Bibliographie : Réglementation des drogues – modèles à suivre

mars 2022

« Legalizing Drugs»,

ROLLES Steve, Londres, No Nonsense, 2017.

Dans ce livre, dont le chapitre conclusif est traduit dans le présent numéro, Steve Rolles, analyste politique sénior auprès de Transform Drug Policy Foundation s’interroge sur les raisons qui ont permis à la « guerre contre les drogues » de perdurer aussi longtemps malgré le caractère patent de ses échecs. D’après lui, la question n’est toutefois pas tant de savoir s’il faut mettre fin à cette guerre, mais plutôt de déterminer comment le faire. C’est pourquoi il va beaucoup plus loin que le seul constat, en proposant des pistes crédibles de réglementation et de légalisation, qui s’inspirent des exemples locaux et nationaux déjà en place. Il en tire les premiers bilans tout en exposant les différents éléments – militants, médiatiques et politiques – qui ont permis d’obtenir ces victoires partielles.

En moins de cent pages, il offre une contribution qui rend bien honneur au nom de la collection qui le publie (« No Nonsense »).

 

« Addicts – Les drogues et nous »,

BEN LAKHDAR Christian, Addicts – Les drogues et nous, Paris, Le Seuil et La République des idées, 2020.

Professeur à l’université de Lille et membre du Collège scientifique de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Christian Ben Lakhdar est spécialisé dans l’économie des drogues et des conduites addictives. Partant du constat de la démocratisation des conduites addictives et de la prolifération des produits psychotropes proposés par la créativité sans limites des marchés, il essaye dans « Addicts » de suggérer des pistes pour penser leur régulation.

Plutôt que de tout miser sur la répression, les autorités publiques seraient avisées de proposer un cadre propre à réduire les dommages socio-sanitaires. Ce double mouvement – expansion du marché et désengagement policier de l’État – renvoie les drogué.e.s dans le champ de la citoyenneté, plutôt que dans les marges d’une répression inégalitaire. En à peine 100 pages, Christian Ben Lakhdar offre non pas des solutions clé sur porte, mais des balises permettant de développer un cadre régulateur qui cesserait d’infantiliser une partie importante de la population.

 

« Beleid op speed »,

MUYSHONDT Peter, Beleid op speed, Anvers, Vridag Uitgeverij, 2017.

Il y a quelque chose de mythologique ou d’hollywoodien dans l’histoire des frères Muyshondt. Si Peter est devenu (désormais ex) policier, son frère Tom, après avoir expérimenté diverses drogues, est mort d’une overdose d’héroïne le 22 juillet 2006. C’est à partir de ce récit raconté dans « Broers waren we » que Peter Muyshondt a développé une opposition déterminée à la criminalisation de l’usage des drogues qu’il expose dans « Beleid op speed ». Il s’appuie également sur son expérience de policier et sur des conversations avec des collègues belges et étrangers, des juges et des procureurs, des toxicomanes et des militants pour démontrer que la santé et le bien-être de la population constituent le dernier des soucis des politiques publiques en matière de drogue. La sécurité sert de prétexte à une lutte cruelle et sans espoir qui ne tient par aucun autre argument que la peur du changement.

Enfin, le livre propose des solutions de légalisation/réglementation, dont on peut espérer que son statut d’ancien policier permettra qu’elles ne soient pas balayées d’un revers de main.

 

« Drug Use for Grown-Ups »,

HART Carl, Drug Use for Grown-Ups – Chasing Liberty in the Land of Fear, Londres, Penguin, 2022.

Professeur à l’université de Columbia et ancien président du département de psychologie, Carl L. Hart est l’un des plus grands spécialistes mondiaux des effets des drogues dites récréatives sur l’esprit et le corps humains. Il ne cache pas qu’il consomme lui-même des drogues, dans un équilibre heureux avec le reste de sa vie de chercheur et de professeur, de mari, de père et d’ami. Dans « Drug Use for Grown-Ups », il s’appuie sur des décennies de recherche et sur son expérience personnelle pour démontrer que la criminalisation et la diabolisation de la consommation de drogues – et non les drogues elles-mêmes – constituent un fléau majeur pour l’Amérique, qui renforce notamment le racisme structurel qui empoisonne ce pays.

Outre la force propre des arguments, c’est le parcours de Carl Hart lui-même qui donne une vigueur toute particulière à son plaidoyer : cet Afro-américain a grandi dans l’un des quartiers les plus difficiles de Miami. Ses premiers travaux de recherche visaient à prouver que la consommation de drogue entraînait des conséquences néfastes. Mais un problème ne cessait de surgir : les résultats de ses recherches ne confirmaient pas son hypothèse. C’est donc aussi à tout le financement en matière de recherche sur les drogues que ce livre fondamental s’attaque – en montrant l’ampleur des biais favorables à la « guerre contre les drogues » qui y président.

 

« Ending the Drug Wars »,

LES Expert Group on the Economics of Drug Policy, Ending the Drug Wars, Londres, LSE, 2014. Disponible en ligne. 

La force de ce rapport tient au moins autant au prestige de ses signataires qu’à la qualité des arguments qui y sont développés. Loin de constituer une liste des usual suspects de la dénonciation des ravages de la prohibition, le groupe d’experts concernant les aspects économiques des politiques en matière de drogue de la London School of Economics rassemble au contraire une série de notables et d’académiques de haut vol, dont certains sont peu connus pour leurs engagements progressistes : parmi ces 21 experts, figurent notamment trois Prix Nobel d’économie (Kenneth Arrow, Thomas Schelling et Olivier Williamson), un ancien président polonais (Aleksander Kwasniewski), le vice-premier ministre britannique de l’époque (Nick Clegg) et un ancien secrétaire d’État américain sous Reagan (George Shultz). Le rapport qu’ils ont produit en 2014 est sans appel : la stratégie mondiale de prohibition « a produit des résultats massivement négatifs et d’énormes dégâts collatéraux [dont] l’incarcération de masse aux États-Unis, des politiques particulièrement répressives en Asie, une corruption de grande ampleur et une déstabilisation politique générale en Afghanistan et en Afrique de l’Ouest, de la violence politique incontrôlée en Amérique latine, une épidémie de HIV en Russie et une importante pénurie globale de médicaments contre la douleur».

S’il est habituel de comptabiliser le coût de mise en œuvre des politiques répressives et d’évaluer les dégâts qu’elles provoquent en termes, par exemple de difficultés d’accès aux soins, le rapport de la LSE insiste également sur les coûts d’opportunité gigantesques qu’induisent ces marges démesurées – autrement dit sur les sommes considérables qui sont déboursées par les consommateurs pour se fournir en produits et qui pourraient être affectées à d’autres sources de bien-être si les prix pratiqués correspondaient aux coûts de production augmentés d’une marge « normale » dans une économie de marché. C’est là une des principales originalités de ce travail indispensable.