur de risque ou de protection ?

avril 2023

Entre facteur de risque, facteur de prévention et mode de soutien, la question du groupe s’est toujours montrée ambivalente dans une perspective de prévention. Car le groupe peut être un lieu de pression poussant l’individu à adopter des comportements contre son gré, tout autant – et parfois en même temps – qu’il est susceptible de développer un sentiment positif d’appartenance et d’identité déterminant dans le sentiment de bien-être. C’est donc par la figure de Janus que s’appréhende le mieux la conception du groupe. Rappelons que ce dieu romain à une tête faite de deux visages opposés, gardien des passages et des croisements, est en outre la divinité du changement, de la transition.

Tous ces effets « Janus » de l’appartenance au groupe, tant positifs que délétères, sont dûment étudiés, documentés et établis. Il est donc tentant de prendre le « groupe » comme pilier de déploiement d’une politique de prévention des assuétudes.
Le hic, c’est que ces effets s’avèrent infiniment complexes dès qu’on les étudie de près et parfois contradictoires, en fonction de critère comme le genre, la position dans le groupe et, dans le cas de la consommation de substances, de la nature de la substance consommée. Pour ne prendre qu’un seul exemple, une étude a montré qu’une bonne qualité de relation au groupe est corrélée positivement pour les consommations occasionnelles d’alcool, mais négativement pour les consommations fréquentes de tabac.
En outre, les outils de communication numérique, au premier rang desquels les réseaux sociaux, ont permis de donner de nouveaux modes d’existence aux groupes en les détachant des contingences géographiques. Ces nouveaux groupes transnationaux sont à leur tour susceptibles de développer des normes sociales inédites et d’accélérer la diffusion de pratiques qui, naguère, auraient mis plusieurs années à traverser les frontières nationales.

Face à un tel niveau d’enchevêtrement et de complexité, c’est donc à des modes d’action particulièrement ciblés et spécifiques que doivent se résoudre les politiques publiques qui souhaiteraient agir de manière globale sur les effets de groupe – et même les opérateurs de terrain lors d’interventions plus ponctuelles.
Au total, la meilleure façon d’agir sur les groupes, c’est probablement à la fois par en-dessous (via le développement des compétences psychosociales individuelles) et par au-dessus, via un travail collectif sur les normes sociales. Loin de nous l’idée que ce travail ne serait pas effectué en Wallonie et à Bruxelles, mais force est de constater que s’il l’est, c’est de manière éparse, peu structurée, souvent inconsciente et sans soutien spécifique des pouvoirs publics. Dépasser ce constat demandera une alliance des acteurs de terrain et des pouvoirs publics pour développer une politique de prévention enfin digne de ce nom.

Il s’agit là d’un travail considérable, mais c’est sans doute à ca prix que pourra être démentie l’affirmation misanthrope du Chat de Geluck, selon laquelle « Un groupe de loups, c’est une horde. Un groupe de vaches, c’est un troupeau. Un groupe d’hommes, c’est souvent une bande de cons ».