Une plante comme une autre : entre autoproduction et vente aux amis

mars 2020

Témoignage de Gilles, autoproducteur de cannabis. Propos recueillis par Caroline Saal.

La quarantaine bien faite, Gilles accepte de nous recevoir « quand les enfants ne sont pas là ». Au menu, les plants de cannabis qui égaient son jardin avant d’embaumer un petit cagibi quelques mois par an. Gilles produit pour lui, et a un peu vendu dans le passé. Ici, point de relation avec un sombre marché noir, mais un échange convivial et monnayé entre amis.

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Cultiver son herbe comme on cultive ses tomates

Depuis une vingtaine d’années, Gilles cultive quelques plants. D’abord pour sa propre consommation, nous raconte-il : « J’ai commencé l’autoproduction quand j’avais 25 ans. Je ne voulais plus acheter n’importe quoi, ni me déplacer régulièrement à Maastricht. J’aimais bien l’idée de cultiver ma propre herbe. J’ai commencé avec deux, trois plantes dans la serre de ma mère, qui a rigolé au début, puis s’est inquiétée… ». Il a ensuite continué chez lui, appréciant l’autonomie que ça lui conférait. Gilles ne se considère pas comme un gros fumeur – « un joint le soir, avant d’aller dormir », précise-t-il – et il aime savoir ce qu’il fume. Il exprime clairement sa méfiance vis-à-vis des commerçants qui valorisent les teneurs élevées en THC : « Il y a des années, les Hollandais avaient beaucoup travaillé sur les croisements entre les herbes. Puis la légalisation américaine a entraîné des recherches pour produire le plus possible, avec le meilleur rendement, des herbes attractives. Toutes les vagues d’herbes américaines ont déferlé. Elles coûtent cher, et elles sont fortes. C’est une très mauvaise idée. C’est comme si, tout d’un coup, dans les fêtes étudiantes, on remplaçait la bière par des alcools forts ». Lui préfère les herbes légères.

La démarche de Gilles ? « Je fume mon herbe comme je mange les légumes de mon jardin. Parce que c’est plaisant. C’est gai à l’automne d’avoir plein d’herbe dans un gros pot, d’en distribuer, c’est convivial ». Gilles qualifie sa production d’artisanale : « Je plante quelques graines en extérieur, et je n’ai pas du tout investi dans du matériel pour contrôler la qualité, les engrais… » Alors que certains se munissent de petites cabines, de systèmes de ventilation, la production de Gilles dépend surtout des conditions météorologiques : « Certaines années, je récolte une super herbe ; d’autres, c’est pas terrible mais ça reste une herbe agréable. S’il fait moche, les 3/4 de la récolte peuvent être perdus, pourris par l’humidité ».

«  Ce que je gagnais avec mon herbe, ça permettait de faire mon plein de mazout pour me chauffer. »

Du beurre dans les épinards

Gilles est aujourd’hui indépendant, installé à son propre compte. Mais il a arrondi quelques fins de mois grâce à sa production : « Le cannabis a mis du beurre dans les épinards. Mon entourage se compose de nombreux fumeurs, à qui j’en ai vendu ». Gilles insiste : « Uniquement à des proches, jamais à des inconnus. Je refusais même les potes de potes ». Les avantages pour ses connaissances étaient multiples : une herbe bon marché, dont ils connaissaient la provenance et la qualité. Puis c’était l’herbe d’un ami. Un défaut ? « Elle est moins forte que celle des coffee shops, ça dépend des exigences », réfléchit Gilles.  Le cannabis a rapporté entre 2000 et 3000 euros par an. « Ce que je gagnais avec mon herbe, ça permettait de faire mon plein de mazout pour me chauffer », explique Gilles. Il sourit : « J’aimais bien dire que c’était mon énergie verte ! ».

Gilles n’a pas craint de poursuites judiciaires. Sans doute parce qu’il a gardé ses distances vis-à-vis du trafic. « Ma production est anecdotique. Les ennuis arrivent quand tu es dans une logique de commerce. Quand tu récoltes des kilos, tu déplaces de grosses quantités, ton cercle d’amis ne suffit pas. Tu vends à des coffee ou à des dealers, tu rentres dans un autre réseau ».

La récolte la plus importante de Gilles a représenté environs 2 kilos de cannabis, le résultat de neuf plants. « C’est une certaine somme d’argent, mais le temps et l’énergie que ça me prenait m’ont lassé ». La culture est contraignante : « Tous les jours, il faut être présent, nettoyer, arroser, surveiller les plantes. Si je pars en vacances, je dois trouver quelqu’un pour me remplacer ». Quand il faut récolter, les copains sont appelés en renfort : « On a un petit rituel amusant, se retrouver à sept ou huit, nettoyer et fumer l’herbe en primeur. C’est comme mettre du vin en bouteille, et le goûter. C’est convivial. Mais quand j’ai eu neuf plantes, ça prenait tous les soirs pendant un mois. On faisait tout à la main, au ciseau ». Gilles a ainsi calculé : « Je me suis rendu compte que le nombre d’heures de mes potes additionnées aux miennes, les engrais, le terreau, l’eau en faisaient en réalité un boulot comme un autre, qui ramène 10-15 euros l’heure ». Alors Gilles a diminué sa production, désormais destinée à lui et à un ou deux proches.

Légaliser, mais sans dénaturer la contre-culture cannabis

Pour Gilles, la légalisation doit avant tout permettre l’autoculture. « Le mieux, c’est que les gens puissent cultiver chez eux. C’est la meilleure manière pour savoir ce qu’on consomme et avoir du respect pour la plante. De plus en plus de personnes produisent assez pour leur propre consommation, elles n’ont pas besoin de plus, ni d’autre chose ».

Difficile, en effet, de faire confiance à une production semi-industrielle aux mains des secteurs pharmaceutique ou agroalimentaire. Le recours aux OGM ou aux pesticides ne rassure pas notre interlocuteur. Il préfère clairement une démarche non lucrative, qui conserve un rapport spirituel au cannabis : « Le cannabis, c’est une herbe qui pousse au soleil, qui prend son temps. C’est un symbole du rastafarisme. Tout l’inverse des herbes qui ne se plaisent qu’en serres industrielles et sous des lampes de croissance ».

Le coût le questionne également : « Les multinationales vendent des herbes super fortes et super chères. Si c’est taxé, ça va coûter encore plus. Les prix actuels dans les coffee, c’est parfois dingue, 30 euros du gramme ». Gilles y voit aussi une forme d’hypocrisie : « L’État va taxer le cannabis, en tirer profit alors que des personnes ont eu des problèmes judiciaires énormes parce qu’ils possédaient de l’herbe ». Il s’oppose à ce que les consommateurs et vendeurs actuels soient cyniquement oubliés des projets de loi.

Ce qui questionne le plus Gilles, ce sont les jeunes consommateurs. « Quand je conduis mes enfants à l’école, je croise des ados qui fument à 8h30 du matin ! C’est comme s’ils picolaient avant d’aller en cours… Il faut une culture des moments auxquels consommer ». Il s’arrête et se rappelle : « Quand j’étais à l’université, je ne fumais ni ne buvais pendant les blocus, mais certains de mes potes continuaient. Au fond, ils ont quand même réussi… La manière de gérer, c’est important, mais tu ne sais pas légiférer, c’est une question de bien être global ».

Gilles voit enfin quelques avantages à la vente industrielle, à conditions que la production soit contrôlée. « Ça te permet de choisir parmi une quinzaine de sortes différentes. Il y a des gens qui discutent et goûtent les variétés d’herbe comme d’autres se constituent une cave à vin : les herbes stones, qui assomment ; d’autres plus high, qui donnent la patate, envie de rire, de papoter… Des personnes cherchent des fonctions plus thérapeutiques : l’herbe les aide à vivre un traitement, à avoir de l’appétit… ». Mais la production locale devra alors pouvoir défier les multinationales : « Si le marché propose du local, les jeunes qui commencent à fumer pourraient éviter d’acheter des herbes avec un taux de THC qui met dans des états pas possibles. Si on peut contrôler l’alcool, on peut y arriver avec l’herbe ». Et de conclure : « La prohibition est hypocrite. Si tu veux t’acheter une bouteille de whisky à 200 euros ou créer une microbrasserie chez toi, tu peux. Ça devrait être pareil avec le cannabis ».

« Le cannabis, c’est une herbe qui pousse au soleil, qui prend son temps. »