Edito: De quoi la peur est-elle le signe ?

avril 2014

De quoi la peur est-elle le signe ?

Nous vous proposons, à travers les contributions de chercheurs psychologues et sociologues, mais aussi de travailleurs de terrain, d’explorer les enjeux et les craintes suscités par les usages des TIC (1). « Cyberdépendance » est un terme à la mode, mais nos contributeurs se méfient de son caractère stigmatisant et anxiogène, rappelant qu’Internet n’est qu’un outil, dont on peut accompagner l’usage pour éviter qu’il devienne problématique. Dans une perspective de promotion de la santé, tous rappellent, en définitive, que c’est par la relation de confiance que nous pourrons comprendre le sens des usages et parvenir à relativiser certaines de nos peurs. La critique des effets négatifs des TIC peut prendre naissance dans une inquiétude relative à une perte de pouvoir. Les usages des jeunes inquiètent parce qu’ils sont incompris et qu’ils échappent en partie à la surveillance et au contrôle parental. Nous le verrons au fil de ce numéro, c’est bien la relation adultes-enfants/adolescents qu’il nous faut continuer d’interroger. Peut-on assimiler les abus d’écran à des formes de dépendance sans substance et invoquer le terme de cyberdépendance? Nos différents contributeurs refusent cet amalgame, rappelant que nous n’avons affaire là qu’à des outils. Ce ne sont pas les technologies en soi qui intéressent les jeunes, mais le contenu auquel elles permettent d’accéder. Ce n’est pas l’outil en lui-même qui sera mis en question, mais bien les pratiques auxquelles il ouvre. L’écran isole-t-il nécessairement des autres? Les jeux vidéo sont-ils responsables de violences sociales? Nous verrons, a contrario de ces hyperboles, que le Net représente pour les jeunes de nombreuses opportunités positives: de nouvelles façons d’être ensemble et d’affirmer son autonomie vis-à-vis des parents, mais aussi des occasions pour se confronter de façon libérée à leurs interrogations existentielles. Il nous faut reconnaître les sens et les motivations positives des adolescents, foin de toute condescendance, ce sont des êtres doués d’intelligence critique! Reste que, comme le souligne Normand Baillargeon dans son dernier ouvrage, « Les TIC et en particulier Internet sont désormais à ce point possédés et dominés par des entreprises (comme Google, Amazon, Facebook, Apple et d’autres) qu’ils sont presque immanquablement soumis à des impératifs commerciaux et de rentabilité qui les mettent en tension avec tout idéal démocratique digne de ce nom (2) ». Comment dans ce cadre garder le contrôle de l’outil face à la frénésie marchande et technophile? L’homme n’a pas besoin d’une technologie qui l’asservisse ou le formate, mais de moyens de préserver son autonomie personnelle et son pouvoir d’action. L’outil doit donc être considéré comme un moyen et non comme une fin. C’est ce qu’on fait avec ces technologies qui importe. En ce sens, la prévention des usages problématiques des TIC doit se déployer via la construction d’une véritable éducation aux médias et à la santé basée sur la qualité de la relation et sur la compréhension du sens des usages et des besoins auxquels ils répondent. Encourager à l’émancipation et à l’autonomie implique cet impératif indépassable: faisons confiance aux jeunes.

Alain Lemaitre, rédacteur en chef
Alain.Lemaitre@prospective-jeunesse.be


(1) Technologies de l’information et de la communication. Nous avons décidé d’ôter le N souvent associé à cet
acronyme. En effet, nombre de ces technologies ne sont pas si « nouvelles »…

(2) Baillargeon Normand, Légendes pédagogiques. L’autodéfense intellectuelle en éducation, Éditions Poètes de
Brousse, 2013.