Des différences significatives ont été observées en Belgique et dans le monde au sujet de la consommation (abusive ou non) d’alcool, de médicaments et de substances illicites chez les hommes et les femmes1. Bien que le rapport homme-femme diffère d’un pays à un autre, ainsi qu’en fonction des modalités de traitement et de la substance d’abus principale, les données portant sur la demande de traitement mettent en avant que les hommes sont quatre fois plus nombreux que les femmes dans les services traitant des dépendances aux drogue².
L’entrée en traitement peut être entravée par de nombreux facteurs complexes, de nature socioculturelle comme la stigmatisation sociale, socio-économique (pauvreté, niveau d’instruction), ainsi que par des obstacles systémiques (accessibilité géographique et financière des services, heures d’ouverture, absence de garderies³).
De plus, lorsque les femmes entament un programme de soins, elles ont tendance à présenter des problèmes d’abus de substances plus graves, incluant des troubles physiques, psychologiques, familiaux et socio-économiques4.
Gen-Star est une étude Belspo5 réalisée par Sciensano en collaboration avec Ugent et HoGent6. Les objectifs de celle-ci étaient donc de déterminer les besoins d’une approche sensible au genre dans le domaine de la prise en charge des usagères de drogue ou d’alcool en Belgique, ainsi que les difficultés et les obstacles rencontrés par ces femmes lorsqu’elles utilisent ces services. L’étude était divisée en différents volets et comprend des analyses qualitatives (entretiens approfondis et focus groupes) et quantitatives (analyse de bases de données épidémiologiques), une revue de la littérature et des bonnes pratiques nationales et internationales, ainsi qu’un recensement des initiatives existantes.
Au travers des entretiens réalisés avec les usagères, les différents parcours de femmes révèlent une grande diversité d’histoires et de trajectoires. Mais malgré cette variété, certaines caractéristiques spécifiques de femmes fréquentant d’une part les programmes ambulatoires et d’autre part les programmes résidentiels ont été distinguées, ainsi que leurs besoins.
Les usagères fréquentant les programmes ambulatoires à bas seuil d’accès semblent rechercher davantage un soutien pratique, en ce compris une aide sociale, un accompagnement dans la recherche de logement, et de ressources financières. Des besoins immédiats, de base, comme manger, dormir, obtenir des seringues ou consulter un médecin, peuvent être observés pour un large éventail de consommatrices. En revanche, dans les programmes résidentiels de traitement, les femmes expliquent avoir davantage de besoins sur le long terme comme fonder une famille, avoir un emploi, aller en vacances et mener ce qu’elles appellent, une « vie normale ».
Etant donné les différences de besoins, le type d’aide offert peut grandement varier. De fait, les services offerts par les centres de traitement sont souvent adaptés à cette demande. Dans les services ambulatoires, l’aide fournie est liée à l’organisation de la vie quotidienne des consommatrices et les interventions visent à les aider à adopter un mode de vie plus sain et à accéder aux soins de santé primaires. Une assistance est proposée en ce qui concerne les consultations médicales, les procédures administratives ou les demandes d’emploi ou de formation. Même si un soutien et des conseils psychologiques sont également proposés, il ne s’agit pas de la priorité principale des consommatrices. Par contre, les consommatrices des programmes résidentiels visent à un changement complet de mode de vie et d’existence, en ce compris un nouveau départ dans la vie où la consommation d’alcool et de drogues n’a plus sa place. Ces patientes en soins résidentiels diffèrent de la plupart des patientes des programmes ambulatoires par le fait qu’elles sont engagées dans un processus différent de compréhension du rôle de la consommation de substances dans leur vie et sur la façon d’apprendre à vivre sans drogue ou alcool.
Parmi les usagères de drogues en traitement, la catégorie d’âge des 15-30 ans est celle la moins représentée. La proportion de femmes tend ensuite à augmenter avec l’âge7. La constatation a été la même lors des entretiens : les femmes les plus jeunes étaient les plus difficiles à recruter dans les différents centres (traitement, bas seuil, prévention).
Dans le groupe des jeunes femmes (15 à 30 ans), l’usage du cannabis est plus marqué que dans les autres catégories d’âge. De même, une plus grande proportion de jeunes femmes entre en traitement pour un usage problématique de cannabis. Les deux autres substances pour lesquelles les jeunes femmes entrent le plus souvent en traitement sont l’alcool et la cocaïne.
Si la consommation de cannabis et d’autres drogues illicites telles que l’héroïne semble plutôt relever d’un comportement masculin, on observe a contrario que la consommation d’antidépresseurs et de tranquillisants est plus marquée chez les femmes que chez les hommes. Ce constat confirme les tendances observées dans le TDI8 depuis plusieurs années. De plus, pour l’usage d’alcool et des médicaments psychoactifs, l’augmentation des taux de prévalence9 est liée à l’âge. En revanche, pour les drogues illicites, on observe un phénomène inverse, à savoir une plus grande prévalence parmi les jeunes.
En outre, si l’on considère la proportion d’hommes et de femmes qui entrent en traitement pour un usage problématique d’alcool, il semblerait que les femmes entrent plus facilement que les hommes. Les résultats indiquent aussi que les femmes se dirigent plus souvent vers les hôpitaux que vers les centres spécialisés. L’hypothèse que nous formulons serait que le type de substance consommée, l’alcool, pourrait expliquer le choix du centre.
Les entretiens réalisés nous ont permis de mettre en avant d’une part les obstacles spécifiques rencontrés par ces femmes ainsi que les facteurs motivationnels, d’autre part de voir émerger certains thèmes sous-jacents dans ces récits.
Parmi ces thématiques implicites, on peut retrouver notamment la question de l’approche holistique du traitement, c’est-à-dire qu’autant le corps que l’esprit doivent être pris en compte dans l’approche thérapeutique. Ensuite, la question de la stigmatisation sociale pèse lourdement sur ces femmes, induisant dès lors un sentiment de honte et de culpabilité qui peut entraver la reconnaissance de certains besoins spécifiques. Le travail avec les pairs les aide à se sentir mieux comprises et cela dans une optique de non-jugement, la question du sentiment de sécurité et enfin les responsabilités quotidiennes qui les empêchent de prendre soin d’elles et dès lors d’envisager une entrée en traitement.
Le sentiment de sécurité à l’intérieur du centre de traitement peut être triple. Tout d’abord, il y a le fait de se sentir en sécurité au niveau du produit et de l’environnement, autrement dit d’être éloignée de son entourage habituel. Ensuite la structure et les activités quotidiennes fournies par le centre aident également à maintenir ce sentiment de sécurité. Et enfin, le sentiment de sécurité peut être lié aux rapports avec les hommes. Premièrement, étant donné la faible proportion de femmes présentes en traitement par rapport aux hommes, le fait de se retrouver en minorité peut effectivement être difficile. Face à cela, se rajoute la question des traumatismes qui peuvent avoir été vécu par ces femmes liés notamment aux abus physique, psychique et sexuel, ainsi que la question de la prostitution pour certaines. Toutes ces questions rendent les échanges difficiles, notamment dans les groupes de paroles, ainsi que, pour certaines, la cohabitation avec les hommes.
Un autre point important est la question de l’attachement affectif et des relations amoureuses qui se forment lors du séjour en centre. La plupart de ces aventures amoureuses mène souvent et rapidement à un abandon de la cure. L’absence d’homme ou l’existence d’espaces de vie et d’échanges séparés pour certaines activités sont souvent cités comme étant bénéfiques et positifs par ces femmes.
Enfin, la pression sociale des rôles sexués ainsi que les attentes liées à ces rôles peuvent être préjudiciables aux femmes et aux mères10. En effet, la femme est très souvent le premier pourvoyeur de soins pour les enfants, le mari ou compagnon, sans compter la prise en charge éventuelle d’autres proches. S’ajoutent à cela les responsabilités ménagères et la charge mentale. Cette pression ressentie, ainsi que les responsabilités liées aux différents rôles normatifs des femmes se reflètent dès lors sur leurs perceptions d’elle-même. Leur santé physique et mentale passe alors au second plan, préférant privilégier leurs responsabilités d’épouse, de mère et de travailleuse avant leur bien-être.
La question de la prise en compte du genre dans les centres de soins est relativement récente, mais pas inexistante. Une réelle réflexion a déjà été menée par certains professionnels et différents types d’initiatives en Belgique existent, chacune avec ses propres spécificités. En 2016, nous en avons dénombré 26, que ce soit au niveau de la prévention, de l’ambulatoire ou de l’offre résidentielle. Certaines initiatives sont mixtes, d’autres unisexes ; une partie d’entre elles ciblent particulièrement la question de la parentalité et le suivi de la grossesse avec les soins-périnataux, tandis que d’autres s’adressent plus globalement aux femmes à travers des groupes de parole ou des espaces réservés aux consommatrices. D’autres centres résidentiels ont mis en place une réflexion plus approfondie sur les notions de genre et de sexisme avec des règlements très spécifiques. Certains permettent aux mamans avec un enfant en bas âge de résider avec elles sur place.
Sur la base de leur expérience et de leur pratique quotidienne, les programmes impliqués dans cette recherche indiquent un réel besoin de pratiques spécifiques au genre. Les professionnels qui les mettent en œuvre accordent une attention particulière aux besoins spécifiques des femmes, mais notent l’absence d’outils et de méthodes de travail adaptés, ainsi qu’une formation centrée sur les questions relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, bien que la parentalité constitue un élément essentiel à prendre en considération dans le traitement des femmes, il convient de souligner qu’il ne faut pas limiter l’approche sensible au genre au rôle parental des patients. Un cadre théorique ou une philosophie globale sont souhaitables. De cette manière, la prise en compte du genre pourrait devenir un concept plus concret et plus accessible, ce qui pourrait stimuler d’autres services et les pousser à adopter cette approche dans leurs programmes.
Sur base des résultats de cette étude, nous avons formulé des recommandations regroupées autour de quatre thèmes majeurs incluant des mesures spécifiques pour développer un cadre structurel d’approches plus sensibles au genre. Un élément crucial pour mettre en œuvre avec succès ces recommandations est l’implication de tous les acteurs dans le processus de mise en œuvre, qu’il s’agisse du niveau politique ou pratique. Les autorités politiques aux niveaux fédéral, régional et local doivent être conscientes de la nécessité de travailler en étroite collaboration avec les différents acteurs sur le terrain et les centres spécialisés pour parvenir à des changements durables et efficaces11.
Exemples spécifiques d’activités pour développer des pratiques sensibles au genre
1. Back, S.E., Payne, R.L., Simpson, A.N., & Brady, K.T. (2010). Gender and prescription opioids: Findings from the National Survey on Drug Use and Health. Addictive behaviors, 35(11), 1001-1007;
Tang, A., Claus, R.E., Orwin, R.G., Kissin, W.B., & Arieira, C. (2012). Measurement of gender-sensitive treatment for women in mixed-gender substance abuse treatment programs. Drug and Alcohol Dependence, 123(1-3), 160-166.;
Van Havere, T., Vanderplasschen, W., Broekaert, E., & De Bourdeaudhui, I. (2009). The influence of age and gender on party drug use among young adults attending dance events, clubs, and rock festivals in Belgium. Substance Use and Misuse, 44(13), 1899-1915.
2. Montanari, L., Serafini, M., Maffli, E., Busch, M., Kontogeorgiou, K., Kuijpers, W., Ouwehand, A., Pouloudi, M., Simon, R., Spyropoulou, M., Studnickova, B., & Gyarmathy, V.A. (2011). Gender and regional differences in client characteristics among substance abuse treatment clients in the Europe. Drugs Education Prevention and Policy, 18(1), 24-31.
3. Greenfield, S. F., Brooks, A. J., Gordon, S. M., Green, C. A., Kropp, F., McHugh, R. K., & Miele, G. M. (2007). Substance abuse treatment entry, retention, and outcome in women: A review of the literature. Drug and Alcohol Dependence, 86(1), 1-21.
4. De Wilde, J. (2006). Gender-specific profile of substance abusing women in therapeutic communities in Europe (Doctoral Dissertation). Gent: Academia Press Gent.;
Kissin, W.B., Tang, Z.Q., Campbell, K.M., Claus, R.E., & Orwin, R.G. (2014). Gender-sensitive substance abuse treatment and arrest outcomes for women. Journal of Substance Abuse Treatment, 46(3), 332-339.
5. Belspo : Belgian Science Policy Office – Politique scientifique fédérale belge.
6. + Partenaires (Eurotox asbl, Fédito BXL, VAD vzw). Rapport complet : http://www.belspo.be/belspo/drugs/project_docum_fr.stm#DR73.
7. Source : TDI, 2015, Sciensano.
8. TDI: Treatment Demand Indicator- Indicateur de la Demande de Traitement.
9. La prévalence est le nombre de personnes atteintes d’une maladie donnée au sein d’une population. Le taux de prévalence est la proportion de cas au sein de cette population.
10. Neale, J., Nettleton, S., & Pickering, L. (2014). Gender sameness and difference in recovery from heroin dependence: A qualitative exploration. International Journal of Drug Policy, 25, 3-12.
11. Si vous désirez avoir pourSi vous désirez avoir pour plus d’informations concernant l’étude Gen-Star, vous pouvez contacter : sarah.simonis@sciensano.be. Vous pouvez également trouver le rapport complet via le lien suivant : http://www.belspo.be/belspo/drugs/project_docum_fr.stm#DR73, ou via le site : drugs.wiv-isp.be.