La prohibition des drogues n’enraye pas leur consommation. Elle provoque en outre des effets délétères. Depuis 2006, plus de 80% des recherches scientifiques à propos de la corrélation entre la criminalisation des drogues et transmission du VIH estiment que la prohibition a un impact négatif sur la prévention et le traitement du VIH. Que faire, en tant quintervenant.e, en tant que citoyen.ne, quand la santé et la loi sont en désaccord ? Voilà la question posée lors de la journée détude « S’accommoder ou s’affranchir de la loi ? » organisée par la Liaison antiprohibitionniste le 8 décembre 2016 à Bruxelles.
En Belgique, les budgets publics « drogues » restent très largement alloués au volet sécuritaire, au détriment des questions de santé. Face à des produits interdits mais consommés, la Réduction des Risques est aussi nécessaire que précaire, sans cesse questionnée sur ses intentions, se questionnant sans cesse sur ses marges d’action. Sa récente reconnaissance comme stratégie de santé publique par la COCOF pourrait laisser croire que le débat est clos. Il n’en est que plus actuel : soit la RDR s’institutionnalise en acceptant le cadre proposé, soit elle profite de ce pied dans la porte pour dénoncer les entraves de la prohibition et repousser les limites qu’on lui donne.
Dans le premier cas, elle assure la pérennité de certaines pratiques et atteint de la sorte un objectif non-négligeable pour les usagers de drogues. En contrepartie, la désobéissance civile qui l’a alimentée se fait plus discrète. Autre paradoxe : alors que la RDR a pour prétention de « dé-marginaliser » l’usager de drogues, de le considérer comme un acteur social et de lui donner droit à la parole, sa philosophie ne risque-t-elle pas d’être instrumentalisée en système prohibitionniste pour trier les bons et les mauvais usagers, les « activés » et les autres, comme l’aborde Jérôme Poulain ?
Dans le second cas, la RDR reste fidèle à son histoire, porte ses valeurs en étendard mais un militantisme ne met-il pas en péril sa légitimation durement acquise ? Il existera encore longtemps des opposants pour dire que la RDR va trop vite, trop loin, même quand ses pratiques reposent sur des recommandations internationales ou sur une expertise longtemps éprouvée sur le terrain.
Cette question de l’institutionnalisation traverse l’ensemble des contributions de cette journée. La RDR a incontestablement besoin d’une identité forte pour donner sens à son action. Les articles abordent tous un angle d’une stratégie multifocale : à côté des urgences sociales, c’est plus largement notre culture de la santé que touche la RDR.
Une RDR forte existera en se répandant au-delà du secteur des assuétudes, non seulement au sein de l’ensemble des acteurs de la santé et du social, mais aussi parmi la société civile. Cest dans cet objectif que Prospective Jeunesse publie les contributions de cette riche journée d’étude. Est-ce par ailleurs un hasard si, quelques mois après l’événement, apparaît la campagne Stop1921 ? Celle-ci réclame que le centenaire de la loi régulant les produits psychotropes soit l’occasion d’un large débat public pour la modifier profondément. S’affranchir de la loi « contre-frotter la machine », comme dirait Henry-David Thoreau dans son essai célèbre sur la désobéissance civile est l’histoire de la RDR. Au moins jusqu’en 2021.
Pour plus d’infos sur #STOP 191, voir www.stop1921.be