Carte blanche

Nous avons pris de la drogue !

Nous consommons ou avons consommé au cours de notre vie, de manière exceptionnelle, occasionnelle ou régulière, une ou plusieurs des substances figurant la liste établie par l’arrêté royal du 6 septembre 2017 réglementant les substances stupéfiantes et psychotropes. Dit, plus banalement, nous avons pris de la drogue !

En 1971, Le Nouvel Observateur publiait le manifeste « Je me suis fait avorter », signé par 343 femmes qui assumaient leur acte mais contestaient la pertinence de sa qualification pénale. Leur courage a ouvert la voie à la loi Veil, relative à l’interruption volontaire de grossesse.

Si la détention des substances que nous avons consommées nous met en infraction avec la loi et nous transforme en délinquant.e.s, nous assumons pareillement nos actes et contestons pareillement leur qualification pénale.

Ce faisant, nous n’entendons en aucun cas banaliser la consommation de produits psychotropes, qu’ils soient légaux ou non. En mettant une lumière crue sur un phénomène que chacun connaît et refoule dans le même mouvement, nous souhaitons au contraire ouvrir le chemin à l’élaboration d’une politique de santé publique susceptible de minimiser les risques liés à ces consommations pour les individus et pour la société. La publicité que nous donnons ici à des consommations d’ordre privé nous paraît nécessaire à la maturation d’un débat qui a été jusqu’ici beaucoup plus marqué par l’hypocrisie et l’aveuglement volontaire par des préoccupations sanitaires.

Ils sont en effet rares, en sciences sociales, les sujets qui font l’objet d’un tel consensus auprès des spécialistes. Tou.te.s s’accordent à le reconnaître : la « guerre à la drogue » ne fonctionne pas. Appuyée sur la chimère d’une société sans drogue, cette guerre ne connaît pas de fin – il y a trop de fraternisation avec l’ennemi –, entrave les politiques de prévention et de réduction des risques, contribue à la surpopulation carcérale, produit de la stigmatisation et dégrade la santé publique.

Ces « dommages collatéraux » seraient déjà inquiétants pour une politique qui atteindrait son objectif avoué – réduire les consommations ; pour une politique qui y échoue, ils deviennent exorbitants et scandaleux. Or, cet échec est patent et démontré : le caractère plus ou moins sévère de la répression n’a pas d’impact sur les niveaux de consommation de produits psychotropes. Une société qui réprime plus les consommations n’est pas une société qui consomme moins. C’est en revanche une société dont les consommations sont plus dangereuses sur les plans individuel et collectif.

Pour autant, en Belgique, ce consensus scientifique ne semble pas informer des politiques publiques qui  demeurent arcboutées sur le fantasme de l’efficacité pénale et imperméables à l’empilement accablant des preuves du contraire. Cet enfermement dans une logique sans fondement apparaît d’autant plus coupable dans un monde où des modèles alternatifs de gestion de la présence des substances psychotropes dans la société se multiplient, du Portugal à l’Oregon. Aucun n’est parfait ni ne pourrait l’être, mais tous sont meilleurs que le nôtre, grâce à la combinaison qu’ils proposent de politiques de prévention, de principes d’autonomie individuelle et de soutien thérapeutique quand c’est nécessaire, plutôt qu’au recours inefficace à la police et la justice. La pénalisation participe en outre de la stigmatisation des personnes consommatrices de substances psychotropes illégales. Or, des données probantes établissent que la stigmatisation constitue un déterminant clé de la santé, en raison notamment de ses effets sur l’accès aux ressources favorables à la prévention ou la prise en charge. En prétendant – sans y parvenir – éloigner les drogues, la politique prohibitionniste éloigne en réalité le traitement dont certaines des personnes qui en consomment auraient besoin.

Nous vivons dans une société qui autorise la publicité en faveur de l’alcool en même temps qu’elle pénalise les consommateur.ices d’autres substances psychotropes, sans qu’aucun élément objectif ne vienne justifier la banalisation de la consommation de l’un et la dramatisation de la consommation des autres. C’est pourtant sur cette ligne de crête entre banalisation et dramatisation que devra se construire une politique publique adulte en matière de drogues en Belgique.

Nous ne partageons pas nécessairement des opinions identiques sur les détails des coordonnées de cette future politique publique, mais nous sommes unanimes sur la nécessité urgente de faire sortir du champ pénal les personnes consommatrices de substances actuellement illégales, en vue de mieux aider celles qui en ont besoin, et de mieux laisser vivre leur vie aux autres.

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Les signataires

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