C’est peut-être quand le temps n’est pas à l’utopie que celle-ci s’avère particulièrement nécessaire. Tel est en tout cas le pari qui sous-tend ce numéro. Loin de décrire le réel ou d’envisager les changements à portée de main, il se projette dans l’utopie d’un monde qui se serait défait d’un rapport moralisateur aux drogues et les verrait enfin comme un phénomène humain fondamental. Cette société devrait alors entreprendre une éducation positive aux drogues, qui ne se contenterait pas d’avertissement sur les méfaits et de réduction des risques.
Il serait en effet peut-être temps que l’éducation aux drogues suive le même chemin que l’éducation à la sexualité. Les récents soubresauts et contestations publiques qu’a connus l’accord de coopération relatif à la vie relationnelle affective et sexuelle pourraient, certes, faire douter de l’opportunité de la comparaison. Toujours est-il qu’en matière d’« éducation sexuelle », nos sociétés sont passées en quelques décennies de la vision la plus prude, obsédée par le péché et les dangers moraux et sanitaires – soit des séances effroyables de présentation de photographies illustrant les dégâts des maladies vénériennes par quelque sinistre curé – à une perspective infiniment plus ouverte et nuancée, donnant enfin une place aux questions de plaisir, de consentement, de genre, etc.
C’est exactement ce même chemin que Jean-Sébastien Fallu nous propose de parcourir en matière d’éducation aux drogues, en esquissant quelques-uns des contours qu’elle pourrait prendre dans une version positive.
Puisque ce numéro se projette dans un avenir utopique, Christine Barras revient sur la question de l’utopie, et singulièrement du rapport entre celle-ci et les drogues – au prisme notamment du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley.
Il y a aussi loin du présent à l’utopie que de la coupe aux lèvres. C’est ce que rappelle Anaïs Teyssandier dans son article consacré à la généralisation des modules d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, ainsi qu’à la vigoureuse opposition qu’elle a rencontrée.
Voilà qui devrait servir d’avertissement à toute velléité d’effectuer un simple copier-coller entre les chemins institutionnels de l’éducation à la sexualité et de l’éducation aux drogues. Comme le rappelle Christine Barras, les utopies ne devraient de toute façon pas constituer un manuel d’utilisation, mais plutôt une inspiration pédagogique.
Enfin, dans la deuxième partie de ce numéro, pour un varia inhabituellement long, Maurizio Ferrara évoque le phénomène du chemsex, en propose une approche particulièrement informée et précise, et propose quelques balises cliniques pour une approche thérapeutique.