Quand le cyber s’invite dans le champ de la promotion de la santé. Par la petite porte des assuétudes.

juillet 2017

> Le Cyber groupe

 

Face à la demande émergente d’interventions autour de la question des usages d’internet, réseaux sociaux et jeux vidéo, un groupe spécifique s’est formé au sein du Point d’Appui Assuétude bruxellois, coordonné par le Centre Bruxellois de Promotion de la Santé³.  Depuis plus d’un an, les six associations et services scolaires de prévention4  échangent pratiques et réflexions et tentent de construire des repères communs pour accompagner au mieux les acteurs de terrain dans la mise en place d’actions positives en lien avec la problématique globale du « Cyber ». Ainsi se dessine, petit à petit, un cadre d’intervention légitime et cohérent.

Près de deux élèves sur trois (de la 5ème primaire à la 6-7ème secondaire) en Fédération Wallonie-Bruxelles passent plus de deux heures par jour devant la télévision. La même proportion passe plus de deux heures par jour sur Internet, tandis qu’un élève sur deux passe plus de deux heures devant les jeux vidéo. Cette proportion est plus élevée lorsque le niveau d’aisance matérielle de la famille est plus faible. Parallèlement, un jeune sur cinq rapporte qu’il se sent très heureux5 et un jeune sur deux qu’il se sent heureux.

Dans le cadre des loisirs et des jeux, des relations amicales et sociales, ainsi que des relations affectives et sexuelles, on assiste, parfois décontenancés, à l’omniprésence des « écrans ».

Leurs usages, souvent perçus comme excessifs par les adultes qui ne s’y sont pas construits dès le plus jeune âge et qui tentent tant bien que mal de s’y adapter, sont rapidement qualifiés d’addiction. Sous le double coup de la fascination et de la peur d’être dépassés, certains d’entre eux relatent un sentiment d’impuissance et partagent des angoisses qui les submergent. Ils échangent au sujet de situations extrêmes, néanmoins isolées, qui vont ensuite forger les représentations et le savoir profane partagés par les secteurs éducatif et médico-social : les jeunes sont « addicts », voire coupables d’addiction, aux jeux vidéo, au téléphone portable, à Internet, aux réseaux sociaux, à leur petit.e ami.e, au porno…

Pour qualifier l’utilisation problématique d’Internet, on peut, si on veut, trouver dans la littérature une multitude de termes forts, qui mettent l’accent sur la dimension pathologique du Cyber : « Internet Addiction Disorder », « Internet Addiction », « Compulsive Internet use », « Cyberdépendance », « Usages problématiques d’Internet », « Pathological Internet use », « Une forme de toxicomanie moderne sans consommation de produit»…

Comme pour tout « usage », le recours à la métaphore addictive tend, encore et toujours, à stigmatiser les adolescents. Niant la multitude des usages, et la capacité du Cyber à répondre aux enjeux adolescentaires, elle contribue à élargir le fossé déjà existant entre ceux que Jean-Paul Gaillard nomme les « mutants » – comprenez les jeunes – et les adultes (les personnes nées avant 1995).6

Aujourd’hui pourtant, le terme de cyberdépendance est déjà critiqué, voire rejeté par certains spécialistes qui tentent de rendre compte du « phénomène » de la façon la plus complexe et la plus sereine possible.

Lapalissade, dirons-nous peut-être, mais la dépendance demeure une porte d’entrée pour les acteurs de la prévention des assuétudes. Même si, au sein du groupe, le terme « cyberdépendances » a progressivement été abandonné au profit de « cyberconsommations », expression moins malheureuse mais posant encore de multiples questions. Parce que les représentations au sein du groupe évoluent, et c’est là une étape nécessaire dès lors qu’on entend accompagner les adultes-relais à adopter des attitudes positives par rapport aux jeunes « connectiques »7. L’objectif du groupe est bien de s’outiller collectivement afin d’être en mesure de renforcer les compétences des professionnels de « première ligne » et, qui sait, peut-être de construire en commun des outils innovants.

Or, certains voient encore d’un œil sceptique la volonté des acteurs de la prévention des assuétudes de se saisir de la problématique des usages d’Internet, des jeux vidéo, des réseaux sociaux. Ils nous reprochent de donner du fil à retordre aux intervenants du secteur de l’éducation aux médias, qui peinent à promouvoir l’autonomisation des jeunes par rapport à des usages d’Internet, qu’ils qualifient, eux, de passionnels.


1. Consultante-formatrice à Prospective-jeunesse.
2. Responsable de la cellule de prévention du décrochage scolaire de la commune de Saint-Gilles
3. www.cbps.be.
4. Le CBPS, le FARES, le Pélican, Infor Drogues, Prospective Jeunesse, les services de Prévention d’Anderlecht et de Saint-Gilles.
5. Enquête Santé et Bien-être des jeunes en FWB, premiers résultats 2014, Service d’Information Promotion Education santé : www.sipes.ulb.ac.be.
6. Enfants et adolescents en mutation : mode d’emploi pour les parents, éducateurs, enseignants et thérapeutes, JP Gaillard, ESF éditeur, Collection Art de la psychothérapie, 2012.
7. Idem.

C’est méconnaître ici l’approche dans laquelle les acteurs de la Promotion de la santé et de la Prévention inscrivent leur action. On y reviendra…

Lors de la naissance du groupe, certains acteurs s’étaient déjà mobilisés autour de la diffusion d’information et la création d’outils spécifiques pour sensibiliser les jeunes et leurs parents aux cyberconsommations, partant des constats d’acteurs de terrain. Désireux d’aller plus loin dans une démarche de concertation et de clarification du cadre, le groupe a choisi de rencontrer plusieurs acteurs externes dont certains provenant de secteurs voisins. Des experts PIPSA8 ont été invités à présenter une sélection d’outils qui abordent la question des cyberconsommations. Force est de constater qu’il en existe déjà une panoplie qui se différencie par l’ancienneté, la facilité d’accès, le public visé, les objectifs… Le service Infor Santé des Mutualités Chrétiennes est également venu présenter son outil « Et toi ? t’en penses quoi ? »9, un outil de mise en débat des jeunes de 14 à 18 ans autour de nombreuses thématiques, dont Internet et les réseaux sociaux.

Ensuite, une rencontre clé avec les asbl Média Animation10  et Action Médias Jeunes11  a permis de mesurer à quel point, finalement, les actions des secteurs de l’Education aux média et de la Prévention convergent vers un seul et même objectif, quand bien même la porte d’entrée et les outils utilisés demeurent spécifiques. Il s’agit d’ancrer, dans une vision résolument positive des usages d’Internet, le renforcement des capacités des jeunes à faire des choix positifs qui les concernent et de dépasser l’angoisse que ces usages suscitent et qui incite encore trop souvent à rechercher des solutions en termes d’interdiction. Ainsi, les piliers stratégiques consistent communément, en partant du vécu des jeunes et de la reconnaissance des enjeux identitaires et communicationnels qui sous tendent les usages d’Internet, à développer l’esprit critique, la créativité, l’autonomie et la responsabilité.

Après quatre rencontres en un an de mise au travail, le groupe a souhaité faire le point sur sa raison d’être, et ses membres ont constaté une avancée significative par rapport à la clarification d’un cadre d’intervention et le partage d’une vision commune en matière d’usages des écrans. Certains souhaitent néanmoins aller plus loin, car ils estiment qu’ils manquent encore de balises claires. D’autres ont besoin de redéfinir certains concepts en prenant appui sur leurs pratiques, afin de répondre aux questions encore sans réponse : à partir de quel moment le rapport à l’objet est-il considéré comme problématique ? Où se situe la frontière entre prévention et prise en charge ? Doit-on laisser la question du harcèlement de côté ?

Mais il n’est sans doute pas nécessaire d’attendre d’avoir toutes les réponses avant de se saisir de la problématique Cyber ! Rappelons qu’en tant qu’acteurs de la Promotion de la santé, ils sont les premiers à refuser de s’engouffrer dans des réponses trop solidement construites, tout en voulant inciter les adultes entourant les jeunes à adopter des modes d’intervention fondés, non pas sur la crainte et la nostalgie, mais bien sur la curiosité et l’audace… et à procéder par essais et erreurs, tout comme le Cyber groupe .

Entretemps, le groupe a déjà prévu une rencontre avec un intervenant de la Clinique des troubles liés à Internet et au Jeu, récemment fondée au sein du service de Psychiatrie de l’Hôpital Saint-Luc. Toutes ces rencontres alimentent le travail de réflexion et font émerger de nouvelles questions : belle perspective d’avenir pour les membres du groupe, élargi depuis peu aux acteurs de plusieurs services scolaires de Prévention de la Région de Bruxelles-Capitale. Car l’idée serait bien de rendre transférable et accessible le travail accompli, par le biais d’un outil destiné aux acteurs scolaires.


8. Pédagogie Interactive en Promotion de la Santé : www.pipsa.be.
9. Technique du Fras bee : www.et-toi.be.
10. www.media-animation.be.
11. www.actionmediasjeunes.be.