Ecstasy/MDMA et réduction des risques : boire de l’eau, certes, mais pas trop !

décembre 2018

Selon les récentes déclarations du parquet d’Anvers, deux femmes sont décédées cet été 2018 quelques jours après avoir fait un malaise à Tomorrowland1. Elles avaient apparemment consommé de la MDMA. Mais la cause principale de ces décès s’est avérée être une consommation excessive d’eau. La météo particulièrement caniculaire a très certainement favorisé cette hydratation excessive, en combinaison avec les effets de la MDMA. Mais les usagers d’ecstasy sont-ils conscients de ce risque ? Alors qu’un des messages essentiels fournis par les dispositifs de réduction des risques est de justement penser à bien s’hydrater… Ces décès sont certes rares, mais un décès évitable est un décès de trop !

MDMA : PLUSIEURS COMPLICATIONS POSSIBLES

Une consommation de MDMA peut parfois induire différents types de complications ainsi que des troubles du comportement favorisant une atteinte de l’intégrité physique de la personne. Ces complications dépendent à la fois de ce qui est effectivement consommé (quelle quantité de MDMA et par quelle voie d’administration, consommation conjointe d’autres produits, etc.), des caractéristiques de la personne (état psychologique, état physique, antécédents médicaux, etc.) et de l’environnement de consommation (contexte physique et social, conditions climatiques, etc.).

La complication la plus fréquente est l’hyperthermie maligne (ou hyperpyrexie), à savoir une élévation anormale de la température corporelle. Elle peut entrainer dans sa forme sévère une coagulation du sang dans les micro-vaisseaux et une destruction des cellules musculaires, entrainant un dysfonctionnement des fonctions vitales (hépatiques, rénales, cardiaques). La MDMA a un effet hyperthermique parce qu’elle accélère le métabolisme musculaire. Elle provoque une élévation de la température corporelle au repos dans un environnement climatisé, mais cette hyperthermie est généralement modérée aux doses habituelles. L’hyperthermie maligne est donc essentiellement précipitée par un dosage excessif combiné à d’autres facteurs : environnement surchauffé, danse ininterrompue, manque d’hydratation et d’aération, consommation d’autres produits hyperthermiques (stimulants, certains médicaments) ou de produits déshydratant tels que l’alcool. Même si l’élévation de la température est un phénomène dose-dépendant, la sévérité de l’hyperthermie ne dépend ni de la quantité ingérée ni du taux plasmatique de MDMA, mais plutôt du contexte de consommation ainsi que de l’hydratation. Une étude intéressante réalisée sur des rats mâles (Brown & Kiyatkin, 2004) a montré qu’en leur administrant une dose de MDMA 5 fois inférieure à la dose létale, une légère hyperthermie est observée lorsque la température ambiante est fixée à 23°C et que les rats sont au repos, mais elle n’est que rarement fatale. En revanche, la température corporelle (cérébrale) ainsi que la mortalité par hyperthermie augmentent très fortement lorsque la température ambiante est fixée à 29°C. Cette étude a aussi mis en évidence que les effets hyperthermiques de la MDMA sont amplifiés lorsque les mâles sont mis en contact avec des femelles. Cette étude souligne donc clairement l’impact du contexte physique et social sur les effets hyperthermiques de la MDMA et la mortalité associée.

La consommation de MDMA peut également induire un trouble nommé syndrome sérotoninergique, provoqué par une activité excessive du système de neurotransmission impliquant la sérotonine². Ce syndrome se manifeste par des symptômes mentaux (agitation, confusion, angoisse, désorientation) et neuromusculaires (tremblements, rigidité musculaire, contractions musculaires et mouvements oculaires involontaires, mouvements désordonnés) ainsi que par des signes de dérèglement du système nerveux autonome (tachycardie, tachypnée, hyperthermie, transpiration abondante, diarrhée, nausée…). Celui-ci est généralement observé en cas de consommation conjointe de MDMA et d’autres substances psychoactives agissant partiellement ou principalement sur la neurotransmission sérotoninergique. C’est le cas de certains antidépresseurs (en particulier les inhibiteurs sélectifs de recapture de sérotonine ou ISRS, ainsi que les inhibiteurs de la monoamine oxydase ou IMAO) ou d’autres drogues (mCPP, LSD, MDEA, MDA, cocaïne, amphétamine, etc.). Il serait fatal dans 10 à 15% des cas.

La MDMA peut aussi occasionner la mort suite à une hépatite toxique, un arrêt cardiaque (mort subite) ou encore une hémorragie cérébrale chez des personnes présentant des pathologies ou une vulnérabilité préexistantes, mais ces cas sont rares.

Enfin, la littérature scientifique fait également état d’intoxications et de décès ayant pu être imputés à une consommation excessive d’eau (voir par exemple, Hartung et al., 2002 ; O’Connor et al., 1999), qui peut engendrer une pathologie nommée hyponatrémie. Il s’agit d’un trouble de l’équilibre hydro-électrolytique, c’est-à-dire de la répartition de l’eau et des minéraux nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. L’hyponatrémie se caractérise par une concentration en sodium anormalement faible dans le plasma sanguin (moins de 135 mmol/litre). Elle est généralement provoquée par une consommation et/ou une rétention excessive d’eau. L’excès d’eau entraîne une dilution du sodium et une chute de sa concentration dans le sang. Or le sodium est un élément indispensable au maintien de la balance hydrique de l’organisme (répartition correcte de l’eau dans et en dehors des cellules). Un déficit en sodium va entraîner une augmentation de la quantité d’eau dans les cellules, par effet osmotique de passage de l’eau du milieu extracellulaire vers le milieu intracellulaire. Ce passage d’eau vers les cellules crée alors un œdème cellulaire, particulièrement dangereux sur le plan neurologique. En effet, l’augmentation du volume du cerveau va entrainer sa compression dans la boîte crânienne, ce qui entravera la circulation sanguine et donc l’oxygénation des cellules.

Au niveau symptomatologique, lorsque la concentration en sodium plasmique est inférieure à 125 mmol/litre, on observera le plus souvent des vertiges et des nausées. Entre 120 et 115 mmol/litre, des maux de têtes et un état confusionnel ou de stupeur seront observés. Et lorsque la concentration tombe sous les 115 mmol/litre, l’œdème cérébral et l’hypoxie résultant de la compression excessive du cerveau sont tels que le tableau clinique évoluera progressivement vers des crises convulsives, une perte de conscience, voire un coma, pouvant mener au décès de la personne. Les symptômes se développent généralement entre 2 à 12h après l’ingestion de MDMA, mais ils peuvent parfois survenir plus tardivement et se confondre avec un état de fatigue intense voire un sommeil profond. L’hyponatrémie engendre également des troubles digestifs (nausées, vomissements) et musculaires (perte de tonus, crampes, tremblements) non spécifiques. Cette pathologie n’est pas forcément fatale, et lorsque l’hyponatrémie est légère, elle peut même être asymptomatique. La nature des symptômes, leur intensité, et l’évolution du tableau clinique dépendront de la gravité du trouble osmotique ainsi que de sa rapidité d’installation.

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HYPONATRÉMIE : PLUSIEURS CAUSES/FACTEURS DE RISQUE

La consommation de MDMA est susceptible de favoriser l’hyponatrémie par plusieurs mécanismes distincts :

  • La connaissance par les usagers du risque d’hyperthermie en cas de consommation de MDMA a instauré chez certains d’entre eux une habitude de consommation de grande quantité d’eau par crainte de déshydratation. Cette crainte peut être exacerbée par l’altération des perceptions et du jugement induite par le produit. Ainsi, l’assèchement de la bouche et de la gorge lié à la prise de MDMA peut être perçu comme une gêne ou un signal physiologique de déshydratation, favorisant la consommation répétée d’eau. Cet apport excessif en eau va diluer le sodium sanguin et en faire baisser dangereusement la concentration.
  • Danser pendant une longue période de temps et se retrouver dans un milieu confiné et surchauffé entraînent une augmentation de la température corporelle, qui favorise le phénomène de transpiration. Or d’importantes quantités de sodium sont évacuées par la sueur³, ce qui en diminue la concentration dans l’organisme. Ce phénomène sera intensifié en cas de consommation excessive d’eau, puisque la concentration résiduelle sera davantage diluée.
  • La consommation de MDMA induit une sécrétion de vasopressine4, une hormone ayant des effets antidiurétiques (inhibition de la fonction rénale). La vasopressine va favoriser la rétention d’eau et entraîner une diminution de la concentration de sodium dans le sang. Il existerait par ailleurs une variabilité interindividuelle au niveau de la quantité de vasopressine sécrétée suite à la prise de MDMA (Hall & Henry, 2006).
  • Il n’est pas exclu qu’un quatrième mécanisme puisse aussi intervenir, même si nous n’avons pu le relever directement dans la littérature : la MDMA a un effet anorexigène (diminution de la sensation de faim), au même titre que d’autres substances amphétaminiques. En outre, certains usagers recommandent de ne pas manger avant la prise du produit afin d’accélérer et intensifier la « montée » et de diminuer le risque de nausées. Une réduction de la prise alimentaire lors de la consommation de MDMA pourrait donc également favoriser le risque de carence en sodium et autres sels minéraux, et ainsi augmenter le risque d’hyponatrémie.

Globalement, il est probable que les formes asymptomatiques d’hyponatrémie liées à la consommation de MDMA soient essentiellement dues à une sécrétion anormale de vasopressine, en l’absence de consommation excessive d’eau ou de sudation importante. En revanche, en cas de conjonction de plusieurs mécanismes (surconsommation d’eau, sudation importante, production anormale de vasopressine, sous-alimentation), le risque d’hyponatrémie symptomatique est élevé. La surconsommation d’eau ainsi que la transpiration abondante étant elles-mêmes favorisées par une température ambiante élevée, le contexte de consommation joue certainement un rôle non négligeable dans la survenue des formes symptomatiques. Mais il semble aussi que certaines particularités physiologiques (probablement d’origine génétique) rendent certaines personnes plus vulnérables au risque d’hyponatrémie, en raison d’une élimination de sodium importante dans la sueur ou d’une production élevée de vasopressine lors d’une prise de MDMA.

HYPONATRÉMIE : LES FEMMES PARTICULIÈREMENT À RISQUE

Même si les cas de décès causés par une hyponatrémie semblent relativement rares, il est probable qu’ils soient sous-estimés. Une récente étude montre d’ailleurs que l’hyponatrémie asymptomatique est beaucoup plus fréquente que l’on ne le croit chez les usagers de MDMA (van Dijken et al., 2013). Ces auteurs ont comparé, lors d’une rave party survenue à Amsterdam, différentes mesures biologiques et comportementales chez des personnes ayant consommé de la MDMA ainsi que chez des personnes qui n’en ont pas consommé. Parmi les consommateurs de MDMA, 14,3% (soit 9 personnes sur 63) présentaient un taux de sodium plasmique égal ou inférieur à 135 mmol/litre, alors qu’aucune carence en sodium n’a pu être observée chez les non-consommateurs. Cette hyponatrémie était de nature asymptomatique chez tous les sujets. Elle s’observait principalement chez des femmes (dans 8 cas sur 9). Celles-ci ne se distinguaient toutefois pas des autres consommatrices de MDMA, au niveau de l’indice de masse corporelle, de la quantité d’eau ou d’autres liquides ingérés ou encore de la quantité de pilules consommées5, ce qui est compatible avec le caractère multifactoriel de ce trouble.

En cas de consommation de MDMA, les femmes sont également plus vulnérables que les hommes au risque de développement de l’hyponatrémie symptomatique, en particulier à celui de convulsions et de coma (Rosenson, Smollin, Sporer, Blanc, & Olson, 2007). Cette vulnérabilité semble pouvoir s’expliquer par plusieurs mécanismes métaboliques et hormonaux :

  • La consommation de MDMA entraîne une sécrétion de vasopressine plus importante chez les femmes que chez les hommes, et l’effet antidiurétique serait accentué car elles sont par ailleurs plus sensibles aux effets de cette hormone, en raison d’une activation accrue des récepteurs à la vasopressine situés au niveau des reins.
  • Les femmes présentent une plus grande sensibilité que les hommes aux effets sérotoninergiques de la MDMA, ce qui entraîne chez elles une accentuation de la soif ainsi que de l’assèchement de la bouche, pouvant favoriser la prise d’eau.
  • Les cellules nerveuses du cerveau féminin semblent plus sensibles que celles des hommes à une carence en sodium, ce qui augmente le risque de développer un œdème cérébral et conséquemment une crise convulsive ou un coma. Ce risque est par ailleurs exacerbé pendant la période menstruelle.

EN CONCLUSION

L’hyponatrémie est une complication liée à l’usage de MDMA qui, au même titre que l’hyperthermie maligne, est induite par une conjonction de facteurs liés aux produits consommés, à la personne et à l’environnement. Bien que le plus souvent asymptomatique, la forme aigue de cette complication peut malheureusement être fatale. Sa prise en charge repose sur le traitement de l’œdème cérébral (injection de mannitol) et sur une correction des désordres électrolytiques (par restriction hydrique à 1l/24h, administration de NaCl, administration d’un diurétique). Une réanimation doit parfois être envisagée. L’intervention doit être rapide, d’où l’importance de pouvoir en reconnaitre les signes cliniques (pour une présentation détaillée des aspects de prise en charge, voir Lassonde, 2005).

Cette complication semble facilement évitable. Pourtant, elle n’est que très rarement intégrée de manière explicite dans les supports et outils de réduction des risques liés à l’usage de MDMA. Nous recommandons donc d’informer aussi les usagers sur ce risque en l’intégrant aux approches psycho-éducatives et aux supports informatifs disponibles. Des campagnes plus spécifiques pourraient également être envisagées auprès des femmes usagères, en particulier en cas de météo caniculaire.

BIBLIOGRAPHIE

Brown, P.L., & Kiyatkin, E.A. (2004). Brain hyperthermia induced by MDMA (‘ecstasy’): Modulation by environmental conditions. European Journal of Neuroscience, 20, 51-58.

Hall, A.P., & Henry, J.A. (2006). Acute toxic effects of ‘Ecstasy’ (MDMA) and related compounds: overview of pathophysiology and clinical management. British Journal of Anaesthesia, 96, 678-685.

Hartung, T.K., Schofield, E., Short, A.I., Parr, M.J.A., & Henry, J.A. (2002). Hyponatraemic states following 3,4-methylenedioxymethamphetamine (MDMA, ‘ecstasy’) ingestion. Quarterly Journal of Medicine, 95, 431-437.

Lara, B., Gallo-Salazar, C., Puente, C., Areces, F., Salinero, J.J. & Del Coso, J. (2016). Interindividual variability in sweat electrolyte concentration in marathoners. Journal of the International Society of Sports Nutrition, 13:31.

Lassonde, A. (2005). L’hyponatrémie. Une conséquence diluée de l’hydratation. Le Médecin du Québec, 40, 51-

O’Connor, A., Cluroe, A., Couch, R., Galler, L., Lawrence, J., & Synek, B.N. (1999). Death from hyponatraemia-induced cerebral oedema associated with MDMA (« Ecstasy ») use. New Zealand medical journal, 112, 255-

Peri, A., Pirrozi, N., Parenti, G., Festuccia, F., & Menè, P. (2010). Hyponatremia and the syndrome of inappropriate secretion of antidiuretic hormone (SIADH). Journal of Endocrinologic Investigations, 33, 671-

Rosenson, J., Smollin, C., Sporer, K.A., Blanc, P., & Olson, K.R. (2007). Patterns of ecstasy-associated hyponatremia in California. Annals of Emergency Medicine, 49, 164-van Dijken, G.D., Blom, R.E., Hené, R.J. Boer, W.H. & NIGRAM Consortium (2013). High incidence of mild hyponatraemia in females using ecstasy at a rave party. Nephrology Dialysis Transplantation, 28, 2277-2283.


1.   Tomorrowland est un festival belge de musique électronique.

2. La sérotonine est un neurotransmetteur. Le système de neurotransmission sérotoninergique est impliqué dans de nombreuses fonctions physiologiques telles que la thermorégulation, le cycle veille-sommeil, l’agressivité, les comportements alimentaires et sexuels, ou encore l’humeur. La MDMA agit sur certains mécanismes impliqués dans la neurotransmission sérotoninergique, ce qui permet de comprendre l’étendue et les caractéristiques de ses effets.

3. La quantité de sodium éliminée par la sueur varient grandement d’un individu à l’autre, indépendamment des quantités de sueur transpirées, de sorte que certaines personnes sont plus à risque que d’autres de développer des signes d’hyponatrémie (voir Lara et al., 2016).

4. Une sécrétion anormale de vasopressine peut également être provoquée par d’autres substances telles que certains antidépresseurs, anti-inflammatoires ou neuroleptiques, mais également par plusieurs infections virales (dont le VIH et l’herpès), par diverses affections pulmonaires telles que la tuberculose ou l’asthme, ou encore par certaines tumeurs (voir Peri, Pirrozi, Parenti, Festuccia & Menè, 2010, pour une revue détaillée). La sécrétion de vasopressine est également favorisée par la consommation de nicotine, en particulier chez les personnes qui ne fument pas régulièrement. Les usagers de MDMA qui présenteraient ou cumuleraient ces facteurs seraient donc plus vulnérables au risque de développement d’hyponatrémie.

5. La quantité précise de MDMA contenues dans les pilules n’était pas connue.