La loi Drogues a bientôt 100 ans, il est temps de la changer !

juillet 2019

Les effets de la politique de prohibition des drogues, vieille de 100 ans, sont désastreux, notamment en matière de santé publique et d’engorgement du système judiciaire et pénitentiaire. #STOP1921 est une campagne de la société civile souhaitant sensibiliser le législateur et l’opinion publique à la nécessité de remettre en question. Petit détour historique afin de comprendre les enjeux actuels en matière de politique des drogues.

AUX ORIGINES DE LA LOI 1921 : LES GUERRES DE L’OPIUM

Fin du XIXe siècle, plusieurs conflits ont lieu entre différentes puissances autour du commerce de l’opium. Les Britanniques exportent alors, de manière illégale, et principalement en Chine, de l’opium en provenance de leurs colonies indiennes. La première Guerre de l’opium oppose la Chine au Royaume-Uni. La seconde voit l’intervention de la France, des États-Unis et de la Russie aux côtés des Anglais. La Chine sort vaincue de ces deux conflits. En 1909, se tient à Shanghaï une conférence sur l’opium :

« Il s’agit, officiellement, de mettre fin aux guerres de l’opium en Chine. Mais les États participant à cette conférence veulent instituer un contrôle de l’offre de drogues et renoncer, pour ce seul espace, au libre commerce. Les raisons avancées font référence à un souci légitime de santé publique en ces temps d’hygiénisme pasteurien triomphant, mais aussi à un souci de moralisation des classes laborieuses.

Derrière ces motifs se profilent des intérêts strictement économiques : à la même époque, en effet, l’industrie pharmaceutique se développe et prend conscience du potentiel financier de la commercialisation de produits dont les usages médicaux sont avérés, en particulier pour les opiacés, dont les vertus anesthésiantes et antalgiques étaient recherchées. Ainsi, en 1898, la firme Bayer commence à produire la diacétylmorphine (nom chimique de l’héroïne), dont la synthèse avait été découverte en 1874. Mais les produits d’origine naturelle sont en libre circulation bloquant le développement économique des opiacés de synthèse à usage médical.

Morale naissante (lutte contre la drogue) et économie florissante (nécessité de construire un marché), s’accordent si bien que ces mêmes États, au bord d’un conflit généralisé et que tout fait diverger, vont se retrouver d’accord pour traduire en norme internationale les premières recommandations qui avaient été formulées à l’issue de la conférence de Shanghai 1» .

C’est donc sur fond d’intérêts économiques, mais aussi d’une vision moralisatrice, qu’a lieu à La Haye, en 1912, la première Conférence internationale de l’opium, qui se clôture par la signature d’un traité. Même si la Belgique ne participe pas à cette conférence, n’ayant aucun intérêt dans ce commerce, elle signe le traité.

La loi de 1921 s’inspire largement de la loi répressive française votée en 1916. Ainsi, elle interdit la facilitation à l’usage de substances illicites, notamment par la mise à disposition d’un local en vue de consommer (art. 3, § 1er): il s’agit alors d’interdire explicitement les fumeries d’opium, qui, en réalité, … n’existent pas dans notre plat pays. Presque 100 ans plus tard, le gouvernement fédéral se réfugie derrière cet article pour empêcher l’ouverture de salles de consommation à moindre risque (SCMR).

D’autres conventions internationales sont signées dans le courant du XXe siècle :

  • Convention de 1961 : interdit les substances stupéfiantes d’origine naturelle telles que l’opium, la coca ou le cannabis.
  • Convention de 1971 : augmente au fur et à mesure la liste de substances interdites (LSD, MDMA, psilocybine, etc.). Autres répercussions sur notre législation nationale : les peines d’emprisonnement sont durcies, les faisant passer de 2 ans à 5 ans, avec un maximum de 20 ans de réclusion (peine identique pour un crime), en cas de circonstances aggravantes (comme la vente à un mineur, l’association de malfaiteurs,…).
  • Convention de 1988 : concerne le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Deux blocs s’affrontent : d’un côté, les pays occidentaux où l’on consomme des substances illicites et, d’un autre côté, les États d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique où l’on produit lesdites substances. Cette convention introduit l’obligation de criminaliser l’usage et la détention de drogues à des fins personnelles.

Ces conventions internationales ne sont pas forcément des freins juridiques, mais principalement des freins politiques. Preuve en est : le Canada a ratifié ces différentes conventions, mais a légalisé le cannabis à usage récréatif en 2018. Précédemment, en 2001, le Portugal a décriminalisé (de manière partielle) la détention et l’usage de petites quantités de drogues (tous produits confondus). Quant à la Belgique, même si son gouvernement fédéral a déclaré en 2014 une tolérance zéro en matière de drogues, et qu’il s’oppose à l’ouverture de salles de consommation à moindre risque, cela n’a pas empêché la ville de Liège d’ouvrir une salle de consommation…

Dépénalisation : diminution de la sanction liée à un comportement qui reste interdit par la loi pénale. Cette diminution peut aller jusqu’au point où plus aucune peine n’existe : c’est la décriminalisation.

 

LA TOLÉRANCE EN MATIÈRE DE CANNABIS : FLUX ET REFLUX

C’est en 2003 que la loi de 1921 est révisée afin de dépénaliser les infractions relatives à la détention de cannabis. Ce régime de tolérance prévoit dorénavant des peines de police² (contravention) pour des infractions de détention de cannabis (3 grammes ou un plant) par un majeur en vue de son usage personnel (sans circonstances aggravantes).
En cas de récidive, les infractions demeurent des délits et sont punies de peines de prison et d’amende. Il s’agit néanmoins d’une avancée en matière de droits, car cette dépénalisation a permis de réduire les peines par rapport à la révision de 1975 ³. La déclaration gouvernementale de 2014 apporte un coup d’arrêt en prônant la tolérance zéro en matière de consommation de drogues dans l’espace public, en ce compris pour le cannabis. Et c’est ainsi qu’un nouvel arrêté royal sera voté en septembre 2017, ouvrant la voie à une « repénalisation » de la détention de cannabis.

2019 : NUL N’EST CENSÉ IGNORER LA LOI ?

La législation n’est pas une matière aisée et nous comprenons que les citoyens soient souvent perdus. Il est particulièrement complexe de fournir une information complète et pertinente quant à la législation en vigueur. Car à côté des lois, il y a aussi des arrêtés royaux et des circulaires, et comprendre ce qui les différencie n’est pas chose aisée. C’est à en perdre son latin…

  • La loi du 24 févier 1921 (révisée à plusieurs reprises)
    Elle définit les infractions relatives aux comportements interdits et les peines leur correspondant. Traduisons : la loi incrimine des comportements tels que la détention, la vente, le transport, l’importation, l’exportation et l’incitation à l’usage, et prévoit des peines d’emprisonnement et d’amende qui sont applicables en cas de violation de la loi.
  • L’arrêté royal du 6 septembre 2017, quant à lui, définit, entre autres, les substances qui sont interdites, dont le cannabis. Selon cet arrêté royal, la détention de cannabis en vue d’usage personnel « dans un établissement pénitentiaire, une institution de protection de la jeunesse ou un établissement scolaire, sur la voie publique ou en tout lieu accessible au public » constitue à nouveau un délit (et non plus une contravention ), punie dorénavant d’un emprisonnement de 3 mois à 1 an et d’une amende de 8000 à 800.000 euros. Quant à l’usage personnel réalisé dans l’enceinte privée, elle est a priori « tolérée » même s’il reste interdit d’en acheter ou d’en transporter. Cherchez la cohérence…
  • Les circulaires ne sont pas des textes contraignants, si ce n’est pour les forces de police et les membres du parquet. Un magistrat du parquet peut dès lors tout à fait s’écarter de celles-ci, à condition de motiver sa décision. La circulaire commune du 21 décembre 2015 (révisée en juin 2018) précise que pour les majeurs qui importent, fabriquent, transportent, acquièrent, cultivent, ou détiennent du cannabis pour usage personnel (sans indice de vente, ni circonstance aggravante), il y a plusieurs cas de figure.

Nous en détaillerons deux :

  • s’il s’agit d’au maximum 3 grammes ou 1 plant et que l’usage est fait sans ostentation 4 sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public, il s’agit de la plus faible priorité des poursuites et un procès-verbal simplifié 5 est dressé ;
  • si ces quantités sont plus élevées, dans les mêmes circonstances, un procès-verbal est dressé et le parquet peut opter pour un classement sans suite, une probation prétorienne, une médiation ou une transaction pénale. En principe, il n’y a pas de poursuites ;

Dans tous les cas, le cannabis est saisi.

INSÉCURITÉ JURIDIQUE ET RECOURS AU CONSEIL D’ÉTAT

Depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 26 septembre 2017 et la révision de la circulaire en juin 2018, il est particulièrement difficile de pouvoir apporter des réponses claires aux personnes désireuses d’en savoir plus sur leurs droits et les risques légaux auxquels elles s’exposent en tant qu’usagères. Juristes et avocats spécialisés s’accordent à dire que la législation actuelle est floue, entraînant l’insécurité juridique. C’est, entre autres, à ce titre que plusieurs associations (Fedito BXL, Modus Vivendi et Infor Drogues) ainsi que deux médecins, ont déposé un recours en annulation au Conseil d’État contre l’arrêté royal publié le 26 septembre 2017 au Moniteur belge. « Alors que l’arrêté est censé clarifier et améliorer le cadre légal existant autour des substances psychotropes, il apporte, selon plusieurs acteurs de terrain, plus d’interrogations que de réponses, ce qui rend leur travail plus difficile. L’absence de consultation et le manque de précision du texte rendent délicate la transmission d’informations, au détriment des professionnels et des consommateurs. De son côté, le législateur n’a pas non plus beaucoup communiqué sur les changements mis en place 6» . Le droit n’est pas une science exacte et reste sujet à interprétation, mais il doit respecter le principe de légalité, à savoir que la loi doit être formulée en des termes suffisamment clairs que pour être comprise de tous. Et si la loi est censée être la même pour tous, sa mise en œuvre, quant à elle, est loin de respecter ce principe (voir interview de Christine Guillain dans ce numéro).

La loi de 1921 pose donc des problématiques diverses et profondes : elle est obsolète et entraîne des effets désastreux tant en termes judiciaires que de santé publique et d’inclusion sociale. Un débat de société est nécessaire, pour une éventuelle abrogation, ou du moins une révision en profondeur. C’est ce que cherche à faire la campagne #STOP1921 : nous ouvrons un débat, nous entamons une campagne et lançons une plateforme citoyenne avec comme objectifs de :

  • Rassembler pour dire non à la criminalisation des consommateurs de drogues ;
  • Concentrer et promouvoir les connaissances sur les effets positifs de la décriminalisation ;
  • Mobiliser les moyens nécessaires pour obtenir la modification de la loi (pétition, manifestation, lobbying, débats publics et dans la presse).

Cette campagne se veut large, pluraliste, diversifiée et progressive. Initiée fin 2016, elle ira crescendo jusqu’à l’apothéose de 2021 (centenaire de la loi), afin que la remise en question de la loi de 1921 s’invite dans le débat public et l’agenda politique jusqu’à devenir incontournable.


1. https://www.cairn.info/revue-multitudes-2011-1-page-60.htm

2. Dans le code pénal belge, il existe trois types d’infraction : les contraventions (punies de peines de police), les délits (punis de peines correctionnelles) et les crimes (punis de peines criminelles). Les contraventions sont les infractions les plus légères, les crimes sont les plus graves.

3. Christine Guillain, La politique pénale du gouvernement arc-en-ciel en matière de drogues, Courrier hebdomadaire du CRISP, 2003/11 (n° 1796), pages 5 à 49 : https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2003-11-page-5.htm

4. Le caractère ostentatoire est une notion floue qui n’est pas définie dans la circulaire, ce qui laisse la porte ouverte à l’interprétation et à l’arbitraire.

5. La différence entre un procès-verbal simplifié (PVS) et un procès-verbal ordinaire (PVO) réside dans la procédure de traitement. Le PVS n’est pas envoyé au parquet. Cela dit, mensuellement, la liste des PVS est envoyée au parquet, qui peut demander d’en recevoir certains.

6. https://infordrogues.be/arrete-royal-26-septembre-2017-recours-conseil-etat/