N° 93 — janvier - mars 2021

1921… Un siècle plus tard

Edito

Après l’autruche…

Que ce soit à l’université, dans le secteur de la promotion de la santé ou même au sein de la magistrature et de la police, il se trouvera peu de personnes informées pour contester cette évidence : « Non, décidément, en matière de drogues, la prohibition, ça ne marche pas. » Elles seront en revanche beaucoup plus nombreuses à dresser la liste aussi longue que déplorable des échecs sanitaires, sociaux, sécuritaires et même économiques d’un siècle de politiques publiques en matière de stupéfiants.

C’est d’ailleurs faire trop d’honneur à ce mélange bâclé d’hypocrisie morale, d’aveuglement volontaire et d’improvisation légale que de la nommer « politique publique ». Certes mais quand on a dit ça, on n’a encore rien dit. Et s’il est difficile de sortir la tête du sable de la prohibition, il n’est guère plus aisé de penser dans les détails une politique en matière de stupéfiants qui ne soit plus celle de l’autruche : une politique qui décide d’affronter le réel plutôt que de le nier.

Une fois acceptées toutes les limites des dispositifs légaux actuels, une fois actée la volonté d’en sortir, reste en effet à clarifier les contours d’un avenir désirable en répondant à une série de questions à la fois techniques et de principe. Qui peut vendre ? Qui peut acheter ? Qui peut produire ? Quels produits peut-on vendre, acheter et produire ? Qui contrôle ? Comment penser la situation spécifique de certains publics, à commencer par les jeunes ? Voilà autant d’interrogations suscitées par la volonté de quitter de l’« ancien régime ». Sortir la tête du sable, c’est en effet affronter une série d’enjeux qui concernent la santé, l’économie, la justice sociale et les rôles respectifs d’acteurs aux histoires et intérêts divers – et parfois contradictoires.

La Belgique n’en est hélas pas encore là puisque, contre les vents de l’histoire et les marées du bon sens, elle vient de « célébrer » le centenaire de sa loi de prohibition sans manifester de volonté politique majoritaire de sortir d’une logique désormais séculaire. La célébration avait d’ailleurs quelque chose de paradoxal puisque les seuls à se préoccuper de la jubilaire, étaient ceux, regroupés derrière les bannières de #STOP1921 et Smart on Drugs, qui demandaient sa disparition et lui souhaitaient un malheureux anniversaire (voir la campagne « Unhappy Birthday »).

Le présent dossier en est donc contraint à présenter les arguments philosophiques, sociaux, économiques, etc. qui plaident massivement en faveur d’une sortie cette logique prohibitionniste, sans pouvoir poser les questions enthousiasmantes de la manière d’organiser et de réguler cette sortie. Il ne reste qu’à espérer que si notre pays devait être le dernier à se mettre sur une route désormais balisée par un nombre croissant d’exemples étrangers, il parvienne à tirer les leçons de ces derniers. À ce prix pourra-ton au moins dire un jour que le temps de l’inertie était aussi celui de l’analyse et que la tête dans le sable était moins occupée à fuir le présent qu’à concevoir l’avenir.