La Promotion de la santé en Wallonie. En attendant Godot ?

juillet 2018

Une interview de Chantal Leva réalisée par Caroline Saal.

Le décret wallon de la Promotion de la santé a plus de 20 ans. Lentement, sa réforme se prépare. Quels sont les effets de son maintien actuel ? Quelles priorités pour la suite ? L’avis de la Fédération wallonne de la Promotion de la santé.

« Le standstill et le futur incertain entraînent une fuite de l’expertise »

Alors que Bruxelles avance sur la Promotion de la santé, où en est cette politique en Wallonie ?

La Promotion de la santé est aussi importante en Wallonie qu’à Bruxelles. Les deux fédérations partagent une philosophie, une démarche, celle de la Promotion de la santé, et nous réalisons un travail commun de plaidoyer. En revanche, effectivement, le contexte politique nous différencie. En Wallonie, depuis le 1er juillet 2014,  nous sommes en période de standstill, c’est-à-dire que nous fonctionnons sur base du décret du 14 juillet 1997 de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les priorités et les budgets n’ont pas changé depuis 2003 à cause des réformes et transferts de compétences. Bref, les priorités sur lesquelles nous appuyons notre travail sont anciennes.

Si nous continuons à travailler avec enthousiasme et en fonction des besoins  de la population et des attentes des professionnels, nous sommes cependant très inquiets. Aurons-nous un plan de prévention et de Promotion de la santé avant les élections régionales de 2019 ? Avoir un cadre clair est utile et pertinent, et nous craignons un nouveau report du standstill. La Fédération wallonne demande à être consultée sur les attentes et les besoins de la population.

Les pouvoirs politiques sont-ils à votre écoute ?

Nous avons des rencontres avec le cabinet de Madame Greoli tous les mois et ils sont bien au courant de notre situation. Un nouveau texte est en train d’être rédigé par son cabinet et par l’AVIQ  (dont nous dépendons). Nous aimerions pouvoir donner l’avis de la Fédération, à partir d’une consultation de l’ensemble de nos membres.

Dans les services agréés, tout le monde est en préavis, et ceux-ci sont reportés d’années en années. Cette situation crée une grande insécurité, pour le secteur et pour l’avenir. Chaque année, nous apprenons fort tard les prolongations. On vit vraiment au jour le jour.

Quelles sont les raisons de ce report ?

Le transfert des compétences est un énorme chantier ! L’AVIQ se met en place petit à petit. Par exemple, la commission Prévention et Promotion de la santé, qui nous concerne de près, n’est pas encore opérationnelle, et devrait l’être prochainement, d’ici juin. Le changement de majorité politique à la Région ne nous a pas aidés. Maxime Prévot a été remplacé par Alda Greoli. Les personnes qui s’occupent de nos dossiers ont changé également. À l’AVIQ, peu de personnes nous connaissaient. Ce sont donc des personnes qui ont dû et qui doivent apprendre à connaitre le secteur, à comprendre le  travail que nous menons depuis maintenant 20 ans.

Quels sont les effets de cette lenteur sur le travail des acteurs de la Promotion de la santé ?

Certains se disent « Au moins, on sait ce qu’on a : la même chose que les années précédentes ». Mais il y a une fuite de l’expertise. C’est angoissant de travailler dans un secteur dont on ne connaît pas l’avenir. Les employeurs ne peuvent pas promettre aux travailleurs qu’ils resteront, la Fédération ne peut pas promettre aux associations qu’elles se pérenniseront.

J’en déduis que la Promotion de la santé n’est pas une priorité, malgré les nombreux discours politiques ou institutionnels sur son importance. Je l’entends tellement souvent, sans le voir traduit ni dans les faits ni dans les budgets, plutôt serrés.

Heureusement, sur le terrain, nous gardons une véritable énergie, de l’enthousiasme. Le travail au quotidien est ressourçant.

Aujourd’hui, sur quoi voudriez-vous attirer l’attention des politiques ?

D’abord, sur l’universalisme proportionné. Le terme est barbare, mais crucial : la Promotion de la santé travaille avec tout le monde, pour tout le monde, tous les publics, dans tous les milieux de vie, de la naissance – et même avant – jusqu’à la mort.  C’est notre spécificité. Par exemple, l’école reste un lieu de vie important pour développer des programmes de Promotion de la santé ouverts au grand nombre.

Par ailleurs, nous sommes inquiets de cette tyrannie du chiffre dans les processus d’évaluation. Travailler en Promotion de la santé, c’est travailler sur les déterminants de la santé. Depuis que le Centre liégeois de Promotion de la santé existe – je prends celui-là, parce que je le connais bien –, comment pourrais-je affirmer que les fumeurs sont moins nombreux sur l’arrondissement de Liège ? Je force le trait, mais les demandes d’évaluation prennent de plus en plus cette forme. Evidemment, nous évaluons toutes les actions et tous les processus de la Promotion de la santé. Le débat n’est pas là, il est dans les indicateurs qu’on nous demande d’employer. Nous voudrions des indicateurs de Promotion de la santé et pas des indicateurs de prévention « purs et durs ».

« Associer ce travail intersectoriel aux Objectifs du développement durable des Nations Unies devrait être une priorité»

Un enjeu de la Promotion de la santé n’est-il pas de faire comprendre la révolution qu’elle peut instaurer, en touchant au milieu de vie, en outillant les personnes ?

Notre pratique est parfois abstraite. Une jeune travailleuse m’a dit un jour « Pour comprendre la Promotion de la santé, il faut la vivre ». Cette phrase a vraiment résonné chez moi. Les politiques sont en attente de chiffres, de dire « la santé va mieux », et nous refusons de donner des chiffres. Les liens de causes à effets en santé ne sont pas simples. Ils croisent de multiples facteurs, dépendent d’actions diverses, d’influences très larges. Comment puis-je dire « c’est grâce à moi » quand quelqu’un arrête de fumer, décide de faire du sport ou ne consomme pas de sodas ? C’est toute la complexité des déterminants de la santé.

Quelles vous semblent les stratégies à mener pour l’avenir de la Promotion de la santé ?

Un statu quo avec la politique actuelle signifierait continuer à compter sur un faible niveau d’investissement. J’identifie trois stratégies essentielles. Premièrement, le plaidoyer est important : il est facile de dire que les politiques ne nous comprennent pas, mais je pense que nous devons mieux communiquer vers eux, notamment vis-à-vis des élus communaux. Eux aussi un impact sur la santé des citoyens. Ensuite, l’intersectorialité est importante parce que tous les secteurs sont une ressource pour nous. Associer ce travail intersectoriel aux Objectifs du développement durable des Nations unies devrait vraiment être une priorité pour nous . La santé est vraiment une condition pour atteindre les objectifs d’éradication de la pauvreté, de la faim, d’éducation, de paix. La troisième stratégie, c’est le développement de l’action au niveau local. La rencontre avec les habitants est propice à leur intégration dans les actions de Promotion de la santé. C’est tout le contexte aussi de santé communautaire. Rendre les personnes actrices de leur santé permet vraiment d’améliorer leurs conditions de vie, leur bien-être et leur santé. Le tout participe à un grand défi : la diminution des inégalités sociales de santé.

Et si vous deviez tirer un bilan de ces vingt ans ?

Le secteur a pu développer des objectifs et des stratégies communes, comme l’empowerment, la santé communautaire, la participation des populations dans tous les projets qu’on développe. Ces vingt années sont aussi marquées par une professionnalisation des acteurs de la Promotion de la santé, avec pour conséquences de développer des projets de qualité et d’attirer l’attention des politiques sur l’importance des projets locaux. Quand je dis locaux, j’entends vraiment la proximité : développer des projets là où sont les gens, dans leurs milieux de vie, dans les quartiers. La grande carence est l’absence, toutes ces années, de planification stratégique : certes, le programme quinquennal fixait des priorités mais on n’a jamais eu les moyens de les évaluer, d’élaborer des objectifs opérationnels. Nous souffrons encore d’un manque de visibilité. C’est un secteur qui n’est pas très connu. Cependant, la mobilisation des acteurs a permis d’officialiser une fédération wallonne, reconnue par le politique en 2016. Cela nous permet de nous entraider, de débattre. Nous avons par exemple rédigé des recommandations concernant le futur décret. Ce que nous voudrions, c’est nous assurer que ces recommandations sont au moins entendues. Parfois, les politiques proposent de consulter mais donnent des délais inadéquats au regard de la réalité de notre travail quotidien et de notre fonctionnement démocratique. À l’intérieur du secteur, certains ont des enjeux différents. On tient à construire nos avis ensemble et c’est ça qui est passionnant !


1. Cette interview a été réalisée par Caroline Saal le 2 mai 2018.
2. Agence pour une Vie de Qualité, organisme d’intérêt public gérant les compétences de santé en Wallonie.
3.   Les Objectifs de développement durable (ODD), également nommés Objectifs mondiaux, sont 17 objectifs visant à éradiquer la pauvreté, protéger la Planète et offrir la paix et la prospérité à chaque être humain. Il s’agit d’un appel des Nations Unies à l’ensemble des pays.