En Belgique, les élections sont aussi – et peut-être avant tout – le prélude aux négociations des coalitions gouvernementales. Moins que les programmes des partis stricto sensu, c’est donc leur compatibilité qui permettra d’anticiper la possibilité ou non de mise en œuvre de réformes spécifiques. Que laisse entrevoir cette perspective en matière de dépénalisation (de la détention pour usage personnel), d’une part, et de renforcement de la prévention, de l’autre ?
Les deux thématiques abordées appellent des périmètres d’analyse différents : fédéral pour la dépénalisation de la détention pour usage personnel ; régional et communautaire pour le renforcement de la prévention. C’est donc la compatibilité des programmes des partis francophones et flamands qui sera étudiée pour la première et celle des seuls partis francophones pour le second.
Dépénalisation : le fossé communautaire
En se tenant à la comparaison des programmes francophones, la dépénalisation pourrait apparaître comme quasiment acquise. La vaste majorités des partis se prononcent en effet – à l’exclusion du MR – en faveur d’une forme plus ou moins étendue de dépénalisation.
Le Parti socialiste défend ainsi une adaptation du modèle portugais, avec la création de commissions locales « drogues et addictions » chargées d’assurer la réponse publique face à la consommation de drogues illicites et « prendre en charge les personnes surprises par la police en possession d’une certaine quantité de drogue pour leur consommation personnelle, plutôt que de les déférer devant les juridictions pénales ».
La mise en œuvre de ces commissions locales « drogues et addictions » inspirées du modèle portugais est également défendue par Ecolo, qui affirme vouloir « passer d’une politique […] centrée sur la répression à une prise en charge de ces enjeux prioritairement par la santé publique ». Il en va de même pour Défi, qui préconise la mise en place de ces mêmes commissions.
Du côté des Engagés, on observe un virage à (presque) 180 degrés par rapport aux positions prohibitionnistes préalablement défendues par le CDH. Le programme actuel entend en effet « analyser l’opportunité de dépénaliser la consommation de drogues afin de faire passer les consommateurs de drogue du Code pénal au Code de santé publique, tout en réprimant sévèrement la vente et la production de ces drogues ».
Le PTB entend quant à lui « revoir la loi sur les drogues de 1921 » pour permettre la réglementation du cannabis, tout en maintenant une différence entre drogues dures et drogues douces.
Seule exception à cette convergence de vues, le MR demande « la mise en place de sanctions plus sévères à l’égard de tous les consommateurs de drogue dure. »
Ce quasi-unanimisme est toutefois battu en brèche par l’examen des programmes des partis flamands, qui présentent eux une tout aussi grande convergence… dans l’autre sens. Vlaams Belang, N-VA et CD&V s’opposent en effet explicitement à toute forme de dépénalisation. Il est intéressant de relever que les mesures proposées par Vooruit concernent presque toutes des substances ou activités légales (alcool, tabac, jeux de hasard) et n’abordent que très marginalement les drogues illégales – pour lesquelles aucune proposition de dépénalisation n’est mentionnée.
Quelques ouvertures sont proposées du côté de Groen, qui s’oppose à « l’autorisation pure et simple de toutes les drogues » mais souhaite « participer au débat sur le choix d’un marché réglementé pour certaines substances ». L’Open VLD distingue drogues dure et douces pour proposer une réglementation de la production, de la distribution et de la vente de cannabis, sans mentionner de dépénalisation de la détention simple des autres substances.
Bref, ce qui pouvait apparaître comme acquis côté francophone risque bien de se heurter à une opposition frontale côté flamand – à la réserve près d’une ouverture en matière de cannabis, qui reste toutefois minoritaire en Flandre.
« Ce qui pouvait apparaître comme acquis côté francophone risque bien de se heurter à une opposition frontale côté flamand. »
Prévention : des intentions aux actes ?
Du côté de la prévention, analysée au seul prisme des programmes des partis francophones, de fortes convergences (plus ou moins détaillées) – ou à tout le moins des compatibilités d’approche – se laissent également observer. Il n’y a au fond pas grand-chose de neuf à entendre les partis insister sur ce point, mais force est de constater que le passage des programmes aux actes s’est avéré laborieux par le passé.
Au-delà des incantations, signalons la proposition d’Ecolo de créer un « fonds anti-drogues » qui serait « financé par l’argent confisqué aux cartels de la drogue et destiné à soutenir les 4 piliers des politiques drogues (prévention, réduction des risques, soins, action judiciaire) ».
Défi est quant à lui le seul parti à avancer un chiffre de financement précis (le passage de 1,7 à 3 % du budget total de la santé à consacrer à la prévention) et propose également de « financer la prévention, par l’argent provenant de la vente du cannabis [préalablement légalisé] ».
Le PS insiste particulièrement sur la « prévention des assuétudes en milieu scolaire » qu’il souhaite généraliser. Il est à noter que dans la liste des propositions reprises sous l’appellation « Prévention et réduction des risques », l’essentiel des mesures ont trait à cette dernière beaucoup plus qu’à la prévention.
Le PTB déplore que « sur le terrain, la prévention est quasi-inexistante » et affirme vouloir lui « donner la priorité », en ciblant les écoles, les mouvements de jeunesse, les animateurs de rue, les parents, le secteur de la santé, la police et le système judiciaire.
Sous le chapitre « Une véritable stratégie préventive et de traitement de la toxicomanie », le MR propose en réalité un plaidoyer pour « transformer le modèle de salle de consommation à moindre risque en véritable lieu d’accompagnement psycho-médico-social » et « développer les chambres spécialisées en matière de lutte contre la drogue afin de proposer une aide médicale et sociale plutôt que l’application d’une peine, sans traitement ».
Ces appels majoritairement compatibles devraient permettre d’espérer des programmes régionaux et communautaire en phase avec les demandes du secteur, telles que relayées par exemple par la plateforme Agir en prévention (voir l’article de Guilhem de Crombrugghe dans le présent numéro). L’optimisme doit toutefois être tempéré par la reconnaissance d’un double écueil : d’une part, les perspectives budgétaires pour le moins délicates des Régions bruxelloise et wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui risquent de laisser peu de place au refinancement de la prévention ; d’autre part, le manque généralisé de détail des mesures proposées. Faute de parvenir à naviguer entre ces deux écueils, les appels au renforcement de la prévention risquent bien d’en rester, comme par le passé, à l’état d’incantations dépourvues d’effets.