Édito: Usages des villes, usages des champs ?

mars 2018

Les drogues sont-elles une réalité de la ville ? On serait tentés de le croire à la lecture des plans politiques, dans lesquels « drogue » apparaît généralement au côté de « sécurité urbaine », « politique des grandes villes ». Beaucoup d’entre nous savent que la ruralité n’est pas épargnée cependant, et il suffit de parcourir les diagnostics sociaux des régions rurales pour que cette image se nuance. En revanche, il semble bel et bien que les drogues s’invisibilisent encore plus à la campagne. D’abord, parce que tout se fait moins dans la rue. Ensuite, parce que le mythe d’une ruralité idyllique demeure vivace. Selon le sociologue René Le Guen, les urbains projettent sur le monde rural ce qui semble absent en ville et ce à quoi ils aspirent : le calme, la pureté, l’authenticité.

Notre connaissance des usages de drogues et nos pratiques pâtissent-elles de ces perceptions ? Elles sont renforcées, peut-être, par le peu de données nous permettant de distinguer et de caractériser les consommations de drogues et d’alcool en milieu urbain et en milieu rural. Ainsi, les deux études présentées en début de numéro sont nées de constats d’un manque de savoirs, sur la précarité rurale sous l’angle quantitatif d’une part, sur les usages de drogues d’autre part. En revanche, des savoirs de terrain, des pratiques résultant d’essais-erreurs, des questionnements méthodologiques fourmillent depuis longtemps chez les acteurs qui travaillent au quotidien sur ces vastes territoires. Dans l’optique de promotion de la santé qui est à la nôtre, nous avons croisé les regards des uns et des autres sur la jeunesse, la précarité, sur des lieux sociaux comme les cafés ou les clubs de sport, afin de mieux cerner les contours de l’intervention en milieu rural. Enfin, Nadja clôture le numéro en nous proposant des pistes bibliographiques pour aller plus loin.

Nous lirons dans ces pages que vouloir qualifier le public rural est peu pertinent : la diversité sociologique est grande à la campagne, et ce public se distingue peu de celui des villes, même si Xavier May et l’OFDT souligneront quelques phénomènes propres aux ruraux.

En revanche, il existe bien un milieu rural. Néo-ruraux ou enracinés dans la région, tous expérimentent un accès restreint aux infrastructures. L’adolescent qui rejoint son école en une heure n’a pas la même vie que celui qui habite et va en cours dans le même quartier. L’usager d’héroïne dépend souvent de la seule pharmacie du village pour son matériel d’injection. La distance et la sécurité routière prennent une grande importance pour qui souhaite pratiquer un loisir ou faire la fête. Et gare à celui qui n’a ni voiture, ni réseau social développé ! L’isolement et la stigmatisation sont dans le pré. Face à eux, des professionnels, dont le travail est également conditionné par ces réalités, construisent des interventions pour tenter d’aller à rebours de ces difficultés. Ce sont ces réalités, et les réponses que certains y apportent que nous découvrirons au fil des pages.