Le microdosing : la face commerciale de la « renaissance psychédélique » ?

janvier 2023

Parmi les tendances qui marquent la «renaissance psychédélique», la vogue du microdosage s’est répandue en quelques années, non pas depuis des lieux de fêtes ou des hôpitaux, mais depuis les quartiers généraux californiens des plus grandes entreprises de la tech. L’engouement qu’elle suscite est aussi puissant, que sont faibles les preuves de son intérêt.

Le domaine du microdosage est marqué par l’incertitude jusque dans sa définition – ce qui ajoute un degré de complexité à la recherche sur le sujet. À partir de quand une dose devient-elle une microdose ? Les réponses varient d’un cinquième à un vingtième de la dose récréative ou thérapeutique habituelle. À titre d’exemple, une microdose de psilocybine correspond environ à 0,3 gramme, alors que les doses utilisées dans les essais de thérapies assistées sont de l’ordre de 2 à 3 milligrammes. S’il n’existe pas de consensus sur la quantification de la dose, il en existe un sur son caractère subperceptif : une microdose est une dose à laquelle ne se manifestent pas les modifications d’état de conscience habituellement associées à la prise de psychédéliques. La pratique du « microdosing » correspond à la prise régulière (en général, deux ou trois fois par semaine) de cette dose subperceptive de psychédéliques, généralement à des fins d’amélioration de l’humeur, de la productivité ou de la créativité.

Un phénomène récent ?

Si la médiatisation de cette pratique ne remonte guère qu’à une dizaine d’années, la détermination de son ancienneté réelle est plus complexe. Le « père » du microdosing, le psychologue américain James Fadiman, qui est aussi l’inventeur du terme affirme qu’elle est déjà présente dans les cultures indigènes depuis des siècles (1) et que les chamans ont régulièrement exploré d’autres types de pratiques et de dosages que ceux connus lors des rituels – mais son affirmation repose sur des bases documentaires faibles et contestées (2).

Neuve ou pas, la pratique s’est en tout cas répandue comme une traînée de poudre en quelques années seulement depuis les entreprises tech de la Silicon Valley jusque dans les recoins du DarkWeb, en passant Amsterdam où deux Belges ont installé (pour des raisons légales) une start-up pro- posant un programme d’initiation encadré au microdosing pour la modique somme de… 345 euros ! En matière de produits psychotropes, c’est probablement la seule pratique qui suscite autant dans d’articles dans le Financial Times que dans Vice ou Rolling Stone.

Quelle efficacité ?

Au-delà de nombreux témoignages individuels enthousiastes indiquant une amélioration de la concentration, de l’humeur et de la gestion des émotions, au-delà des innombrables forums et publicités pour ces « produits miracles et totalement inoffensifs », la plupart des études sur les effets du microdosage sont encore tâtonnantes et leurs résultats peu concluants. L’arrêt des recherches sur les psychédéliques à la fin des années 1960 prive évidemment, là aussi, la communauté scientifique des connaissances précieuses qui auraient pu être accumulées sans ce coup d’arrêt, ainsi que du recul qu’offre la longue durée (3). Mais la majorité des études contemporaines relatives au microdosage s’accordent à ne pas lui trouver d’effet plus bénéfique qu’un placebo.

En attendant des conclusions définitives tirées d’études plus poussées, il est intéressant de noter que la détermination des effets du microdosage ne pose pas les mêmes problèmes méthodologiques que celle des effets thérapeutiques de la prise d’une dose « normale » dans le cadre d’une thérapie assistée par les psychédéliques. Pour des raisons assez évidentes, la pratique de l’essai en double aveugle est en effet impossible dans le cadre de la prise d’une dose thérapeutique : tant les patient.es que les personnes en charge de la recherche se rendent rapidement compte du caractère psychédélique ou non de la substance in- gérée dans le cadre d’une étude en double aveugle. Dans la mesure où le microdosage concerne des quantités « subperceptives », cet obstacle méthodologique ne se présente donc pas aux recherches qui entendraient mettre en évidence les éventuels effets de cette pratique.

Bref, si les résultats des études menées sur l’efficacité des thérapies assistées par les psychédéliques en matière de traitement de la dépression ou des troubles liés à l’usage de l’alcool sont à la fois impressionnants et prometteurs – tout en nécessitant encore des approfondissements et un élargissement des échantillons, c’est beaucoup moins le cas du microdosage : ses effets positifs semblent relever plutôt de l’autopersuasion et ses risques sont encore peu connus. Il se pourrait bien qu’on se trouve ici face à l’une des possibles  conséquences préjudiciables – encouragées par un intérêt bien plus commercial que médical – de l’engouement actuel pour les psychédéliques (4).

  1. FADIMAN, James, The psychedelic explorer’s guide, Rochester, Park Street Press,
  2. BIANCARDI, Vittorio, « Le microdosage de substances psychédéliques : bref historique et nouveaux axes de recherche », CIRCE : histoires, savoirs, société, n° 11, 2019.
  3. Il est toutefois à noter qu’aucune étude de la première vague ne portait pas sur cette pratique spécifique. D’après James Fadiman ( cit., p. 211), Albert Hofmann, le chimiste suisse qui a découvert le LSD, aurait considéré que le microdosage consti- tuait « le domaine de recherche le plus sous-étudié des psychédéliques ».
  4. On notera par exemple que lors de son interven- tion au dernier colloque « Drogues, dépendance et société », le docteur Ben Sessa s’est lancé dans un plaidoyer en faveur de l’intérêt des thérapies assis- tées par la MDMA dans le traitement des troubles liés à l’usage de l’alcool, en même temps que dans une contestation vigoureuse d’une quelconque utili- té des pratiques de Une vidéo de cette intervention est disponible sur : bit.ly/46vaePc