Édito : « Les fléaux de l’Ordre sexuel »

décembre 2014

Dans « Le Bon Sexe illustré », charge implacable contre l’éducation sexuelle telle que dispensée au début des années 70, l’écrivain Tony Duvert dénonce avec un humour féroce ce qu’il nomme « les fléaux de l’Ordre sexuel », à savoir l’idéologie répressive et nataliste que cette « éducation » essaie de camoufler « en endoctrinant les victimes ». Aux yeux du moraliste, ces dernières sont nombreuses : « enfants, adolescents, mais nous aussi, nous tous, le présent et l’avenir de notre société. Ce sont ses répressions, ses peurs, ses prisons, ses interdits, ses abus les plus catastrophiques que l’« éducation sexuelle » enseignera et éternisera. Car […] on l’a seulement inventée pour que l’ordre règne encore mieux demain qu’aujourd’hui.1 » Sévère et un brin provocateur mais lucide quant aux pièges du conformisme, le jugement de Duvert est-il toujours d’actualité quarante ans plus tard, à une époque où l’on ne parle plus d’éducation sexuelle mais d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) ?

Assurément non. Les corps ont gagné en liberté, des droits fondamentaux ont été acquis, les normes se sont enrichies. Dans ce contexte, l’EVRAS n’a plus grand-chose à voir avec le modèle de la société disciplinaire. Elle est moins le vecteur d’un endoctrinement qu’une invitation à résister aux différents endoctrinements. Toutefois, comme le soutiennent Fabienne Bloc et Valérie Piette, il importe de ne pas se reposer sur ses lauriers.

Le sexisme et l’homophobie ont encore de beaux jours devant eux ; contre toute attente, certains droits que l’on imaginait intangibles sont contestés, et comme en

témoigne la déferlante de la Manif pour tous, les réactionnaires ont apparemment le sommeil léger, toujours prompts à se réveiller dès que « l’Ordre sexuel » se voit menacé. Autant dire qu’à l’instar du travail en planning familial, l’EVRAS doit demeurer une affaire de militantisme.

C’est précisément ce militantisme que le présent numéro entend explorer via le portrait ou la présentation de quelques acteurs qui font bouger les lignes ou, pour reprendre les mots de Duvert, organisent la traque des fléaux de l’Ordre sexuel. Cette exploration est évidemment loin d’être exhaustive, mais elle a le mérite de rendre compte de la diversité de celles et ceux qui portent l’EVRAS en Belgique francophone. Au vu de ses publics cibles, l’EVRAS est intimement liée au monde scolaire. Il nous a dès lors semblé essentiel de nous attarder sur ce milieu de vie si particulier afin de prendre la mesure des difficultés rencontrées par les intervenants scolaires ou extrascolaires en matière d’EVRAS.

En guise de conclusion, rappelons que, comme nombre de domaines liés aux politiques de promotion de la santé, l’EVRAS fait rarement la une des journaux et n’intéresse que très occasionnellement nos décideurs. Eu égard au nombre de viols commis quotidiennement ou au nombre de tentatives de suicide de jeunes homosexuels, ce désintérêt a quelque chose de particulièrement honteux, car l’EVRAS est bel et bien le seul moyen dont nous disposons pour inverser la tendance. Ce numéro est là pour vous en convaincre.

Julien Nève


1. Duvert Tony, Le Bon Sexe illustré, éditions de Minuit, 1974.