ALEXANDER, Michelle, Paris, Syllepse, 2017.
Militante des droits civiques, Michelle Alexander entame cette enquête à partir de ce constat affligeant : « Il y a plus d’adultes africains-américains sous main de justice aujourd’hui – en prison, en mise à l’épreuve ou en liberté conditionnelle – qu’il n’y en avait réduits en esclavage en 1850. L’incarcération en masse des personnes de couleur est, pour une grande part, la raison pour laquelle un enfant noir qui naît aujourd’hui a moins de chances d’être élevé par ses deux parents qu’un enfant noir né à l’époque de l’esclavage ». Les dernières décennies de « guerre contre la drogue » ont encore intensifié la racialisation des politiques répressives que les États-Unis ont toujours connues. Dans un pays qui compte plus de deux millions de prisonniers, la mise en œuvre de la prohibition s’est traduite par la création d’une « sous-caste raciale » ou d’une « race de prisonniers ». On aimerait pouvoir affirmer sans sourciller que cet implacable diagnostic ne trouve pas à s’appliquer en dehors des États-Unis.
Alter Échos, n°465, juillet 2018.
La revue Alter Échos, spécialisée dans les politiques sociales consacre une édition entière aux effets ses politiques pénales belges en matière de stupéfiants sur les publics précaires, qui sont principalement touchés par ces politiques. L’accent est notamment mis sur les pratiques de profilage ethnique qui constituent la partie à la fois la plus visible et la plus discriminatoire des politiques répressives en matière de drogues. Au centre de ce dossier, figure ce paradoxe énoncé par le criminologue Tom Decorte (Université de Gant) : « On dit que la prohibition est mise en place pour protéger la santé des gens, mais on n’arrive pas à protéger les groupes les plus vulnérables ». C’est sans doute dans l’article de Marinette Mormont consacré aux pratiques policières dans les quartiers dits sensibles que ce paradoxe apparaît de la manière la plus tristement éclatante, et singulièrement à travers les propos de Peter Muyshondt, commissaire de police à Anvers, mais aussi fervent militant antiprohibitionniste et auteur de Beleid op speed, hoe de drugsoorlog allez in voor rede versmoort, hélas non traduit en français à ce jour.
DAVENPORT-HINES, Richard, Phoenix Press, 2001.
C’est à une histoire de cinq siècles sur tous les continents que nous convie Richard Davenport-Hines. Dans toutes les sociétés qu’il étudie depuis le début du XVIème siècle jusqu’à la fin du XXème, les humains ont recouru à différentes substances psychoactives pour rendre la vie plus trépidante ou moins douloureuses : « la sobriété absolue n’est pas un état naturel ou primaire ». Et dans toutes ces sociétés, les tentatives de mise en œuvre de mesures de prohibition, qu’elles soient spécifiques ou généralisées, se sont traduites par un accroissement de la consommation et des profits pour les vendeurs. Parce que « la seule loi que les trafiquants ne transgresseront jamais, c’est la loi de l’offre et de la demande ». Hegel a écrit un jour que la seule leçon qu’on puisse tirer de l’histoire, c’est qu’on ne tire jamais de leçon de l’histoire. À la lecture de Davenport-Hines, cette « leçon » conserve malheureusement toute sa pertinence.