Décriminalisation de la possession simple : quelles leçons ?

mars 2021

Le présent article reprend les conclusions d’une longue étude sur la décriminalisation de la possession simple de l’ensemble des drogues dans différents pays d’Europe et d’Amérique latine que Line Beauchesne a publiée dans Drogue, Santé, Société[1]. Elle permet d’identifier les éléments nécessaires à une politique de décriminalisation de la possession simple des drogues pour qu’elle constitue une étape vers une politique en matière de drogues inscrite en santé publique où le droit pénal est un dernier recours.

Le tour d’horizon des pays qui ont choisi de décriminaliser la possession simple de drogues montre que cette option demeure une voie très limitée et très fragile dans un environnement prohibitionniste. Qu’en est-il des attentes quant à une réduction de l’usage du pénal ? Presque toutes les fois qu’un pays est allé dans cette direction, les gouvernements ont jugé nécessaire d’augmenter en même temps les peines pour possession en vue de trafic et pour trafic, afin de montrer à la population, aux États-Unis, à l’Union européenne, qu’il ne s’agissait pas d’être laxiste en matière de drogues. Le résultat est que comme les quantités pour possession simple sont souvent peu définies ou très petites, plusieurs usagers se retrouvent maintenant dans le système pénal avec de lourdes peines[2]. Ce contexte prohibitionniste fait aussi en sorte que dès que les médias ou la population réclament des peines et qu’arrive un gouvernement dominé par une philosophie répressive où « la loi et l’ordre » sont privilégiés, ces politiques sont rapidement changées ou tellement diminuées, qu’elles ne veulent plus rien dire. Enfin, le contexte prohibitionniste fait également en sorte que la plupart des pays qui sont allés dans cette direction, pour montrer que c’est toujours un acte socialement inacceptable, se sont sentis obligés de remplacer les sanctions pénales par des sanctions administratives, choix qui là encore conserve la stigmatisation de l’usager de ces drogues.

L’autre justificatif à cette voie juridique est qu’elle offre davantage la capacité d’offrir des soins aux usagers problématiques. Cette fois, il faut que, d’une part, le développement économique permette cette offre de soins, ce qui n’est pas le cas dans plusieurs pays, et d’autre part, que les gouvernements soient disposés à investir dans un réseau de services cohérents et efficaces, ce qui n’est pas toujours le cas, même dans les pays occidentaux, d’où de grandes disparités de services et de soins selon les régions.

C’est ainsi que plusieurs chercheurs considèrent que certaines conditions doivent s’appliquer pour que la décriminalisation de la possession simple de l’ensemble des drogues constitue une étape positive vers moins de pénal et plus de soins aux usagers problématiques[3].

  • Dans la loi, la possession simple doit être définie de manière à inclure toute détention de drogues dont le but n’est pas le trafic à des fins commerciales, et non reposer sur des quantités arbitraires qui ne permettent pas d’inclure l’ensemble des usagers.
  • La police, sur le terrain, devrait pouvoir prendre un certain niveau de décisions à partir de lignes directrices de manière à être capable d’éviter à l’usager toute la procédure pénale, ou même la détention préventive pour que l’on décide par la suite si c’est ou non de la possession simple. Il est important d’éviter la procédure pénale aux usagers, car un casier judiciaire « peut avoir une multitude de « conséquences indirectes » négatives qui touchent à l’emploi, à la formation, au logement et à la vie familiale d’un individu. Ainsi, aux États-Unis, les condamnations pour crimes liés aux drogues – parmi lesquels la possession de certaines substances – peut conduire à : l’interdiction de servir comme juré, la privation du droit de vote dans certains États, l’expulsion d’un logement public, le refus d’aides financières pour les études supérieures, l’annulation ou la suspension du permis de conduire, l’expulsion et parfois la séparation permanente de la famille pour ceux considérés comme des « non-citoyens », l’exclusion de certains emplois et le refus de prestations sociales. Au Royaume-Uni, des recherches montrent qu’un casier judiciaire pour un délit lié au cannabis pourrait réduire de 19 % le revenu gagné pendant toute une vie[4]. »
  • Il ne doit pas y avoir de sanctions alternatives (amendes, travaux communautaires, etc.) pour simple possession (ex. : Pays-Bas), la punition, qu’elle soit pénale ou administrative, conservant la stigmatisation de l’usager et compliquant l’aide à l’usager problématique. Il ne doit pas davantage y avoir de traitements obligatoires en lieu et place de la sanction, car les personnes ne sont pas nécessairement prêtes à un traitement qu’elles risquent alors aisément d’échouer, ou n’en ont pas nécessairement besoin, mais le feront pour éviter la sanction. De plus, les chercheurs sont très critiques à l’égard d’un système d’amendes pour remplacer la sanction pénale, tel que cela existe dans certaines provinces australiennes. Ces amendes peuvent devenir impossibles à payer pour certaines classes sociales défavorisées, souvent plus visibles par la police, ou encore élargir le filet pénal parce que les amendes sont perçues comme une source de revenus pour l’État.
  • S’il ne s’agit pas de possession simple, la possession en vue de trafic doit distinguer le niveau de participation au marché dans l’usage du pénal et prendre en considération le fait qu’il y ait eu ou non de la violence dans cette participation. Il s’agit, d’une part, de conserver la peine proportionnelle au délit, d’autre part, de prendre en considération des usagers problématiques qui peuvent être en mode survie par leur participation au marché pour répondre à leur approvisionnement en drogues.

Ainsi, « Quand la décriminalisation est implantée de manière effective, elle peut permettre d’amener plus de personnes qui utilisent des drogues de manière problématique en traitement, réduire les coûts du système de justice pénale, améliorer la santé publique, et éviter pour de nombreux usagers les effets dévastateurs d’un casier judiciaire[5]. »

Toutefois, répondre à ces conditions en contexte prohibitionniste ou encore avec des institutions de justice faibles, qui peuvent se jumeler à des lacunes de soins de santé et des problèmes de développement, est un idéal difficile à remplir pour une décriminalisation de la possession simple qui constitue une étape réussie vers moins de pénal et davantage de soins. À la suite de cette décriminalisation, il faut que les gouvernements acceptent (ou puissent) investir considérablement dans la prévention et le traitement.

Faisant écho aux voix des antiprohibitionnistes, nous sommes d’avis que, même si la décriminalisation de la possession simple des drogues est correctement mise en place, elle constitue « certes une étape fondamentale qui va dans la bonne direction pour une réforme de la politique en matière de drogues, mais elle ne reste qu’une étape. Afin d’atténuer les risques causés par des réponses punitives dangereuses et inefficaces en matière de drogues, les gouvernements doivent se résoudre à réglementer les drogues illicites, de la production à la distribution[6] ».

[1] BEAUCHESNE, L., « la décriminalisation de la possession simple de l’ensemble des drogues : ses limites », Drogues, santé, société, vol.18 (1), février 2020. Cette étude est accessible sur le site de Drogues, santé, société : https://bit.ly/3xW2Qv7.

[2] EASTWOOD, N., FOX, E., ROSMARIN, A., A quiet Revolution : Drug decriminalisation across the globe, Drugs, The Law and Human Rights, 2016. Disponible sur le site de Release : https://bit.ly/2R4LKdX.

[3] Voir EASTWOOD, N., FOX, E., ROSMARIN, A., op. cit. et Commission globale de politique en matière de drogues, Pour une véritable dépénalisation des drogues : Étape nécessaire de la réforme des politiques publiques, Rapport, 2016. Disponible sur le site de la Commission : https://bit.ly/33t0eXt.  

[4] Commission globale des politiques en matière de drogues, op.cit.

[5] EASTWOOD, N., FOX, E., ROSMARIN, A., op. cit., p. 20. (Notre traduction)

[6] Commission globale de politique en matière de drogues, op. cit. p. 33.