B.A-BA pour un discours médiatique autour des usages de drogues

novembre 2017

Afin de se défaire de son image de paradis des psychotropes, Dour a renforcé la présence policière aux abords de son festival. Effet boomerang : les journalistes rapportent chaque année un nombre croissant de saisies, alimentant la réputation du festival. Un autre classique du traitement médiatique des questions de drogues : un titre choc, une photo d’une seringue dans un squat, et votre message de Réduction des Risques passe pour un délire déconnecté de la souffrance des usagers. Faut-il désespérer pour autant ? Baptiste Erkes invite le secteur des assuétudes à s’approprier les règles de la comm’ pour des débats publics plus sereins.

Résumer la construction d’une communication adaptée aux médias en 8000 signes reviendrait à devoir résumer les 5 saisons de la série The Wire en une page. L’auteur va malgré tout s’y essayer, avec toutes les imprécisions et poncifs que cela comportera. Il existe cependant une liste infinie d’ouvrages et d’articles qui pourront alimenter votre réflexion plus en détails.

Dans une société hyper médiatisée, où l’information est devenue un flux permanent, la communication a paradoxalement régulièrement mauvaise presse. Trop souvent, elle est associée à la manipulation, au mensonge ou, du moins, à la mise en forme au détriment du fond. Pourtant, il y a un consensus pour soutenir qu’une bonne communication est primordiale à toute activité. Un des axiomes de la communication est qu’ « il est impossible de ne pas communiquer ». Autrement dit, ne pas communiquer est une communication en tant que telle, qui revient aujourd’hui à exprimer qu’on ne sait pas communiquer, au discrédit de l’image de l’activité que l’on exerce ou des idées que l’on défend. Dans ce sens, il importe de penser sa communication.

La communication socio-éducative ne répond pas aux mêmes attentes ni aux mêmes mécanismes que la communication commerciale, qui cherche à susciter le désir et provoquer des comportements compulsifs de consommation. Changer des comportements sur le long terme, ou modifier des représentations sociales, demandent des approches plus nuancées et plus complexes. Les « campagnes chocs » à visée éducative, malgré leurs bonnes intentions évidentes, ont souvent pour habitude de provoquer des effets collatéraux ou secondaires inappropriés : une photo d’un poumon goudronné sur un paquet de cigarettes peut rendre le fumeur dépendant plus anxieux, suscitant donc paradoxalement …l’envie de fumer. Une campagne pour la sécurité routière voulant rappeler à l’automobiliste la prudence avec les cyclistes par l’image d’un vélo d’enfant sous une voiture risque surtout de ne plus laisser les parents permettre à leur enfant de sortir à vélo.

Dans le domaine de la Réduction des Risques, et plus largement dans le secteur des assuétudes, la communication est primordiale et peut souffrir d’une absence de stratégie. Les idées reçues et les représentations sociales sur ces questions sont très solidement ancrées et excessivement peu nuancées. Avec le danger de renfort que cela suscite si la communication n’est pas travaillée activement. Rappelons-nous les campagnes de communications françaises sur le sujet, dans les années 80 et 90. Alors menées par des publicitaires qui voulaient bien faire, certaines campagnes de lutte contre la toxicomanie avaient pour but d’appuyer sur le danger de la drogue. Dans une approche classique de publicité commerciale, à savoir la volonté de choquer par l’image, c’est alors la peur, l’effroi, et les ravages de la drogue qui étaient privilégiés, pour provoquer le dégoût a priori et prévenir des dangers. Tant et si bien que la figure-même du toxicomane y fut associée. Malheureusement, les images de consommateurs effrayants, cadavériques, ont entraîné leur rejet et leur stigmatisation sociale…c’est-à-dire probablement la dernière chose dont ils avaient besoin. Effets pervers d’une communication pleine de bonne volonté mais qui ne connaît pas les réalités complexes du terrain.

NE LAISSEZ PAS LES AUTRES PARLER À VOTRE PLACE

La communication doit s’inscrire dans une stratégie. Et qui dit stratégie dit objectifs précis. De nombreux articles et ouvrages existent pour aider à cela. Retenons simplement le schéma le plus élémentaire de toute communication : l’émetteur, le message, le canal, le récepteur/le public cible et feed-back. Chacun de ces éléments doit être pensé pour servir au mieux l’objectif établi. Dans le domaine des assuétudes, les luttes sont multiples : aide aux toxicomanes, lobbying politique, Réduction des Risques, lutte contre la prohibition, question de la précarité et de l’exclusion sociale, travail sur l’opinion publique… Autant de chantiers, d’approches et de missions qui relèvent de publics, de stratégies et de messages différents. Il ne revient pas à l’auteur de définir les priorités, mais il peut être sensé de réfléchir aux luttes communes du secteur, et d’établir des champs d’actions précis, collectifs dans des momentum bien définis. Quelques pistes cependant. Les messages doivent être épurés au maximum : trop d’information nuit à l’information. On sait que Riri, Fifi et Loulou sont les neveux de Donald, mais il est toujours difficile de se souvenir du nom des 7 nains. Enfin, un maximum de décentration est nécessaire. Sauf exception, la plupart de vos publics-cibles n’ont pas un dixième de votre bagage et de vos connaissances du secteur. Il s’agira donc de leur parler avec une pédagogie toute particulière. Avoir raison ne suffit pas, il s’agit d’être compris.

UN CONTEXTE MÉDIATIQUE COMPLEXE POUR UN SUJET DÉLICAT

Il est aussi important de rappeler le contexte général dans lequel s’exerce la communication aujourd’hui. En effet, les médias dits « traditionnels » traversent actuellement une crise multifactorielle, parmi lesquels la complexité de s’adapter à un paysage médiatique soumis à la révolution des nouvelles technologies. Jusqu’alors, les audiences télévisées sonnaient l’alpha et l’oméga de la communication de masse. Rien de tel qu’un passage au journal télévisé pour faire passer un message très largement. Désormais, la démultiplication des canaux et le morcellement des audiences modifient la diffusion massive. Parallèlement, le métier de journaliste, alors qu’il n’a jamais été aussi nécessaire, est de plus en plus précaire. Ainsi, les acteurs principaux de la construction médiatique sont soumis à des pressions de tous bords (manque de financement, rapidité de la diffusion de l’information, diminution de la diffusion papier, dictature du clic…).

Or la question de la drogue est un « marronnier » médiatique. En tant que « problème de société », d’une manière ou d’une autre, le sujet revient de façon régulière. Tous les six mois environ, à la sortie d’une nouvelle étude, à la suite d’un fait divers ou lors d’une nouvelle campagne, les médias s’emparent de la question et la traitent généralement selon un même canevas : quelques minutes pour dresser le constat d’un échec de la prohibition, puis montrer le clivage dans les positions des spécialistes et la limite de l’engagement politique. Force est de constater que le débat n’a pas beaucoup avancé en 20 ans, malgré un indiscutable échec de la politique prohibitionniste, et une présence sans cesse confirmée de la drogue dans notre société. Le sujet fait trop peur et paralyse les opinions, à tout le moins publiquement. Dès lors, comment débloquer le débat ?

« Votre expertise fait de vous des producteurs de contenus »

CONSTRUIRE SA COM’

Les associations qui œuvrent dans le domaine des assuétudes sont des expertes : elles ont un regard de spécialistes, connaissent les tenants et aboutissants, les forces et faiblesses des combats à mener. Or les médias, dans leur course effrénée, sont demandeurs de contenus. Une carte blanche, la publication de chiffres ou de rapports peuvent construire et assurer une présence médiatique. Votre expertise fait de vous des producteurs de contenus. Identifiez les acteurs médiatiques qui couvrent les sujets de société qui vous concernent. Créer des canaux d’échange avec eux, c’est créer des relations « win-win » : les médias sont demandeurs d’informations, vous en êtes des producteurs. Une cartographie des acteurs médiatiques, des émissions, des médias qui traitent habituellement de vos sujets sera un premier travail de défrichage. Il s’agira après de vous faire identifier comme acteurs institutionnels et médiatiques. Dans un troisième temps, viendra alors la création des messages et des contenus. En tant qu’experts, vous devez prendre la place médiatique qui vous revient. C’est crucial : si vous ne le faites pas, d’autres prendront votre place et votre parole sur le sujet.

Pour être compris, il est recommandé d’avoir un seul message par communication, sans quoi les différents messages risquent d’interférer et de se déforcer. Dès lors, une stratégie se met en place en priorisant les chevaux de bataille. On ne peut pas être simultanément sur tous les fronts pour gagner un combat. Par exemple, si la légalisation de toutes les drogues est votre objectif, on peut se demander s’il doit être l’objectif « premier » ou l’objectif « final ». Pour y parvenir, mobiliser ses forces sur la légalisation du cannabis dans un premier temps peut s’avérer constructif : de nombreux exemples internationaux contribueront à faire accepter socialement cet objectif. Une fois ce palier atteint, cette première victoire devient la chape de béton sur laquelle construire l’action pour les prochains objectifs. Il est souvent plus simple et plus efficace de viser des objectifs intermédiaires.

En fonction des objectifs et des publics, la construction d’un message adapté variera fortement. Retenez cependant que la plupart du temps, le storytelling, c’est-à-dire raconter une histoire, est ce qui capte le mieux l’attention. Plus qu’un ensemble d’éléments factuels objectifs, raconter une histoire, c’est offrir à son public la possibilité de se décentrer et de comprendre la part humaine de votre combat. En comprenant le sens de votre objectif, votre cible vous comprend mieux.

« Un maximum de décentration est nécessaire »

LE WEB ET LES RÉSEAUX SOCIAUX

Inévitable lieu de communication, le web et les réseaux sociaux vous permettront par ailleurs de développer votre communication sans passer par le prisme journalistique et les codes médiatiques traditionnels. Aujourd’hui, plus de 6 millions de Belges sont inscrits sur Facebook et s’informent par les réseaux sociaux. Il faut savoir que ceux-ci ne sont pas l’œuvre de généreux mécènes, mais bien avant tout des régies publicitaires, avec tous les risques et limites que cela comporte. Mais ils offrent aussi, la plupart du temps en échange de monnaie sonnante et trébuchante, une possibilité inégalée de ciblage de publics et la possibilité de communication virale dans des groupes bien définis.

Mettre en place une stratégie web ne peut pas se résumer en quelques lignes, mais retenez que la plupart des gens qui cherchent a s’informer aujourd’hui passent par Google. Celui-ci reste à ce jour le vaisseau-mère de votre stratégie digitale. Une fois un site web complet, précis et à jour, une stratégie sur les réseaux sociaux pourra s’ajouter, pour développer vos réseaux professionnels, et toucher vos publics cibles.

EN CONCLUSION

Dans une société de flux comme la nôtre, il est fondamental de penser sa communication et sa stratégie : un objectif à la fois, en identifiant les acteurs clefs, les publics plus ou moins larges (de quelques décideurs politiques à l’ensemble de la population), sur des canaux de communication multiples et qui répondent chacun à leurs propres règles. Un impératif qui peut se penser à minima ou à maxima, mais ne pas communiquer, c’est offrir à d’autres la possibilité de communiquer à votre place, pour le meilleur ou pour le pire. Oser votre communication, c’est oser exister dans votre champ d’expertise.