Prise de drogues ou prise de médicaments, triche ou aide, comment qualifier le dopage ? La question agitera encore longtemps les houleuses discussions dans le milieu du sport, des vestiaires aux gradins. En attendant de le trancher, cet article se propose de contextualiser la condamnation du dopage, de faire l’état des lieux de la prévention et de recenser des axes d’action avec pour objectif le bien être des jeunes sportifs.
Pré-existe chez les sportifs recourant au dopage, une croyance trompeuse : la bonne molécule permettrait d’atteindre le résultat escompté (1). Spécialiste des usages sociaux des drogues, le sociologue Patrick Peretti-Wattel associe les pratiques dopantes à la médicalisation générale de nos existences (2). Influencés par les messages publicitaires appuyant habilement cette promesse lucrative, les individus, même en bonne santé, tendent à rechercher dans les compléments alimentaires et les médicaments des remèdes contre la fatigue, les blessures, les maladies, le stress, pour la concentration ou le ravivement de la libido… À l’instar de machines dont il suffirait de remplir le moteur.
Nous sommes nombreux à gérer inconsciemment notre vie quotidienne à l’aide de substances, des compléments de magnésium à la fin de l’hiver au verre de vin qui détend en fin de journée. Placebo ou non ? C’est une autre question. En tout cas, quand nous prenons ensuite le chemin de l’école ou du boulot, personne ne nous contrôle pour savoir si nous ne profiterions pas d’agents extérieurs nous aidant à développer notre masse musculaire, notre capacité de concentration ou notre gestion du stress.
Les sportifs, eux, sont priés de se tenir à l’écart des potions magiques depuis que le dopage a été érigé en ennemi de l’éthique sportive, au cours de la seconde moitié du XXe siècle (3). Obélix des temps modernes, les amateurs comme les professionnels reçoivent des « injonctions contradictoires ».
D’une part, « pour les entraîneurs, le corps est là pour obéir et les données scientifiques (…) servent à asseoir cette autorité (4) ». Autrement dit, de leurs expériences et connaissances, ils projettent des recettes de bon fonctionnement physique.
D’autre part, le sportif peut se sentir « dépendant » de son enveloppe corporelle, qui ne suit ni sa volonté ni les promesses de l’entraîneur. L’écartèlement entre les attentes extérieures et les signaux corporels, voilà qui aurait d’autant plus tenté Obélix de plonger dans la marmite interdite.
Relativisons cependant. Tous dopés ? Pas vraiment. En 2018, sur les 1078 contrôles réalisés par l’Organisation Nationale AntiDopage en Belgique francophone (ONAD), seuls 20 répondants étaient positifs à un ou plusieurs des produits testés. 1,85 % de l’échantillon.
Ce faible résultat est loin d’être une exception : les réponses positives oscillent entre 15 et 29 réponses positives par an depuis 2014 au sud du pays (5). Dès lors, la médiatisation forte des contrôles positifs ou des saisies dans certaines équipes ne forge-t-elle pas une image démesurée du sportif sous influence dans notre imaginaire ?
« Les médias recherchent les histoires croustillantes, c’est vrai », abonde Julien Magotteaux, juriste à l’ONAD, qui ajoute que la formation des journalistes fait partie des volontés de l’Organisation. Toujours est-il qu’actuellement, la prise de produits psychotropes pour un sportif est d’abord assimilé à un manquement éthique, plutôt qu’à un enjeu sanitaire auprès du grand public. .
Cette importance du fair play influe sur les pratiques de prévention en milieu sportif, aujourd’hui essentiellement aux mains de l’ONAD (6) – voir encadré). Cette institution, en charge des contrôles de dopage, a développé un pôle préventif et souhaite renforcer l’éducation au « sport fair play ».
Avec la particularité d’être juge et partie (7). « Nous donnons des formations aux éducateurs et entraîneurs sportifs aussi bien sur l’axe éthique que sur la santé publique, et nous diffusons de l’information, par le biais des fédérations ou de l’ADEPS (8), lors de foires, de rencontres avec les sportifs ou à la demande de clubs », nous explique Elisa Engels, chargée de communication et de prévention à l’Organisation.
L’ONAD promeut aussi ADEL, plateforme de cours en ligne pour toute personne intéressée par « le mouvement antidopage et la protection des valeurs du sport propre ». Enfin, elle décline par exemple différentes brochures publiées initialement par l’Agence Mondiale afin de correspondre aux réalités francophones. Parmi celles-ci, une brochure à destination des parents.
Voilà donc les acteurs de prévention dans une situation particulière. L’enjeu pour les jeunes sportifs n’est pas tant d’éviter la consommation problématique de produits que de préserver leur réputation et leur carrière. Comment intervenir face à des jeunes qui ont beaucoup à perdre s’ils sont déclarés positifs à un contrôle antidopage ? Force est de constater que les moyens manquent encore en Europe pour une prévention aussi complexe que les réalités sportives.
À la suite de leur enquête sur le dopage chez les jeunes sportifs français, Sophie Javerlhiac et Dominique Bodin ont établi 28 préconisations, divisées en sept axes d’approches (éducation, information, recherche épidémiologique, dissuasion, neutralisation, réhabilitation, réinsertion sociale ) (9).
S’ils cèdent aux sirènes du discours trash, dont ils reconnaissent pourtant le risque de créer une attirance morbide auprès des adolescents, ils proposent également une véritable réflexion sur le bon équilibre entre lutte contre le dopage et respect des droits humains et sur les conditions de vie des sportifs de haut niveau. Prospective Jeunesse revient ici sur les pistes principales.
Entraîneurs et parents sont un public cible de la prévention.
Piste : responsabiliser les parents
Parmi les comportements parentaux, Javerlhiac et Bodin attirent l’attention des professionnels de la prévention sur les familles hyper-absentes et celles hyper-présentes. Les premières délèguent l’éducation à la structure (club, fédération) et participent peu à la célébration des victoires comme au soutien dans les moments plus difficiles (échec, blessure…). Les secondes sont généralement composées d’anciens sportif.ve.s, qui analysent les prestations de leur progéniture au regard de leur propre expérience.
Piste : intégrer l’individualisation du suivi à la formation des entraîneurs
Selon Javerlhiac et Bodin, les entraîneurs ont bien souvent reçu un enseignement reposant sur un individu théorique et s’appuient sur des aspects techniques. Le risque de cette formation est de cantonner ce personnage central pour le joueur à ce rôle standard quand il pourrait devenir un interlocuteur référent pour les sportifs.
Au nom du sport propre, la lutte antidopage n’hésite pas à bafouer certains droits des sportifs : présomption de culpabilité, obligation de localisation, flou sur les sanctions . Il est d’ailleurs probable que beaucoup d’entre eux ignorent leurs droits.
Pistes : informer plus clairement les joueurs de leurs droits
Beaucoup de sportifs ne sont pas conscients de consommer des produits dopants, et leur connaissances des procédures de contrôle repose beaucoup sur des rumeurs ou le récit d’expériences de professionnels plus anciens.
Pistes : normaliser le traitement des sportifs
Intrusion dans leur vie privée, corrélation vite établie entre traces de produits et intention de dopage, les sportifs sont soumis à un régime strict.
À noter qu’une autre piste urgente est l’harmonisation internationales des processus de contrôle… et l’épine que constituera le cannabis, légal dans certains produits et prohibé dans d’autres.
Or il semble difficile d’assurer que sa consommation par un sportif soit relié à sa pratique sportive. Alors que l’alcool n’est pas considéré comme un produit dopant, le cannabis ne fait pas consensus, car il pourrait aider à la gestion du stress. On aurait envie d’ajouter : comme le chocolat.
Les usages récréatifs des psychostimulants hors compétition sont aussi à l’ordre du jour des débats à l’Agence Mondiale AntiDopage.
Réduction des risques : les « cliniques stéroïdes »
Quoi ?
Des cliniques « Sports & Drogues », dispositifs gratuits et confidentiels, qui proposent différents services de réduction des risques concernant les usages de stéroïdes
Où ? Au Royaume-Uni
Quel public ?
Des sportifs amateurs, auparavant public caché
Comment ?
Source : Eurotox, Bonnes pratiques en réduction des risques, p. 32. (Disponible sur www.eurotox.org ainsi qu’une bibliographie complémentaire).
La marchandisation des disciplines et les lourds enjeux financiers poussent à la surexploitation des sportifs. Or leur professionnalisation est brève et précaire, et leurs conditions de travail instables. Ces différentes caractéristiques poussent au dopage celui et celle qui veut se maintenir dans l’élite.
Pistes:
Pistes : développer une stratégie de prévention à destination des sportifs amateurs
Les amateurs plus touchés que les pro ? Proportionnellement, oui. Ils sont livrés à eux-mêmes, au contraire des sportifs pro qui sont encadrés par une équipe. Parfois influençables, les amateurs se basent sur du bouche à oreille, testent, manquent de formation, utilisent des médicaments moins chers et des produits dont la traçabilité est impossible.
Enfin, parmi les 28 préconisations, nous voudrions en souligner une dernière. Sophie Javerlhiac et Dominique Bodin appellent à la publication annuelle du nombre de contrôle effectués, le nombre de répondants positifs, ventilé par catégorie de sexe et d’âge.
L’objectif ? Déconstruire les représentations tenaces pour les remplacer par des informations rationalisées. Certaines catégories de sportifs ou de sport en souffrent en effet de stigmatisation en raison de réputations erronées.
Peut-on rêver ? Face à l’absence de problèmes sanitaires d’ampleur autour du dopage, pourrait-on revoir les missions prioritaires que l’Agence Mondiale a fixées dans l’accompagnement des sportifs ? Si ses dispositifs de prévention mettent l’accent sur le sport propre, il semble cependant ambitieux de diversifier ses activités et de les décentrer du dopage, la lutte antidopage restant sa raison d’être … et de financement.
« Le Code a eu pour première origine les grandes affaires de dopage, en cyclisme, à la fin des années 90, explique Julien Magotteaux. L’axe a donc été surtout mis sur les contrôles des élites. » Il l’assure : » Désormais, progressivement, l’Agence Mondiale Antidopage est en train de renforcer l’importance du rôle de la prévention. »
Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour déclarer le dopage comme un combat perdu, les sponsors resteraient de farouches défenseurs de la lutte antidopage. Une question… de communication.
Le contrôle antidopage… à la Belge !
L’Agence Mondiale AntiDopage délègue son pouvoir et ses missions aux ONAD, agences nationales de lutte contre le dopage. Une par pays. Seule exception à la règle, pays fonctionnant par entités fédérées comprises : la Belgique, qui en possède quatre (Communauté Flamande, COCOM, Communauté Germanophone et Fédération Wallonie-Bruxelles). Les quatre ONAD belges se partagent le territoire et ont chacune leur décret propre, avec une philosophie relativement commune et des différences « d’ordre pratique ».
À noter que ces organismes se veulent strictement neutres, et, malgré leur intégration dans l’administration communautaire, ils restent indépendants de la direction de la Santé, comme de celle du Sport. Territorialement, en cas de compétition à Charleroi, l’ONAD de la FWB contrôle toutes les équipes, qu’elles soient francophones, néerlandophones ou proviennent d’un pays étranger.
Actuellement distinctes selon les ONAD, les procédures disciplinaires sont en voie d’harmonisation. Jusqu’alors, « une fois les contrôles effectués, ce sont les fédérations sportives qui sont chargées des sanctions disciplinaires en Communauté française [ndlr : appelée désormais Fédération Wallonie-Bruxelles] et à Bruxelles » (11). En Flandre, c’est une commission disciplinaire attachée à l’administration de la Communauté qui se charge des sanctions pour les sportifs amateurs, tandis que les fédérations sportives gardent la main sur les élites.
« Cette différence est en voie de modification, nous explique Julien Magotteaux, juriste à l’ONAD, un décret modificatif de novembre 2018 prévoit de donner à la Commission Interfédérale Disciplinaire du Dopage (la CIDD° la compétence nécessaire toute compétence en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les fédérations sportives ne sont pas égales face à l’application des sanctions : respecter le code mondial de la lutte anti-dopage réclame des compétences techniques, juridiques et médicales fortes, qui coûtent trop cher aux petites fédérations. Il est important que tous les sportifs soient sanctionnés identiquement. » La mise en application du décret est espérée pour octobre 2019.