Éducation aux drogues : au revoir les mallettes

juillet 2024

Depuis le 12 juillet 2012, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) faisait partie des missions de l’enseignement obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Bien que cette disposition ait offert une reconnaissance officielle de la nécessité d’intégrer l’EVRAS tout au long de la scolarité, dans les faits, une vraie disparité des applications et contenus de la prévention existait entre les établissements scolaires. Ces inégalités de mises en pratique ont mené, en septembre 2023, à un accord de coopération dont il pourrait s’avérer utile de s’inspirer en matière de prévention des assuétudes.

Éducation aux drogues : au revoir les mallettes

Depuis plus d’un an, les élèves francophones doivent assister à deux heures d’EVRAS en 6ème primaire et 4ème secondaire. Même minimale, cette obligation répond à un besoin. Pour Céline Danhier, directrice de l’association de santé sexuelle O’YES : « Il est important de développer l’esprit critique des jeunes pour faire face à la désinformation que l’on peut trouver, en particulier, sur les réseaux sociaux. Leur donner la capacité de croiser les informations par exemple, leur permet de faire des choix éclairés et d’être plus compétent quant à leur santé. En cela, l’école est un lieu privilégié pour aborder les questions de vie relationnelle, affective et sexuelle, car elle permet de sensibiliser l’ensemble des élèves et particulièrement celles et ceux qui n’ont pas de ressources dans leur famille pour aborder ces sujets. »

Histoire de l’EVRAS : un long fleuve pas tranquille

L’EVRAS est pratiquée au sein des établissements scolaires depuis plus de 50 ans. Pour faire partie intégrante de l’obligation scolaire et aborder les relations sous l’angle du plaisir et de l’accueil des différences, la promotion des relations affectives et l’éducation aux relations sexuelles ont connu de nombreuses formes. Au commencement, à travers l’image : les premières mentions des relations interpersonnelles et de la sexualité étaient réalisées sous le prisme des risques sanitaires. Les animations assurées par des prêtres se résumaient à la présentation d’images d’organes reproducteurs malades atteints par la syphilis ou d’autres maladies.

La vision se fait ensuite plutôt clinique : dans les années septante, la libération sexuelle entraînée par le mouvement de mai 68, fait quelque peu évoluer la prévention en santé sexuelle. En 1973, on trouve la première vidéo intitulée « Je grandis, je change¹ », qui proposait une description très précise de l’anatomie et des changements du corps lors de la puberté. La vision était cependant toujours très portée sur le corps au travers d’un regard médical.

L’arrivée du SIDA dans les années 80 renforce ce focus. La priorité est mise sur la protection contre les IST et MST, donnant lieu aux fameuses séances de déroulés d’un préservatif sur une banane. La peur des maladies sexuellement transmissibles projetait alors son ombre sur la notion de plaisir.

Et enfin… l’amour ! C’est dans les années 90 qu’apparaissent les notions d’amour, de relations et d’autonomie, dispensées par des intervenant.es extérieur.es², notamment les plannings familiaux.

Malgré cette avancée majeure, une nouvelle problématique est identifiée : le contenu du discours de certain.es animateur.ices n’est soumis à aucun contrôle. Certaines interventions se teintent alors de tabous, d’idées reçues et de convictions morales, notamment celles assurées par certains organismes religieux tenant des propos anti-avortement. Les signalements auxquels elles donnent lieu ont permis de donner un coup d’accélérateur à la création d’un cadre législatif de l’EVRAS.

L’EVRAS dans les programmes scolaires

En juin 2013, une première tentative de régulation a été mise en œuvre entre la Communauté française, la Région wallonne et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale (Cocof), autour d’un protocole d’accord qui stipule que la mise en œuvre de l’EVRAS en milieu scolaire vise à :
– promouvoir le libre choix, le respect, la responsabilité envers l’autre et soi-même et l’égalité dans les relations amoureuses et les pratiques sexuelles des jeunes ;
– permettre aux enfants et aux jeunes de construire, parallèlement à leur développement psychoaffectif, des compétences personnelles en vue de leur permettre de poser des choix responsables ;
– prévenir la violence dans les relations amoureuses, et sur un plan plus général dans les relations entre filles et garçons ;
– déconstruire les stéréotypes sexistes et homophobes³.

Cette belle avancée ne permettait cependant pas d’assurer l’équité des interventions au sein des écoles. La proposition des animations EVRAS demeurait en effet à l’appréciation des directeur.ices d’établissements. Il se pouvait qu’aucune animation ne soit proposée ou qu’une simple affiche dans le couloir soit considérée comme suffisante à la prévention auprès des élèves.

Alertées par de nombreuses associations et acteur.ices de terrain, les différents niveaux de pouvoir évoqués ci-dessus se sont réunis pour définir un accord de coopération plus contraignant et doté d’objectifs clairs.

Depuis septembre 2023, les écoles ont donc l’obligation d’organiser au minimum une animation EVRAS de 2 heures en 6ème primaire et en 4ème secondaire, soit 4 heures sur l’ensemble de la scolarité, dispensées par des structures labellisées par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
La labellisation est soumise à une obligation de formation pour les animateur.ices EVRAS, dispensées par des opérateurs spécialement reconnus en cette matière. Les professionnel.les en charge des animations sont issu.es des centres psycho-médico-sociaux (PMS), des services de promotion de la santé à l’école (PSE) ou de plannings familiaux.

Afin d’avoir les outils et connaissances nécessaires pour répondre aux questionnements et réflexions des jeunes lors des animations, un guide pour l’EVRAS⁴ a été créé à destination des professionnel.les. Cet outil créé sur la base de la littérature scientifique internationale, de consultations de divers professionnel.les et d’enquêtes menées auprès des jeunes, sert de balise pour les contenus thématiques abordés en fonction des âges.

Céline Danhier précise : « À destination des profesionnel.les comme support à la construction d’animations, le guide n’oblige pas l’abord des thématiques mais permet aux professionnel.les d’être outillé.es et capables de répondre aux éventuelles questions qui pourraient émerger lors des animations, en fonction des âges. »

Au cœur d’une tourmente lors du vote de l’Accord de coopération, le guide est attaqué par plusieurs organismes qui dénoncent « le caractère idéologique et hypersexualisé de l’EVRAS, qui met en danger le développement psychoaffectif de l’élève. » Ils dénoncent également une promotion de la transidentité.

La levée de boucliers que connaissent aujourd’hui les acteur.ices de l’EVRAS n’est pas nouvelle et démontre l’immense travail de déconstruction d’idées reçues qu’il reste encore à accomplir sur le fait d’aborder des questions de l’intime, des relations personnelles et de la sexualité dans une dimension positive et ce malgré les besoins et bienfaits de telles interventions sur le bien-être et la santé des jeunes⁵.

Donner les clés pour devenir acteur de sa santé : les savoirs, les savoir-être

En matière d’introduction de la notion de plaisir, dans un objectif d’éducation positive à la promotion de la santé et aux assuétudes, du chemin reste à parcourir. Aujourd’hui encore, à l’image des prêtres des années 50 et de leurs photos de maladies vénériennes, la police est appelée dans certaines écoles pour exposer les risques de consommations des diverses substances, bien qu’il ait été démontré que la « prévention » par la peur est contre-productive.

En s’adressant à un public jeune sur le versant de la peur afin qu’il ne consomme pas, c’est la fascination aux produits et la tentation de transgresser les règles que l’on risque susciter. Mais c’est aussi la stigmatisation des personnes qui consomment que l’on renforce, bien loin de l’ouverture d’esprit que prône la promotion de la santé. Le mythe de l’escalade des consommations (« Il commence par un joint, il finira à l’héro ») est encore fort utilisé, martelé alors qu’aucune preuve scientifique ne démontre le caractère systématique d’un tel parcours de vie⁶. La transmission de fausses idées crée et renforce des imaginaires sombres et stigmatisants autour de la consommation de substances et des personnes qui la pratiquent.

Comme les relations affectives et sexuelles, la consommation de substances fait partie de la réalité de bon nombre de jeunes et d’adultes. Les dangers existent et s’en prémunir est l’un des objectifs de la prévention. Cependant, traiter les questions de consommations uniquement par le prisme des dangers ne correspond pas à la réalité des jeunes. L’origine des comportements de consommation se trouve aussi dans la recherche de plaisir. Ne pas aborder cette notion, revient à ne dévoiler qu’une partie du tableau, que la face sombre de la pièce, comme parler de sexualité sans parler de plaisir et donc sans clitoris ! Ce que beaucoup de familles parviennent à faire avec l’alcool, pourquoi n’y parviendraient-elles pas avec d’autres substances psychotropes ?

À défaut, la prévention est inefficace voire contre-productive ne permettant pas de nourrir une relation de confiance entre l’adulte et le jeune. L’adulte paraît trop éloigné de la réalité et donc n’est pas identifié.e comme une personne de référence vers qui le ou la jeune peut se tourner pour avoir des conseils ou se confier.

Parler de plaisir, démystifie sans banaliser, c’est le travail d’équilibriste que réalise la promotion de la santé sur la question des assuétudes. Comme l’EVRAS, la promotion de la santé auprès des jeunes cherche à développer les compétences psycho-sociales afin qu’iels soient suffisamment outillé.es pour réaliser leurs choix de manière éclairée.

Dans ce numéro où l’on se permet à rêver d’une éducation positive autour des drogues, on se laisse à penser que les mallettes de produits des policiers seront bientôt remplacées par les animations EVRAS et que ces mêmes policier.ères ne seront bientôt plus identifé.es comme ressources de prévention. On ferait alors la part belle à la parole des jeunes afin de leur permettre le développement de leur pouvoir d’agir sur leur propre santé.

¹ B. HENNE et E. MALICE, « Vous saurez tout sur le zizi et sur l’Evras : retour sur 50 ans d’éducation sexuelle à l’école », RTBF. Disponible sur : https://urls.fr/ZpVu7D

² État des lieux des besoins des établissements scolaires de l’enseignement secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles en matière d’Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle. Disponible sur le site evras.be : https://urls.fr/Gt_SAl.

³ Protocole d’accord entre la Communauté française, la Région wallonne et la Commission Communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale, relatif à la généralisation de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) en milieu scolaire. Disponible sur : https://urls.fr/3R6RXx.

⁴ Guide pour l’EVRAS. Disponible sur le site evras.be : https://urls.fr/MTGVB7.

⁵ État des lieux des besoins des établissements scolaires de l’enseignement secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles en matière d’Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle. Disponible sur le site evras.be : https://urls.fr/Gt_SAl.

⁶ Barras Christine « Comprendre les consommations de drogue à l’adolescence, un enjeu démocratique », Prospective Jeunesse. Disponible sur prospective-jeunesse.be : https://urls.fr/0gjf9W.