Comment articuler santé publique et promotion de la santé ? La réponse à cette question s’éclaire en partie grâce à la pratique de la Ligue des usagers des services de santé. En se donnant comme objectif d’assurer la participation des usagers au système de santé, la LUSS remplit en effet un rôle fondamental, celui de donner la possibilité au patient, parangon de la passivité ou de la soumission à la toutepuissance du pouvoir médical, de devenir un acteur, c’est-à-dire un citoyen en capacité de comprendre et donc de peser sur son propre devenir médical. Dans le présent numéro, Florence Caeymaex fait justement remarquer que « si les protections sociales de santé ont contribué à l’égalisation, elles n’en ont pas moins engendré des formes de pouvoir spécifiques, à travers des dispositifs biopolitiques (Foucault) exerçant une puissante normalisation des conduites, qui furent et sont encore l’objet d’une critique constante et nécessaire ». C’est précisément dans cette nécessité critique que s’inscrit l’approche de promotion de la santé mise en pratique par la LUSS. En cela, la LUSS expérimente et donne à voir une certaine façon de faire société où la notion de santé s’élargit à celle de qualité de vie dont la définition devient véritablement une histoire collective.
Nous vivons actuellement une période d’insécurité sociale assez marquée. Restriction sur le chômage, saut d’index, âge de la pension repoussé, report de l’application du tiers payant social ou augmentation du ticket modérateur… autant de mesures qui impacteront concrètement la vie des usagers, des citoyens, des patients.
Un fait assez marquant est certainement le manque d’explications claires aux citoyens sur la prise de ces mesures. Il est laissé une zone de flou et d’interprétation significative qui donne lieu à des réactions violentes dues à la peur. Les mouvements sociaux de grève et de manifestation sont traités médiatiquement de manière particulière et génèrent plus de crainte et d’exaspération que de solidarité. Traitement dirigé de l’information, discours non nuancés, réactions excessives en conséquence et le citoyen au centre comme pris au piège d’un système qu’il ne peut plus comprendre et sur lequel il ne peut pas agir car on ne lui en donne pas les moyens.
Replaçons l’humain en tant que citoyen
Un des premiers principes de la démocratie en santé est de faire respecter le droit à la santé pour tous. Pour faire valoir ce droit, encore faut-il être au courant de son existence et être capable de le revendiquer et c’est là que le bât blesse. C’est un constat que nous avons pu faire à la LUSS (voir encadré). Les usagers que nous rencontrons ont un véritable besoin d’informations claires et nuancées, de mise en contexte des mesures prises et de prises au sé- rieux de leurs inquiétudes. Nous tentons par le biais des divers services que nous rendons aux usagers de leur permettre d’avoir accès à ces informations, mais pas seulement, nous travaillons avec eux pour qu’ils les comprennent, les intègrent et s’en servent pour mieux vivre.
Nous développons des partenariats avec les acteurs qui produisent de l’information. Nous estimons nécessaire qu’usagers et professionnels se rencontrent pour appréhender leurs réalités. Nous constatons que chacun se fabrique des images et fantasmes sur les autres acteurs qui l’entourent et que ces a priori faussent la façon dont on intègre ou interprète les informations. La rencontre permet de démystifier et de réhumaniser les choses.
En agissant de cette façon, notre préoccupation première est bien de replacer l’humain au cœur des débats et de travailler directement avec tous les acteurs pour lutter contre ce climat de méfiance et d’austérité. On valorise l’entraide, le partage. On essaie de donner à l’usager les clés qu’il faut pour comprendre le système dans lequel il vit.
Nous illustrons ce propos par des projets que nous menons avec les usagers, les associations et les acteurs de la santé et du social comme autant de partenaires nécessaires à une meilleure compré- hension du système. Et qu’au-delà de la compré- hension, chacun puisse agir.
Des outils pour développer une conscience citoyenne
Les usagers ont besoin des outils nécessaires pour réinvestir leur citoyenneté. Il est utopiste de penser qu’il suffit de donner la possibilité de participer pour que la participation se fasse. Il est primordial de mettre en place les conditions nécessaires pour que les usagers apprivoisent cette possibilité et s’épanouissent dans ce processus.
En se basant sur des besoins exprimés par ses membres, la LUSS a développé des projets ayant pour objectif de donner aux usagers les outils nécessaires pour devenir acteur et ce dans de bonnes conditions.
Les associations d’usagers sont de plus en plus amenées à prendre part aux politiques de santé. Mais comment faciliter l’intégration des usagers et leur permettre de faire peser leur influence sur les mesures discutées? Quels outils leur donner pour leur permettre de comprendre le système? Comment aiguiser cette conscience citoyenne? C’est à ces questions que le programme de formation de la LUSS veut répondre.
Ce programme est développé sur trois volets:
Pour correspondre aux réalités des associations qui sont amenées à participer aux politiques de santé, il était primordial de ne pas seulement s’attarder sur le niveau final du processus qui est la participation elle-même mais bien sûr les étapes donnant la possibilité à cette participation d’avoir lieu. Faire vivre une association, lui assurer une gestion saine et accessible, développer des outils d’écoute et d’échange entre pairs, construire des avis collectifs… autant d’éléments qui constituent les bases de la participation des usagers.
Le projet inform’action
La LUSS travaille depuis ses débuts sur l’accès à l’information. Les constats posés dans cet article ne sont pas neufs. En 2013, nous avons lancé le projet inform’action avec pour objectif de dégager des priorités en termes d’informations mais surtout des pistes d’actions concrètes venant directement du terrain et des acteurs concernés. Associations d’usagers (2), collectifs d’usagers, professionnels de la santé et du social (mutuelle, CPAS, maison médicale…) ont mis sur pied un ensemble de propositions d’actions à présenter aux politiques (livret disponible à la LUSS sur demande).
L’intérêt de ce projet était de créer une dynamique collective d’acteurs aux statuts différents mais réunis dans un objectif commun et où chacun avait un poids égal dans les débats. Il a permis d’entendre des usagers s’exprimer sur la manière dont ils percevaient leur accès à l’information et leur gestion de cette information. Cela a permis à des professionnels de l’information de comprendre pourquoi il existe encore des failles dans leurs missions.
(2) Lanoy S., « Façons d’informer, manières de rencontrer les usagers : agir comme association de patients », in Chaînon, no 32, LUSS asbl, janvier-mars 2014
les statuts de la LUSS ont été déposés en novembre 1999 suite à l’impulsion d’un collectif d’usagers souhaitant intégrer un interlocuteur les représentant dans le système de santé. Aujourd’hui, la LUSS fédère 80 associations d’usagers. En 15 ans, elle a acquis une reconnaissance d’estime de la part des autres acteurs et occupe des sièges dans de nombreux organes de concertation tels le conseil supérieur de promotion de la santé, la commission fédérale des droits du patient, la section consultative de l’observatoire des maladies chroniques. Elle y transmet l’analyse et l’expertise émanant du travail de concertation qu’elle mène avec les usagers et les associations d’usagers. La LUSS a toujours été animée par la nécessité de remettre dans les mains de l’usager son pouvoir d’être acteur. Via la dynamique collective, qu’elle met en place, elle veut permettre aux potentialités de chacun de s’épanouir, de recréer un lien, de réunir des personnes qui se ressemblent et veulent évoluer dans un objectif commun. Via son action, la LUSS vise à outiller suffisamment les usagers pour qu’ils puissent prendre une part active à leur santé et à éveiller leur conscience à une citoyenneté active.
Les échanges de savoirs
Comme nous le développions plus haut, la solidarité est pour nous un vecteur très positif pour développer la conscience citoyenne de chacun. Quel meilleur moyen que d’entendre un pair exprimer conseils et expériences pour appréhender et comprendre une situation? C’est l’approche que nous avons voulu développer avec le projet Échange de savoirs, projet basé comme il l’indique sur le partage d’expériences entre membres d’associations d’usagers (3). La LUSS les incite à se montrer solidaires en venant partager leurs expériences sur des sujets essentiels pour la bonne gestion de leur association.
Le projet a pris d’emblée et nous avons été agréablement surpris de susciter autant d’enthousiasme et ce, quel que soit le sujet. Les thèmes abordés ne sont pas choisis au hasard et correspondent à des attentes exprimées par les associations.
Mais au-delà du thème en lui-même, l’équipe a pu constater qu’en temps normal les associations se rencontrent dans des cadres beaucoup plus stricts (concertation sur des thèmes bien précis) avec une optique de résultat (faire remonter l’avis des usagers vers les instances adéquates). Dans ce projet la rencontre est tout autre, plus détendue, plus humaine, déchargée de toute la pression inhérente au résultat. Cette dimension se ressent très fort dans les échanges. Les associations avaient exprimé le besoin d’être mises en réseau. La LUSS leur a permis d’échanger sur ce qui les rapproche le plus: leur quotidien. Il est primordial de respecter le rythme de chacun. Les associations sont pressées de toute part et il était du devoir de la LUSS de leur permettre de s’inscrire dans un processus totalement différent permettant et incitant à une participation décomplexée et sans pression.
La solidarité, vecteur de citoyenneté
Au travers de ces trois projets, nous constatons que cette solidarité retrouvée fait émerger de la créativité, l’envie de travailler ensemble et que ce terreau serait essentiel pour dégager de nouvelles pistes de solution à d’autres niveaux. Le citoyen doit être considéré comme un partenaire, et non uniquement comme un bénéficiaire. La LUSS est persuadée que c’est au sein même de la collectivité que se trouvent les solutions pour l’avenir, que se trouvent les pistes pour sauvegarder le droit à la santé pour tous. Ce n’est pas en mettant les citoyens sous pression, en les insécurisant qu’on leur permettra d’agir sur le système dans lequel ils évoluent. S’ils étaient outillés suffisamment et de manière constructive, il en ressortirait de nombreuses alternatives pour l’avenir.
Ne nous trompons-nous pas actuellement en faisant économie et parcimonie sur des secteurs essentiels à la dynamique collective, tels que la culture? Les associations d’usagers sont encore aujourd’hui soumises à une précarité certaine quant à la pérennisation de leurs services, alors qu’elles représentent une solution efficace pour sauvegarder le lien social et redonner la confiance aux usagers.
Investir dans l’humain est un investissement à long terme, au-delà des slogans, au-delà des intentions. C’est donner le pouvoir d’être acteur de sa propre santé, c’est permettre aux associations de patients de développer des projets participatifs avec des objectifs à long terme, des actions qui permettent à tous les citoyens, hommes et femmes, jeunes, âgés, immigrés, en situation de précarité, de mieux comprendre le système, d’avoir les outils qu’il faut pour pouvoir prendre leur santé en mains. Tant d’actions qui permettront, à terme, d’avoir des citoyens en meilleure santé, des services mieux connus, des campagnes de prévention qui fonctionnent. De tels projets alternatifs existent. Il est urgent que les pouvoirs publics s’en saisissent
(3). Serano C, « Échange de savoirs, entre solidarité et partage », in Chainon, no 33, p. 12 et suiv., LUSS asbl, avril-juin 2014