Quality Nights : la fête en santé

décembre 2014

Mettre en œuvre un projet visant à améliorer le bien-être en milieu festif, c’est ce que vise le label Quality Nights. Créé en 2007, il a été évalué une première fois en 2009, mais uniquement via la consultation des patrons des 13 lieux de fêtes bruxellois labellisés. Y associer l’avis des fêtards, c’était inscrire un peu plus encore l’initiative dans une perspective de promotion de la santé. Ce deuxième travail d’évaluation résumé ici a été réalisé par le centre bruxellois de promotion de la santé (CBPS) et l’Observatoire socio-épidémiologique Alcool-Drogues en Fédération Wallonie-Bruxelles (Eurotox).

Un label pour offrir des services de promotion de la santé

Il arrive au public des fêtards — principalement jeunes — de prendre des risques dans le cadre des sorties. Pour un lieu festif tel une discothèque, adhé- rer au label permet d’offrir des solutions pérennes et adaptées aux risques liés au contexte de la fête: risques auditifs, risques liés à la consommation de produits psychotropes, retour au domicile, relations sexuelles non protégées, conflits et violences, etc.

C’est pour apporter des réponses à ces situations que l’asbl Modus Vivendi a organisé la mise en place du projet Quality Nights (QN). Il s’agit d’un label de bien-être octroyé à une série de lieux de sortie (discothèques, soirées, salles de concert ou cafés dansants) se portant volontaire pour améliorer les conditions d’accueil des fêtards dans leur lieu de sortie. Ce projet s’appuie naturellement sur la concertation, la participation et la formation de ceux qui proposent l’environnement et le contexte de la fête, à savoir les organisateurs de soirées, les patrons de boîtes et leur personnel, de manière à responsabiliser durablement ces « acteurs de la fête ». Ils sont ainsi préalablement sensibilisés à la réduction des risques et aux premiers secours, à la gestion non-violente des conflits ou encore aux risques liés aux nuisances sonores

Actuellement, les services liés à l’obtention du label QN sont les suivants: mise à disposition d’eau gratuite, de préservatifs et de bouchons d’oreille à prix modé- ré, la diffusion d’alertes précoces en cas de circulation de produits psychotropes dangereux, la formation du personnel (sur des thématiques de santé liées à la fête et sur les moyens de réduire les risques) et la mise à disposition d’information sur la santé (risques liés à la consommation excessive d’alcool et de drogues, maladies sexuellement transmissibles). En avril 2014, QN comptabilisait 13 lieux labellisés à Bruxelles et 17 en Wallonie, et ce label s’est récemment décliné de manière à pouvoir proposer des services équivalents sur les lieux de festival.

Une évaluation du label et de son impact

En 2009, une évaluation du processus de labellisation avait été réalisée auprès des patrons de boîte. Une évaluation complémentaire du projet a été menée à Bruxelles conjointement par le CBPS et Eurotox en 2013, afin d’évaluer le processus et tenter de cerner l’empreinte de ce label auprès des fêtards : que connaissent-ils des services mis à leur disposition? Les utilisent-ils? Le label Quality Nights a-t-il du sens pour eux? Pour ce faire, deux dispositifs de récolte de données ont été organisés: un volet quantitatif traité par Eurotox et permettant de mesurer la connaissance et l’utilisation du label et des services dans les lieux labellisés, et un volet qualitatif conduit par le CBPS pour mesurer la perception et la pertinence du label, l’impact de la communication et pour dégager de nouvelles pistes d’intervention.

Le volet quantitatif a été réalisé à l’aide d’un questionnaire auto-administré proposé à un échantillon de 601 personnes fréquentant les établissements labellisés QN à Bruxelles. L’échantillon était composé d’un nombre équivalent d’hommes et de femmes, dont la moyenne d’âge était de 27 ans, fréquentant de manière régulière, pour la plupart, les milieux de la nuit. Les données qualitatives ont été recueillies au travers de 8 focus groupes réunissant au total une soixantaine de personnes, femmes et hommes de 17 à 50 ans, fréquentant les lieux de sortie. Les entretiens ont permis à ceux-ci de témoigner de ce que représente la fête pour eux, des plaisirs mais aussi des problèmes rencontrés et de la matière d’y faire face.

La fête, ses joies, ses peines

Pour le public des lieux festifs bruxellois, c’est l’ambiance qui génère, ou non, la réussite d’une fête, car elle favorise la liberté que chacun peut s’accorder à se laisser aller, à se détendre, à oublier son stress. Faire la fête, c’est donner de l’espace à la rencontre et au plaisir: « se laisser aller, ne pas être stressé, s’alléger la tête en regardant d’autres gens qu’on ne connaît pas. » Mais des problèmes récurrents se posent dans les endroits surpeuplés, lesquels suscitent tensions, altercations, bagarres. Sortir, faire la fête, c’est aussi s’exposer. S’exposer aux autres, aux garçons pour les filles, « à un cocktail d’agressivité et de gaieté qui (nous) amène à faire n’importe quoi. » Pour beaucoup, la fête doit être arrosée… mais pas trop: le plaisir qu’on y a pris se mesure à l’aulne de l’après (« il faut s’en souvenir »). Si faire la fête suppose pour beaucoup la liberté et l’insouciance, celles-ci ne sont pas exemptes de limites et doivent être tempérées par le respect des autres, vécu comme essentiel pour bien s’amuser. C’est ce respect qui prévient des éventuels débordements et des limites organisationnelles qui peuvent parfois favoriser les bousculades dans les files d’attente notamment. Car il importe aussi de « pouvoir se dire, le lendemain matin, j’ai passé une bonne soirée, je me suis bien amusé, c’était sympa. »

Sortir, c’est rechercher, rechercher du plaisir, des contacts mais, peut-être aussi, perdre : perdre de vue ses amis, ses affaires personnelles, et parfois ses limites habituelles… Sortir implique aussi de quitter la fête pour rentrer. Cela renvoie aux risques que fait courir l’extérieur du lieu: son accessibilité, la sécurité du quartier, les moyens de transport, l’état d’ébriété des personnes. Un lieu qui n’est accessible qu’en voiture, par exemple, potentialise les risques. D’autant plus que le recours aux taxis n’est pas toujours possible « le chauffeur de taxi m’a dit qu’il ne voulait pas me ramener, que je n’avais qu’à marcher. Sauf que le tronçon que je dois marcher est dans le noir, il n’y a pas d’éclairage », « on n’a pas envie de se mettre en danger. »

En ce qui concerne les risques liés à la santé, ce sont les conséquences d’alcoolisation excessive, le niveau sonore trop élevé, ou encore l’agressivité qui sont surtout cités comme problématiques. Les risques encourus par la consommation d’alcool ou de drogues sont généralement identifiés au regard du type de produit consommé et du dosage qui peut entrainer « bad trips » et « mauvaises descentes ». Le risque est dès lors identifié dans à la méconnaissance d’un produit ou à la mauvaise gestion de son usage.

Après avoir répertorié les risques énumérés par les fêtards, il est aussi intéressant d’examiner la manière dont ils imaginent y faire face. Très vite, il apparaît que la réduction de ces risques, leur gestion, est considérée à plusieurs niveaux. Les fêtards pointent d’une part leur responsabilité à un niveau individuel mais aussi la responsabilité collective et celle des organisateurs, d’où l’importance des moyens mis en œuvre par le label.

Connaître les services liés au label

Globalement, l’enquête quantitative montre que les services proposés dans le cadre de QN semblent répondre à un besoin du public. La quasi-totalité des personnes interrogées estime qu’il est important de rendre ces services accessibles en milieu festif. Néanmoins, il ne leur parait pas forcément indispensable que ces services soient rendus disponibles à travers un label de qualité spécifique: ce qui importe avant tout, c’est que ces services existent, qu’on le fasse savoir et qu’ainsi, ils leur soient accessibles. Les données montrent que ces services sont globalement bien utilisés par les personnes qui ont déclaré les connaître mais l’évaluation quantitative fait émerger un autre constat: les services du label QN sont insuffisamment connus du public. Même les personnes qui fréquentent régulièrement ces endroits ne connaissent pas forcément leur existence. Pourtant, quand ils sont identifiés comme tels, ils rassurent les clients et renforcent l’image du lieu.

Certains services sont toutefois mieux connus que d’autres (i.e. accès à de l’eau gratuite et à des préservatifs à prix modique), mais le public estime majoritairement qu’ils ne sont pas suffisamment « visibles » au sein des lieux labellisés, et les personnes qui en font usage ne savent pas forcément qu’ils sont mis à disposition du public dans le cadre du label QN, qui est au demeurant très peu connu du public.

Ce manque de visibilité des services et du label QN est une conséquence directe de l’absence de promotion au sein même des lieux labellisés, qui entrainent une méconnaissance et, a fortiori, une sous-utilisation de ces services. « Il faudrait mettre un panneau qui indique que c’est un droit de pouvoir demander de l’eau », « les bouchons d’oreilles, c’est une bonne idée mais souvent, ils ne sont pas accessibles facilement, ils ne sont pas promus, ils ne sont pas visibles. »

Améliorer la visibilité des services du label

Beaucoup de fêtards relèvent que même si les services existent, ils manquent en visibilité et en accessibilité: « il y a un manque d’information, je n’ai jamais vu le logo, je ne sais pas à quoi il ressemble. Et pourtant je viens souvent ici et je n’en ai jamais entendu parler », « il faudrait mettre un panneau qui indique que c’est un droit de pouvoir demander de l’eau ».

L’évaluation s’est également penchée sur les « leviers potentiels » qui permettraient d’améliorer la visibilité des services mis en place par le label QN. S’il apparait que l’affichage dans un lieu de sortie et le bouche-à-oreille sont les modalités de connaissance des services les plus fréquemment cités dans l’enquête quantitative par ceux qui en connaissaient l’existence (1), on constate que les réseaux sociaux constituent, et de loin, le moyen de promotion du label le plus fréquemment préconisé, suivi par la presse, et l’affichage dans les lieux de sortie. Mais d’autres moyens (site internet, affichage dans les transports en commun, etc.) sont également cités par un nombre non négligeable de répondants, ce qui met à nouveau en évidence qu’il n’y a pas forcément une seule méthode de promotion efficace, et qu’il faut multiplier les outils de promotion afin de toucher chacun dans sa singularité.


(1) Quoique l’on constate que les étudiants ont davantage pris connaissance de ces services via les réseaux sociaux, des amis, ou encore leur(s) réseau(x) d’étudiant.

Toucher le public

L’évaluation fait émerger un dernier constat important et plus général, relatif à la disponibilité du public à recevoir des conseils et informations préventives sur les risques liés aux sorties festives. Il apparait en fait que cette disponibilité en termes de moments et d’endroits varie fortement d’une personne à l’autre, et pas forcément en relation avec son profil sociodémographique (âge, sexe, etc.). Il n’y a donc pas forcément un moment optimal pour diffuser de tels conseils au public (ou groupes spécifiques), et il est plutôt nécessaire de multiplier les moments ainsi que, probablement, les outils de sensibilisation, afin de s’adapter à la disponibilité de chacun et d’augmenter les chances de toucher individuellement. Au-delà même du label QN, la question qui se pose plus largement est celle de la disponibilité des fêtards aux conseils de réduction des risques sur le lieu de sortie. La perception des services peut varier, elle suscite des réactions différentes en lien avec les valeurs, des contextes et des représentations de chacun. Certains disent combien il s’agit d’une approche utile mais qui demande réflexion et une vraie connaissance du terrain afin de ne pas provoquer d’équivoque « Ces histoires de prévention font un peu office de réprimande alors que ce sont des choses qui devraient aller de soi. Quand je vois des stands avec des brochures et le reste, j’ai envie de dire: les gars, on sort en boîte, on fait la fête, on boit de l’alcool parce qu’on a envie de faire des trucs qu’on ne fait pas chez soi. » Certains préconisent que les lieux puisent s’approprier la philosophie de la réduction des risques en intégrant les services selon leur approche. « Je trouve qu’il y a des choses qui ne sont pas tout à fait taboues mais qui posent question, par exemple les kits sniff. Je pense que ça ne passe pas partout et qu’il y a des gens qui ne comprennent pas le sens. Tu ne peux pas distribuer des kits comme ça d’une manière sauvage. Ça veut dire que le lieu accepte qu’il y ait des gens qui prennent de la drogue chez eux. Je pense que c’est de la prévention et que c’est utile, mais cela reste difficile… Ça peut faire passer quelque chose de malsain. »

Évaluer, participer

Les services proposés par QN semblent bien répondre à un besoin du public. Mais si le label a du sens et qu’il est perçu comme utile, il reste peu connu. Les services manquent de visibilité et un effort doit manifestement être consenti au sein des lieux de sortie pour permettre au public d’y avoir plus facilement accès. Ceci plaide pour une réflexion à mener avec les responsables de lieux de sortie. Véritable plus-value pour ceux-ci, la promotion du label semblerait gagner à être travaillée par les initiateurs de QN en étroite collaboration avec les responsables de ces lieux.

À la lecture des résultats des deux volets de l’évaluation, il semble important d’expliquer et de communiquer par rapport à la démarche de réduction des risques, encore mal connue, et au sens de la mise en place du label à l’attention des utilisateurs.

Une série de suggestions sont également proposées par les personnes interrogées pour la mise en œuvre de nouveaux services: mise à disposition d’alcootests, d’un service BOB, création d’espaces plus calmes dans les lieux de sortie, limitation du niveau sonore, accès gratuit aux toilettes, formation permanente du personnel. Un autre volet des propositions attire aussi l’attention sur les partenariats à nourrir avec d’autres entités concernées par l’environnement de la fête pour ce qui concerne, par exemple, la réflexion à mener quant à la façon de renforcer le sentiment de sécurité aux alentours des lieux de sortie, la collaboration des transports publics (STIB, Noctis) et les sociétés de taxis.

Plus globalement, cette évaluation du projet QN met clairement en lumière l’intérêt d’une concertation de tous les acteurs concernés (fêtards, organisateurs, professionnels de la prévention, pouvoirs publics) pour mettre en œuvre des outils de réduction des risques qui soient perçus par tous comme une réelle plus-value en termes de promotion de la santé et qui s’inscrivent naturellement dans une démarche citoyenne.

Le projet QN bénéficie d’un site où le rapport d’évaluation peut être consulté: www.qualitynights.be