Pour plusieurs écoles en psychologie du travail, qualifier l’employé « dysfonctionnel » de maillon faible relève du fantasme et freine une prévention efficace. L’ouvrage pluridisciplinaire Se doper pour travailler (1) s’ouvre sur le constat d’un « triple réductionnisme » : la focalisation sur un produit, l’alcool, sur l’usager problématique et sur leurs manifestations négatives dans le travail, l’absentéisme et les accidents de travail.
Ils proposent une autre lecture : les produits, sous l’effet de la culture productiviste, seraient devenus des « instruments de travail » dont on ne dit pas le nom. Comment réagir quand le travail s’accumule, que les délais doivent être tenus et les clients ou usagers satisfaits ?
L’endurance est une qualité très valorisée dans les milieux du travail : rester une heure de plus. Repousser ses limites. Être sans cesse créatif, alerte, patient… Pour atteindre ces lourdes attentes, il faut se transformer soi. De nombreuses substances promettent aux travailleurs de démontrer leurs capacités, de les relaxer ou de contre-balancer les effets du stress chronique, comme l’insomnie ou l’anxiété.
Dans cette culture du travail, Marie-France Maranda met en garde face à la tentation forte des employeurs pour une approche individualisante des usages de drogues (2). Sans dénigrer les ressources qu’elles peuvent être pour le travailleur, les appels à la résilience, à la pensée positive et « autres astuces pour être plus zen au bureau » – que Maranda qualifie d’injonctions psychologisantes – occultent de véritables enjeux sociétaux : surcharge psychique, précarité, irrespect, pression du temps…
Pour elle, il est urgent d’implémenter des stratégies de prévention collectives, qui interrogent le travail lui-même.
Cette professeure spécialisée dans les problèmes de santé mentale au travail présente quatre modèles de problématisation de la relation travail-alcool-drogues, chacune influençant les cibles de prévention et les méthodes utilisées :
Passage en revue.
Et Maranda de conclure que les syndicats gagneraient à s’emparer plus fermement de cette question. Elle va plus loin : « Le compromis fordiste (…) qui a consisté à compenser les conditions pénibles de travail par des salaires plus élevés, des avantages sociaux et des récompenses en nature (l’alcool a souvent joué ce rôle), continue à notre avis d’exercer une pression sur l’occultation de ces questions (3)». Les aspects pathogènes du travail sont effectivement une question très politique. Bientôt à l’agenda ?
1.Crespin Renaud, Lhuilier Dominique, Lutz Gladys, Se doper pour travailler, Editions érès, 2017.
2. Maranda Marie-France, « Travail et consommation de substances psychoactives : l’expérience québecoise », in Idem, p. 21-46.
3. Maranda Marie-France, « Travail et consommation de substances psychoactives : l’expérience québecoise », in Idem, p. 42.