Promotion de la santé mentale : le défi de la participation

décembre 2014

En Belgique, une personne sur quatre présente des difficultés psychologiques. 14 % de la population, vit avec un problème psychologique sérieux (1) . En Europe de l’Ouest, les problèmes de santé mentale constituent 25 % des situations d’incapacité. Ils sont également la première cause de mort prématurée (2) . On le voit, la santé mentale est un enjeu majeur de santé publique. Y faire face nécessite une prise de conscience de l’impact des problèmes de santé mentale dans tous les aspects de la vie sociale, une lutte contre le stigma associé aux soins de santé mentale, une amélioration de l’accès aux services de soins et une diminution des inégalités face aux problèmes de santé mentale (3) . Cet article se propose d’aborder la contribution de la promotion de la santé mentale à ces défis en mettant l’accent sur la participation des personnes à leur propre trajectoire de soins, à l’organisation des services en santé mentale et plus généralement à la vie sociale.


(1). Gisle L., Enquête de santé par interview, Belgique 2008, Santé mentale, Institut Scientifique de Santé Publique.
(2). Marshall W., Chapman D., Lando J., The role of public health in mental health promotion, J. Am. Med. Assoc., 2005.
(3). Ibid

Une approche curative focalisée sur les seuls troubles psychiatriques s’avère vite insuffisante face aux multiples facettes de la santé mentale: l’estime de soi, les compétences sociales, la capacité de faire face à des changements, à influencer son environnement, la capacité à contribuer à la collectivité et à entretenir un certain équilibre émotionnel, toujours précaire (4). Une telle vision de la santé mentale, que l’on désigne habituellement par « santé mentale positive », implique la prise en compte des expériences individuelles, des interactions sociales ou encore des valeurs culturelles de la société. La santé mentale n’est pas seulement une question de troubles vécus à un niveau individuel ou au niveau d’un système familial. La pauvreté, le chômage, l’exclusion sociale, la cohésion sociale font également partie de l’équation.

La promotion de la santé mentale se doit d’intégrer ces différentes facettes. Le chantier est large. Les facteurs qui influencent la santé mentale sont légion: le manque d’accès à l’éducation, aux soins de santé mais aussi le manque de nourriture, d’eau ou l’absence d’un toit. Des interactions positives avec les parents et un environnement préscolaire stimulant favorisent le développement de l’enfant et son bien-être mental. La qualité de l’environnement professionnel, des tâches valorisantes ou l’absence de conflits interpersonnels influencent l’estime de soi et les réseaux sociaux. Ainsi, promouvoir la santé mentale, nécessite de tenir compte des répercussions potentielles de l’ensemble des politiques d’intérêt public sur la santé mentale (5), avec pour objectif de créer des environnements favorables et porteurs au travail, à l’école, etc. (6).

Soutenir le pouvoir d’agir

Mais promouvoir une santé mentale positive implique surtout le développement de dynamiques participatives qui soutiennent le pouvoir d’agir des personnes et des communautés, ou comme évoqué plus haut, leur capacité à faire face à des changements ou à influencer leur environnement. De plus, un changement est d’autant plus susceptible d’arriver, et sera d’autant plus adapté, que les personnes directement touchées par ce changement sont impliquées dans le processus. La charte d’Ottawa s’inscrit dans cette perspective en invitant à soutenir les aptitudes individuelles permettant aux personnes d’exercer un plus grand contrôle sur leur propre santé et de faire des choix favorables à celle-ci.

La charte invite à réorienter les services pour qu’ils partagent le pouvoir avec d’autres disciplines et avec la population elle-même. La déclaration d’Helsinki invite au développement des capacités et des compétences des familles et de l’entourage dans le domaine des soins et de la gestion des difficultés, et au soutien à la participation active des personnes dans les programmes de soins. Les approches interactives et participatives sont aujourd’hui largement reconnues comme donnant de meilleurs résultats (7).

À cet égard, les services de soins de santé mentale ont un rôle important à jouer. La promotion de la santé mentale ne s’adresse pas seulement à la population générale. Les personnes qui utilisent les services et vivent avec un problème de santé mentale sont également susceptibles de bénéficier d’un processus de développement du pouvoir d’agir. De plus, promouvoir la participation au sein des services est susceptible de casser l’image d’exclusion de la vie sociale qui reste attachée aux services de soins en santé mentale et aux personnes qui utilisent ces services. Plusieurs mouvements internationaux dans le domaine de la santé mentale ainsi que de nombreuses publications scientifiques vont clairement dans ce sens. Le mouvement du « rétablissement » soutient l’idée d’un processus de changement au rythme de la personne, déterminé par ses propres choix 8. Les pratiques qui ont fait leurs preuves intègrent toutes l’idée de participation: la psycho éducation des familles informe et implique ceux qui sont souvent les aidants de première ligne ; les équipes de suivis intensifs (ACT) partent des compétences des personnes pour vivre en interaction avec les autres dans la communauté; le soutien à l’emploi accompagne les personnes à partir de leurs préférences (9).

La participation des personnes à leur trajectoire de soins, à l’organisation des services ou plus largement, à la vie sociale passe par une multitude de pratiques et de dispositifs. Ils sont, pour la plupart, mis en œuvre en Belgique, mais restent confinés à des initiatives locales et ne sont pas considérés comme des éléments d’une politique globale de soutien à la participation ni comme un moyen de promouvoir une santé mentale positive. Cet article se propose de passer ces pratiques en revue, en distinguant les niveaux individuel (trajectoire de soins), organisationnel (mise à disposition de services) et sociétal (prise de parole publique).


(4). Jané-Llopis E., Barry M.M., Hosman C., Patel V., Mental health promotion works : a review, Promot. Educ., 2005, 12(9).
(5). Déclaration sur la santé mentale pour l’Europe, Relever les défis, trouver des solutions, World Health Organization, Helsinki, 2005.
(6). The Ottawa Charter for Health Promotion, The first International Conference on Health Promotion, World Health Organization, Ottawa, 1986.
(7). Jané-Llopis E., Barry M.M., What makes mental health promotion effective?, Promot. Educ., 2005, suppl 2:47-55, 64, 70

(8). Farkas M., Gagne C., Anthony W., Chamberlin J., Implementing recovery oriented evidence based programs: Identifying the critical dimensions, Community Ment. Health J., 2005, 41(2), 141-58. Salyers M., Matthias M., Sidenbender S., Green A., Patient Activation in Schizophrenia: Insights from Stories of Illness and Recovery, Adm. Policy Ment .Health, Ment. Health Serv. Res., 2013, 40(5), 419-27.
(9). Bond G., Salyers M., Rollins A., Rapp C., Zipple A., How evidence-based practices contribute to community integration, Community Ment Health J., 2004, 40(6), 569-88.

Une « médecine personnelle »

Au niveau individuel, nous retrouvons toutes les décisions et les comportements d’une personne qui ont de l’impact sur sa propre santé et qui lui permettent de vivre une vie satisfaisante, avec ses difficultés. C’est ce que Patricia Deegan, une ancienne patiente devenue docteur en psychologie, appelle sa « médecine personnelle 10 », y incluant les activités qui donnent sens à sa vie ou qui augmentent son estime d’elle-même. Les termes d’« empowerment 11 », entendu comme le développement du pouvoir d’agir, et de « self-care 12 », entendu comme l’augmentation du choix et du contrôle sur la trajectoire de soins, sont souvent associés à ce type de démarche. Les services de soins en santé mentale peuvent développer des pratiques dans ce sens. Ainsi, les processus de décisions partagées proposent de repenser la compliance au traitement dans le cadre d’une relation de collaboration où médecin et patient assument ensemble la responsabilité de la mise sur pied d’un traitement adéquat 13. Le traitement devient alors un processus de coconstruction où les expertises des deux parties se complètent. Pratiquement, des outils permettent aux personnes de rapporter à leur médecin des informations plus précises sur leur vécu de la médication et aux médecins de mieux répondre aux interrogations de leurs patients. Dans un même esprit, mais sur une autre thématique, l’intervention de réseau14 est un processus d’identification des personnes offrant du support social à un patient et des liens qu’elles entretiennent entre elles. L’objectif est, sur cette base, de déterminer, avec le patient, des objectifs en termes de développement des relations sociales et de coordination de ses ressources. Les directives anticipées en psychiatrie sont un autre exemple d’implication des personnes, ici face aux situations de crise. Une personne vivant avec des problèmes de santé mentale fait valoir, dans un document, des préférences de prise en charge et désigne une personne de confiance pour les situations où elle ne serait plus en mesure d’exercer ses droits elle-même. Au-delà du document, il s’agit surtout d’un processus qui permet à la personne d’élaborer à partir des expé- riences passées pour faire face à celles éventuellement à venir, en lien avec ses soignants de réfé- rence 15. Il existe également des « boites à outils » intégrées qui reprennent de nombreux outils susceptibles d’être utiles à une personne qui fait face à des problèmes de santé mentale importants. Ainsi le « Wellness Recovery Action Plan16 » contient un outil centré sur les ressources de la personne, les activités quotidiennes et les éléments qui favorisent le bien-être, un outil permettant à la personne d’identifier les situations stressantes et d’y faire face, un autre pour les signes avant-coureurs d’une situation de crise, les directives anticipées, un plan de crise, etc

Le soutien des pairs

Au niveau organisationnel, nous mentionnerons les services disponibles dans la communauté, qui favorisent l’implication des personnes non seulement dans leur propre trajectoire de soins mais également dans l’organisation même de ces services. À cet égard, le soutien par les pairs est probablement l’ensemble de pratiques le plus largement reconnu. L’entraide mutuelle entre pairs, sous la forme de groupes de parole ou d’activités de loisirs entre pairs 17 est parmi les initiatives les plus porteuses. Elles augmentent le réseau social, renforcent l’espoir et le pouvoir d’agir 18. L’entraide entre pairs favorise également une meilleure satisfaction par rapport aux services de soins 19. Les personnes trouvent, dans l’entraide mutuelle, des ressources pour mieux appréhender et mieux se positionner vis-à-vis des ressources professionnelles qui sont à leur disposition. Les services organisés par les usagers (« consumer-run services 20 ») sont un autre aspect du soutien par les pairs. Ce sont des services indépendants, mis sur pied par des usagers, qui proposent des lieux de rencontres et d’activités 21, des ateliers artistiques, de l’hébergement, du soutien à l’emploi et bien d’autres choses. Dans ce type de cadre, l’aide n’est pas uniquement mutuelle, puisque ces services engagent souvent des professionnels. Malgré cela, les valeurs de l’entraide sont présentes et la distance soignant/soigné n’est pas gérée de la même manière que dans un service habituel, du fait de la part active que prennent usagers et ex-usagers dans l’organisation. Ces organisations permettent à des personnes ayant vécu des difficultés parfois importantes d’assumer des responsabilités valorisantes et de constituer un exemple mobilisateur pour d’autres personnes qui sont peut-être plus loin dans leur parcours de rétablissement. L’engagement d’usagers comme soignants est une pratique plus récente qui prend également comme base le soutien par les pairs. Les « pairs aidants » ou les « experts d’expérience » sont engagés comme soignants sur base de leur expé- rience des services et du rétablissement. Cette expé- rience est une plus-value à plusieurs titres pour les services et les soignants. Les pairs aidants peuvent toucher des personnes rétives à l’utilisation de services en santé mentale. Face à ces personnes, ils partagent leur expérience et offrent de l’espoir. Il semble également que l’engagement de pairs aidants augmente la qualité de vie des patients et aide à limiter les hospitalisations. Les pairs aidants sont susceptibles de soutenir leurs collègues professionnels, eux qui rencontrent le plus souvent les patients dans des situations difficiles, en leur montrant que le rétablissement est possible 22. Pour finir, l’inclusion du point de vue des usagers dans tous les aspects de gestion des services se développe de plus en plus et est considérée comme une valeur ajoutée importante 23. Usagers membres des conseils d’administration, comités d’usagers au sein de services de soins, implication d’associations d’usagers dans des commissions consultatives : les possibilités sont nombreuses.

(10). Deegan P., Drake R., Shared decision making and medication management in the recovery process, Psychiatr Serv., 2006, 57(11), 1636-9.
(11). Aujoulat I., Marcolongo R., Bonadiman L., Deccache A., Reconsidering patient empowerment in chronic illness : A critique of models of self-efficacy and bodily control, SocSci Med., 2008, 66(5), 1228-39.
(12). Lucock M., Gillard S., Adams K., Simons L., White R., Edwards C., Self-care in mental health services : A narrative review, Health Soc. Care Community,2011, 19(6), 602-16.
(13). Deegan P., Drake R., op. cit.
(14). Pinto R., Using social network interventions to improve mentally ill clients’well-being, ClinSoc. Work J., 2006, 34(1),83-100. (15). Nicaise P., Lorant V., Dubois V., Psychiatric Advance Directives as a complex and multistage intervention: a realist systematic review, Health Soc. Care Community. 2013, 21(1), 1-14. Henderson C., Flood C., Leese M., Thornicroft G., Sutherby K., Szmukler G., Effect of joint crisis plans on use of compulsory treatment in psychiatry: Single blind randomised controlled trial, Br. Med. J. 2004, 329(7458), 136-8.
(16). Copeland M., Wellness recovery action plan, Brattleboro, VT, Peach Press, 1997. Davidson L., Chinman M., Kloos B., Weingarten R., Stayner D., Tebes J., Peer Support among Individuals with Severe Mental Illness : A Review of the Evidence, ClinPsycholSciPract.,1999, 6(2), 165-87.
(17). En Belgique francophone, les associations d’usagers en santé mentale sont regroupées au sein de l’asbl Psytoyens.
(18). Segal S., Silverman C., Determinants of client outcomes in self-help agencies, Psychiatr. Serv., 2002, 53(3), 304-9.
(19). Hodges J., Markward M., Keele C., Evans C., Use of self-help services and consumer satisfaction with professional mental health services, Psychiatr. Serv., 2003; 54(8), 1161-3.
(20). Davidson L., Chinman M., Kloos B., Weingarten R., Stayner D., Tebes J., op. cit.
(21). En Belgique francophone, des initiatives comme le Pianocktail à Bruxelles ou les clubs thérapeutiques/de loisirs en Wallonie sont ce qui se rapproche le plus de ce type de service.
(22). Ashcraft L., Anthony W., The Value of Peer Employees, BehavHealthc., 2007. Simpson E., House A., Involving users in the delivery and evaluation of mental health service, Systematic review, Br. Med. J., 2002, 325(7375), 1265-8.

(23). McCann T., Baird J., Clark E., Lu S., Beliefs about using consumer consultants in inpatient psychiatric units, Int. J. Ment. Health Nurs., 2006 15(4), 258-65. Funk M., Minoletti A., Drew N., Taylor J., Saraceno B., Advocacy for mental health : roles for consumer and family organizations and governments, Health Promot. Int., 2006, Mar. 1; 21(1), 70-5.

Plaidoyer pour la santé mentale

Au niveau sociétal, enfin, la participation des usagers prend la forme d’une prise de parole publique, une diffusion de la réalité du vécu des usagers, de leurs difficultés mais surtout de leur rétablissement. La promotion de la santé mentale, c’est également la promotion de l’espoir, des droits humains et la lutte contre la stigmatisation et la discrimination. C’est dans cette perspective que l’Organisation Mondiale de la Santé promeut le mouvement du Plaidoyer pour la santé mentale (« mental healthadvocacy24 »). Initié par la prise de parole publique des associations d’usagers, ce mouvement a légitimé l’apport des usagers aux politiques de santé et à la lutte contre la stigmatisation. Les pratiques d’advocacy qui vont de la défense des droits à la sensibilisation du grand public25 en passant par la formation des professionnels par des usagers sont maintenant considérées comme un élément clef d’une politique de santé mentale.

On le voit, le paysage psycho-médico-social belge fourmille d’initiatives originales et innovantes valorisant la participation des usagers.

Ces initiatives n’ont cependant pas, jusqu’ici, été pensées comme un ensemble de pratiques à intégrer dans une politique de promotion de la santé mentale. À cet égard, une vision politique claire manque cruellement. Pourtant la participation des usagers est susceptible de contribuer aux défis de santé publique auxquelles la complexité des problèmes de santé mentale nous confronte actuellement: elle peut contribuer à diminuer les inégalités de santé, en permettant la prise en compte de la singularité de chaque situation et en soutenant le développement du pouvoir d’agir des personnes ; elle peut contribuer à améliorer l’accès aux soins en valorisant l’entraide entre pairs et l’engagement d’usagers dans les services; elle peut contribuer à diminuer la stigmatisation et à augmenter l’espoir d’un rétablissement, en diffusant les expériences et les contributions des usagers. Elle peut surtout contribuer à augmenter la conscientisation de la complexité des problèmes de santé mentale et soutenir une approche globale articulant soutien individuel et initiatives collectives


(24). Advocacy for mental health. World Health Organization; 2003.
(25). En Belgique, la première « MadPride » a eu lieu à Bruxelles le 8 octobre 2011, organisée conjointement par les asbl Psytoyens et Uilenspiegel.