Le tabac tue jusqu’à un consommateur sur deux[1]. En 2015, on l’estimait être responsable de 6,4 millions de morts dans le monde[2]. L’adolescence est une période qui se caractérise par une exposition plus importante aux comportements à risque, tels que le tabagisme. Si les adolescents ont tendance à connaître les risques liés à cette consommation, ils en sous-estiment bien souvent le côté addictif[3]. En effet, la majorité des adultes qui fument ou ont fumé, ont commencé avant l’âge de 18 ans[4], et beaucoup d’entre eux regrettent d’avoir commencé un jour[5]. En Belgique francophone, parmi les adolescents du 2e-3e degré secondaire, un sur trois rapportait avoir déjà essayé de fumer, et plus d’un sur dix rapportait fumer au moins une fois par semaine (chiffres de 2018)[6]. Le tabac est, certes, un vieux problème, mais il reste d’actualité.
La Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour la lutte antitabac a été adoptée en 2003. Suite à cela, des politiques de réglementation du tabagisme ont été mises en place afin de réduire la consommation tabagique de la population, et plus particulièrement des adolescents. Parmi elles, des politiques visent le milieu scolaire, lieu où les adolescents passent la majeure partie de leur temps. Un décret visant la prévention du tabagisme et l’interdiction de fumer à l’école dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles est d’application depuis 2006[7].
Une équipe de chercheurs de l’Institut de recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain a pris part au projet SILNE-R, financé par le programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne. L’objectif principal du projet était de comprendre l’implémentation des politiques de contrôle du tabac chez les adolescents, tout en tenant compte des inégalités de tabagisme[8]. Dans le cadre de ce projet, des données sur plus de 18 500 adolescents de 3e et 4e secondaires et plus de 400 membres du personnel scolaire ont été collectées en 2013 et en 2016 dans 38 écoles de 6 villes européennes (Namur – Belgique, Tampere – Finlande, Hanovre – Allemagne, Latina – Italie, Coimbra – Portugal, Amersfoort – Pays-Bas). À l’aide des informations collectées, nous avons évalué les politiques de réglementation du tabac de ces 38 écoles et analysé leur impact sur les pratiques de consommation tabagique chez les adolescents fréquentant ces établissements. La méthodologie et les résultats présentés ici sont détaillés dans une publication scientifique[9].
Dans tous les pays, moins d’adolescents rapportaient fumer en 2016 qu’en 2013, que ce soit dans l’enceinte de l’école, juste devant l’école, ou fumer en général. Néanmoins, il est apparu que la Belgique avait à chaque fois des moyennes plus élevées que les moyennes européennes.
En 2016 en Belgique, un adolescent sur cinq rapportait fumer régulièrement. Parmi les adolescents qui rapportaient fumer, près d’un sur cinq disait le faire dans l’enceinte de l’école, et trois sur cinq devant l’école.
Pour ce qui est des réglementations du tabac, elles semblent être connues des adolescents belges mais pas strictement appliquées, manquant de rigueur et de cohérence. En outre, cette application varie fort d’une école à l’autre, bien qu’elle soit, théoriquement, la même partout.
Telles qu’elles sont appliquées, les politiques de réglementation du tabac ne font que repousser le problème au-delà des murs de l’école.
Nos analyses montrent qu’une réglementation rigoureuse et cohérente protège les adolescents du tabagisme dans l’enceinte de l’école. Lorsqu’elle est mieux mise en place, mieux appliquée et mieux communiquée, il y a moins de risques que les adolescents fument dans l’enceinte de l’école. Ce résultat est encourageant pour motiver le maintien et l’amélioration de ces politiques car elles remplissent leur rôle premier : diminuer l’accès du tabagisme aux adolescents qui fument et diminuer l’exposition au tabagisme à ceux qui ne fument pas. Plus exactement, c’est surtout le fait que la réglementation soit perçue comme stricte par les adolescents qui semble avoir une grande importance. Cela fait écho aux conclusions d’Evans-Whipp et al.[10] qui suggéraient de se concentrer sur le fait que les adolescents aient conscience de la réglementation et assurer son application stricte, plutôt que de s’attarder sur les détails de son contenu. En effet, si les adolescents rapportent qu’elle n’est pas appliquée strictement, c’est qu’ils continuent à voir des pairs fumer dans l’école, et/ou que les contrôles sont inconstants. Une de nos recommandations est dès lors une application rigoureuse et cohérente, sans possibilité de contourner les règles (tolérance zéro). De plus, si un adolescent fume dans l’enceinte de l’école, ce n’est pas uniquement un problème disciplinaire, mais avant tout une question de santé. Une autre recommandation est donc de mettre en place des actions constructives et réfléchies, en mettant l’accent sur l’accompagnement des adolescents à la gestion de leur consommation plutôt que sur des actions disciplinaires.
Les politiques de réglementation du tabac ont donc le potentiel de réduire le tabagisme dans l’enceinte de l’école. Par contre, telles qu’elles sont appliquées, elles ne font que repousser le problème au-delà des murs de l’école. Par exemple, la réglementation n’englobe pas les abords de l’école. Ainsi, la consommation du tabac y est maintenue, ce qui renforce sa visibilité, et donc son acceptabilité chez les adolescents. Ces résultats nous permettent de suggérer d’étendre la politique aux abords de l’école également.
Les politiques de réglementation du tabac dans l’école peuvent, à leur niveau, permettre que les adolescents changent leur attitude par rapport au tabagisme, développant une vision moins attirante de ce comportement, ce qu’on appelle la dénormalisation. Néanmoins, le fait que les règles disparaissent au-delà des murs de l’école, décrédibilise les mesures de prévention du tabagisme mises en place par l’école.
Certaines écoles ont installé un fumoir, pour les membres du personnel scolaire et/ou pour les étudiants majeurs, pour permettre à ceux-ci de fumer, tout en assurant leur discrétion. Ceci réduit en effet la visibilité du tabagisme pour les adolescents qui ne fument pas. Cependant, la présence d’un fumoir renverrait le message que le tabagisme a sa place à l’école, autrement dit un message en contradiction avec les politiques de réglementation du tabac.
Les politiques de réglementation du tabac en milieu scolaire sont communément réduites à l’interdiction de fumer dans les écoles. Néanmoins, nous pensons qu’il y aurait beaucoup à gagner à considérer cette politique comme un outil de promotion de la santé, plutôt qu’une simple interdiction. Nos recommandations suggèrent d’appliquer une politique de réglementation du tabac rigoureuse et cohérente, qui n’envoie pas de messages contradictoires aux adolescents, et qui s’étende jusqu’aux abords de l’école pour réduire la visibilité du tabagisme. De plus, il est important de considérer la question du tabagisme à l’école comme une question de santé, plutôt qu’uniquement une question disciplinaire.
Depuis le décret de 2006, ni son application ni son efficacité n’ont été évaluées officiellement. Dans le cadre de notre étude à l’échelle européenne, nous avons pu faire ce travail dans certaines écoles de la ville de Namur. Nous encourageons néanmoins les autorités compétentes à mettre en place une évaluation similaire, à plus grande échelle, et/ou en visant des écoles composées d’un public précarisé. Le lien entre tabagisme et précarité a été prouvé à maintes reprises dans la littérature[11]. Ces réglementations sont-elles mises en œuvre correctement là où il y en a le plus besoin ?
[1] World Health Organisation (2021), Tobacco – Key facts. 2021; Disponible sur: https://www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/tobacco [consulté le 20/10/2021].
[2] REITSMA, M.B., N. FULLMAN, M. NG, J.S. SALAMA, A. ABAJOBIR, K.H. ABATE, . . . E. GAKIDOU (2017), Smoking prevalence and attributable disease burden in 195 countries and territories, 1990–2015: a systematic analysis from the Global Burden of Disease Study 2015. The Lancet, 2017. 389(10082): p. 1885-1906.
[3] SLOVID, P. (2000), What does it mean to know a cumulative risk? Adolescents’ perceptions of short-term and long-term consequences of smoking. Journal of Behavioral Decision Making, 2000. 13(2): p. 259-266.
[4] European Commission (2021), Special Eurobarometer 506: Attitudes of Europeans towars tobacco and eletronic cigarettes.
[5] NAYAK, P., T.F. PECHACEC, P. SLOVIC, and M.P. ERIKSEN (2017), Regretting Ever Starting to Smoke: Results from a 2014 National Survey. International Journal of Environmental Research and Public Health, 2017. 14(4): p. 390.
[6] DUJEU, M., C. PEDRONI, T. LEBACQ, V. DESNOUCK, N. MOREAU, E. HOLMBERG, and K. CASTETBON (2020), Consommations de tabac, alcool, cannabis et autres produits illicites. Comportements, santé et bien-être des élèves en 2018–Enquête HBSC en Belgique francophone: Service d’Information, Promotion, Education Santé.
[7] « Décret relatif à la prévention du tabagisme et l’interdiction de fumer à l’école », Décret du 5 mai 2006. Moniteur Belge. p. 31468.
[8] Les inégalités de tabagisme découlent du fait que le tabagisme est plus présent chez les publics venant de milieux défavorisés.
[9] MÉLARD, N., A. GRARD, P.-O. ROBERT, M.A. KUIPERS, M. SCHREUDERS, A.H. RIMPELÄ, . . . A.E. KUNT (2020), School tobacco policies and adolescent smoking in six European cities in 2013 and 2016: A school-level longitudinal study. Preventive Medicine, 2020: p. 106142.
[10] EVANS-WHIPP, T.J., L. BOND, O.C. UKOUMUNNE, J.WTOUMBOUROU, and R.F. CATALANO (2010), The impact of school tobacco policies on student smoking in Washington State, United States and Victoria, Australia. International Journal of Environmental Research and Public Health, 2010. 7(3): p. 698-710.
[11] SHACKELTON, N., B.J. MILNE, B.J, and J. JERRIM (2019), Socioeconomic inequalities in adolescent substance use: Evidence from twenty-four European countries. Substance Use & Misuse, 2019. 54(6): p. 1044-1049 ; ainsi que LORANT, V., V.S. ROJAS, P.-O. ROBERT, J.M. KINNUNEN, M.A. Kuipers, I. MOOR, . . . B. FEDERICO (2017), Social network and inequalities in smoking amongst school-aged adolescents in six European countries. International Journal of Public Health, 2017. 62(1): p. 53-62.