Monté en puissance depuis les années ’80 dans le traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperkinétisme (TDAH), le méthylphénidate (commercialisé notamment sous le nom de Rilatine en Belgique et Ritaline en France) fait l’objet d’une controverse durable quant à son efficacité et à ses effets secondaires. Mais en amont, c’est le statut même du trouble qu’il est censé traiter qui est âprement disputé.
D’un côté, nombre de psychanalystes dénoncent dans le TDAH une étiquette creuse sans aucun substrat biologique ou génétique et quasiment ad hoc : le symptôme aurait surtout été inventé pour offrir un débouché commercial à la découverte de la molécule (méthylphénidate) qui permettait de l’amoindrir. Ils pointent comme épouvantail la surprescription qui en est faite aux États-Unis et dans un nombre croissant de pays européens, fustigent la banalisation de la consommation d’un stupéfiant – le méthylphénidate appartient à la classe des amphétamines – auprès d’un nombre croissant d’enfants (de 5 à 10 % selon les pays) et s’inquiètent de la médicalisation du social dont elle serait le signe.
De l’autre, des associations de parents, des médecins et des sociétés pharmaceutiques qui dénoncent un sous-diagnostic de ce trouble, dont les premières mentions seraient bien antérieures à la synthèse du méthylphénidate : la référence la plus souvent évoquée est le médecin écossais Alexander Crichton qui aurait proposé une description très proche de celle de l’actuel TDAH en 1798. Ca camp-là fustige un archaïsme psychanalytique supposé qui ferait obstruction aux progrès de l’evidence-based medicine. Entre ces deux camps qui s’affrontent à fleurets rarement mouchetés, des enfants et parents en souffrance pour qui renvoyer la difficulté individuelle à des causes collectives n’offre pas de piste d’apaisement.
C’est le DSM-III qui donne en 1980 une première définition élaborée du « trouble déficit de l’attention avec hyperactivité ». La définition est alors multidimensionnelle et propose trois séries de critères :
La version suivante du DSM, le DSM-III-R, offre en 1987 une conception du trouble « hyperactivité avec déficit de l’attention » fortement différente de la précédente en ce qu’elle regroupe unidimensionnellement les différents symptômes d’inattention, d’impulsivité et d’hyperactivité sous forme d’une liste unique de quatorze items. Un diagnostic positif requiert la présence d’au moins huit de ces items depuis au moins six mois. Elle permet en outre un classement des sujets selon la sévérité du trouble : léger, moyen et sévère.
Le DSM-IV marque un retour à la multidimensionnalité pour ce qui est désormais dénommé « Trouble déficit de l’attention/ hyperactivité (TDAH) ».
Malgré – ou du fait de – cette relative instabilité de la définition, le TDAH est désormais considéré comme le trouble mental le plus fréquent chez les enfants d’âge scolaire. Si la description fait désormais l’objet d’un assez large consensus, l’étiologie en demeure en revanche sujette à controverses, par exemple en ce qui concerne un substrat génétique. Des pistes qui nourrissaient d’importants espoirs au cours des années ’80 – comme la présence de lésions neurologiques – n’ont pu être confirmées par trois décennies de recherche. Il est toutefois intéressant de constater qu’elles alimentent encore l’imaginaire de nombreuses études scientifiques sur le sujet.
Un article paru très récemment dans les Annales médico-psychologiques démontre ainsi la prégnance de cet imaginaire, sur la base d’une analyse de contenu des 45 thèses en médecine défendues entre 1990 et 2018 et traitant de l’hyperactivité comme pathologie ou comme symptôme posant problème[1]. Dans trois domaines – l’étiologie neurologique (1) ou génétique (2) du TDA/H, ainsi que le bénéfice du traitement médicamenteux sur la réussite scolaire (3) –, une grande majorité de ces thèses s’appuient sur un prétendu consensus scientifique qui n’est pas confirmé par les recherches récentes sur le sujet. Tout se passe comme si les hypothèses formulées dans les années ’80, même démenties par la recherche, continuaient à irriguer nombre de travaux scientifiques, sans parler de leur vulgarisation.
Au-delà de ces débats théoriques, qu’en est-il de la réalité concrète de la prescription en Belgique ? Une donnée interpelle particulièrement : c’est celle qui concerne le nombre d’enfants à qui est prescrite la Rilatine en fonction de… leur mois de naissance. À moins de postuler une influence des signes astrologiques, cette répartition devrait être égale pour les douze mois de l’année. Or il n’en est rien : la proportion d’enfants qui se voient prescrire de la rilatine est 50% plus élevée chez ceux qui sont nés en décembre que chez ceux nés en janvier – avec une progression régulière entre ces deux extrêmes[2].
Ces chiffres, qui proviennent d’une étude menée par les Mutualités chrétiennes sur les 37 684 patients de 6 à 18 ans ayant bénéficié du remboursement du méthylphénidate en Belgique en 2016 confirment d’ailleurs des tendances similaires décelées dans une étude similaire menée en Australie. Au moment d’expliquer cette « bizarrerie » qui veut que ce soient systématiquement, et de manière statistiquement significative, les plus jeunes de chaque classe qui se voient prescrire du méthylphénidate, une seule explication paraît plausible :
« Le développement psychomoteur se caractérise par une combinaison des aspects moteurs, cognitifs et dynamico-affectifs. Il induit des changements de comportement en lien avec l’âge et le contexte psychosocial. Manque d’attention, hyperactivité et impulsivité seraient perçus comme anormaux. Toute déviance court dès lors le risque d’être médicalisée et traitée sans prendre en compte les facteurs contextuels[3]. » Et de conclure lapidairement : « La limite entre TDAH et immaturité semble floue. »
Le rôle central que joue l’école dans le diagnostic du TDAH et la consommation de méthylphénidate apparaît de manière tout aussi évidente à l’analyse des dates de prescription de cette dernière : celles-ci connaissent en effet une très nette baisse au cours des mois d’été. Voilà au moins deux données, qui sans permettre de trancher définitivement dans le débat, ont au moins le mérite de montrer toutes les limites de la rigueur du diagnostic et du traitement. Notons d’ailleurs que le Comité des droits de l’enfant de l’ONU n’avait pas attendu de disposer de ces données pour s’inquiéter, dès 2010, de la surprescription du méthylphénidate auprès des mineurs en Belgique[4].
[1] HALIDAY, H. et al., « Distorsion des consensus scientifiques dans les thèses de médecine dédiées à l’hyperactivité/TDAH en France », Annales médico-psychologiques, revue psychiatrique, vol. 179 (1), janvier 2021.
[2] LEBBE, C., NTAHONGANYIRA, R-M, VANDENBERGEN, J., « Les plus jeunes de la classe ont un risque plus élevé de diagnostic de TDAH », MC-Informations – Périodique trimestriel de l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, n° 269, septembre 2017, pp. 40-45. Une représentation visuelle de ces données est proposée dans la page « Chiffres » du présent dossier.
[3] LEBBE, C., NTAHONGANYIRA, R-M, VANDENBERGEN, J., op. cit., p. 43.
[4] Comité des droits de l’enfant, « Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 44 de la Convention », 18 juin 2010, 25 mai-11 juin 2010.