Projet POPHARS : perceptions des interventions liées à la drogue dans les festivals en Belgique

juin 2022

Nicolas Van der Linden (version traduite et augmentée de l’article de Bert Hauspie publié sur le site du VAD disponible sur : bit.ly/3RUeG1V)

Pendant trois ans, les chercheur·euse·s du projet POPHARS ont étudié les perceptions que pouvaient avoir les festivalier·ère·s et les parties prenantes (stakeholders) des interventions liées à la drogue, la consommation de drogue et les normes de consommation de drogue dans les festivals de musique en Belgique. Au total, 15 interventions différentes liées à la drogue ont été examinées. Toutes ces interventions s’inscrivent dans l’un des quatre piliers de la politique belge en matière de drogue que sont la prévention, la réduction des risques, les soins (de santé) et la répression.

Fruit d’une collaboration entre l’Université de Gand, la Hogeschool Gent et Modus Vivendi asbl, commandité et financé par BELSPO, la politique scientifique fédérale, le projet POPHARS a débuté en mars 2019 et s’est terminé en septembre 2021[1]. Il comportait à la fois un axe quantitatif et un axe qualitatif. La recherche quantitative a été menée à l’été 2019 en utilisant la méthode d’échantillonnage d’expérience (ESM). Les répondant·e·s ont été invité·e·s à remplir un court questionnaire à différents moments de leur participation à un festival (avant, pendant et après). Le questionnaire récoltait le point de vue des répondant·e·s sur les interventions liées à la drogue, la consommation de drogue et les normes relatives à la consommation de drogue dans les festivals. Par la suite, une recherche qualitative a été menée par entretien (en ligne). Pour les besoins de la recherche qualitative, deux échantillons ont été recrutés. Un premier échantillon était constitué de festivalier·ère·s ayant participé à l’étude ESM. Un deuxième échantillon était constitué de parties prenantes qui avaient de l’expérience dans la mise en œuvre et/ou la réalisation d’interventions liées à la drogue dans les festivals de musique belges.

Impact perçu des différentes actions liées à la drogue

Au total, 305 festivalier·ère·s ont rempli le premier questionnaire administré avant la visite du festival. Au final, 187 de ces répondant·e·s ont également rempli les questionnaires de suivi pendant et après la visite du festival. L’échantillon était composé de répondant·e·s ayant une forte prévalence de consommation de substances illicites : 62,6 % ont indiqué avoir consommé une ou plusieurs substances illicites lors du festival.

Avant la visite du festival, une majorité de répondant·e·s étaient convaincu·es que les interventions liées à la drogue n’auraient aucun impact sur la fréquence de consommation de substances illicites. Cette tendance s’observe pour les 15 interventions étudiées (voir Figure 1).

En ce qui concerne l’impact perçu de telles interventions sur la consommation à risque, d’autres résultats sont observés : la plupart des répondant·e·s étaient ainsi d’avis que les actions de réduction des risques (par exemple, l’analyse de produits psychotropes, aussi appelée testing, ou des stands d’information) résulteraient en une consommation moins risquée. À l’opposé, les interventions répressives (par exemple, un contrôle de police avec des chiens renifleurs de drogues ou un contrôle par le personnel de sécurité à l’entrée du festival) résulteraient, selon eux·elles, en une consommation plus risquée (voir figure 2 ; une consommation plus risquée peut se traduire par le fait qu’un·e festivalier·ère va acheter son produit sur le site du festival à un dealer inconnu ou va consommer en cachette, loin des services d’urgence médicale). Ces perceptions se retrouvaient également dans les données récoltées pendant et après le festival, c’est-à-dire une fois que les répondant·e·s étaient entré·e·s en contact avec ces interventions.

En somme, si, du point de vue de nos répondant·e·s, les interventions répressives sont relativement peu efficaces pour réduire la fréquence de consommation et sont même de nature à augmenter la consommation risquée, les interventions en matière de prévention et de réduction des risques ne sont pas de nature à augmenter la fréquence de consommation tout en étant assez efficaces pour réduire la consommation risquée.

Résultats portant sur des interventions spécifiques

Au sujet de l’axe qualitatif, 40 festivalier·ère·s et 44 parties prenantes ont participé aux entretiens. Au sein du deuxième échantillon, les organisateur·rice·s de festival et les professionnel·le·s de la prévention ou de la réduction des risques étaient surreprésenté·e·s. Cet échantillon était également composé de secouristes, policier·ère·s, agent·e·s de sécurité, procureur·e·s et représentant·e·s politiques locaux·ales.

Les entretiens (en ligne) ont permis de compléter les données récoltées via le questionnaire en ligne. Bien que les services de premiers secours fussent perçus principalement de façon positive (plus spécifiquement comme un filet de sécurité), nos informateur·rice·s ont identifié plusieurs barrières à l’accès, notamment en cas de consommation d’alcool ou d’autres drogues. Par exemple, un·e consommateur·ice peut avoir peur d’être jugé·e par un personnel médical encore insuffisamment formé aux questions liées aux drogues et à leur consommation ou peut avoir peur de demander de l’aide dans un contexte qui fait la part belle à une approche répressive. Au fil des années, nos informateur·rice·s travaillant au sein des services de secours ont constaté une évolution vers une offre de services plus médicalisée, tant en matière de déploiement de personnel médical que de matériel médical.

Les festivalier·ère·s avaient également une attitude positive à l’égard des interventions de réduction des risques. Cependant, tou·te·s ne connaissaient pas le concept de réduction des risques et certain·e·s confondaient la réduction des risques avec d’autres types d’interventions liées à la drogue, principalement la prévention (pour rappel, la réduction des risques est une stratégie de santé publique, au même titre que la prévention et le traitement, dont l’objet est de réduire les risques et de prévenir les dommages que l’usage de drogues peut occasionner chez les personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas s’abstenir d’en consommer). Les festivalier·ère·s et les parties prenantes ont plaidé pour davantage de prévention et de réduction des risques en contexte festivalier (par exemple, des services d’analyse de produits psychotropes), bien que certaines parties prenantes aient soulevé les problèmes liés à la mise en place de ce type d’interventions dans le contexte juridique belge actuel. La réduction des risques n’a pas toujours été tenue pour acquise dans le passé, mais plusieurs informateur·ice·s ont remarqué une évolution positive dans les attitudes à l’égard de cette stratégie de santé publique. Dans cette optique, les parties prenantes ont plaidé en nombre pour que la prévention et la réduction des risques soient considérées comme faisant partie d’une politique drogue intégrée en contexte festivalier.

Les interventions répressives ont été évaluées de différentes manières. D’un point de vue sécuritaire (par exemple, la détection d’armes prohibées), ces interventions ont été jugées nécessaires. Du point de vue de la consommation de substances illicites, par contre, une image assez différente a émergé des réponses de nos informateur·ice·s. Selon les forces de l’ordre, les interventions répressives devraient avant tout envoyer un signal clair indiquant que la consommation de substances illicites dans l’enceinte du festival n’est pas autorisée. Pourtant, les festivalier·ère·s considéraient souvent ce types d’interventions comme inefficaces, voire comme contre-productives. En effet, tant les festivalier·ère·s que les parties prenantes du festival ont mentionné l’anticipation du contrôles de drogues par les festivalier·ère·s – qui les pousserait à se montrer toujours plus créatif·ve·s en matière de dissimulation de drogues illicites – ou l’impact négatif sur la santé de telles interventions (par exemple, de peur de se faire pincer, des festivalier·ère·s peuvent en venir à consommer tous leurs produits en une fois). Enfin, les membres du personnel de sécurité qui ont participé à nos entretiens ont indiqué que, bien qu’ils soient souvent confrontés à la consommation de substances illicites, la loi ne leur permet pas de vérifier la présence de drogues illicites, et encore moins de saisir les drogues trouvées.

Recommandations

Un certain nombre de recommandations ont été dégagées sur la base des résultats du projet POPHARS, dont les plus importantes sont brièvement présentées ci-dessous.

Mise en œuvre d’une politique drogue intégrée et équilibrée dans laquelle les piliers de la prévention, de la réduction des risques, des soins et de la répression sont considérés comme égaux. Une telle politique permettrait aux forces de l’ordre de cibler les trafiquant·e·s de drogue dans les festivals, tout en créant les conditions permettant de mettre davantage l’accent sur la prévention ou la réduction des risques (selon les besoins spécifiques du festival), au bénéfice de la santé des festivalier·ère·s.

Désignation d’un comité de coordination au sein de chaque festival qui prendrait des décisions collégiales sur des sujets liés à la (consommation de) drogue et, plus généralement, à la santé. Ce comité doit être composé d’acteur·rice·s de la prévention, de la réduction des risques, de la santé et des forces de l’ordre, ainsi que des organisateur·rice·s du festival et de représentant·e·s politiques locaux·ales. Il doit se réunir régulièrement afin de parvenir à des accords clairs sur le rôle de chacun·e, établir un état des lieux quotidien pendant le festival, faire des ajustements si nécessaire et, une fois le festival terminé, évaluer la politique drogue et les interventions mises en œuvre. Dans ce cadre, l’expertise des organisateur·rice·s de festivals peut être utilisée pour optimiser les interventions liées à la drogue (par exemple, en indiquant clairement l’emplacement des services liés à la drogue sur les supports de communication du festival).

Création d’un cadre juridique clair pour mettre en œuvre et améliorer les interventions liées à la drogue, en particulier les services d’analyse de produits psychotropes, parmi d’autres interventions de réduction des risques. En outre, la politique générale en matière de drogue devrait être harmonisée afin d’être plus cohérente et d’éviter les contradictions (par exemple, éviter des montants différents, en fonction des régions ou des festivals, dans le cadre d’un règlement à l’amiable pour possession ou consommation de drogues). Enfin, il est nécessaire de clarifier et de mieux coordonner le rôle du personnel de sécurité en ce qui concerne la consommation de substances illicites.

Déploiement de formations spécialisées sur les usages de drogues et la prise en charge des usager·ère·s de drogues, à destination des professionnel·le·s qui entrent en contact avec ce groupe cible dans le contexte festivalier.

Financement de recherches visant à évaluer l’impact effectif (et non pas seulement perçu) des interventions liées à la drogue en contexte festivalier.

[1] Le rapport de recherche complet est consultable sur : www.belspo.be/belspo/fedra/DR/DR85_POPHARS_FinRep.pdf.