Gestion du tabagisme en temps de confinement

octobre 2020

Enquête

Un certain contexte 

Le contexte résultant de l’épidémie du coronavirus a induit nombre de changements dans les habitudes de vie, certains augmentant les facteurs de risque du point de vue de la santé mentale et des assuétudes, notamment pour les personnes déjà fragilisées.

En ce qui concerne le tabagisme, on connaît les principales causes qui entraînent en général la rechute ou une hausse de la consommation. La cigarette est tantôt perçue comme la fidèle compagne venant combler le vide, l’ennui, la solitude, tantôt comme celle qui semble apporter un réconfort en réponse à un état de stress, ou encore une parenthèse vécue comme nécessaire par rapport à un sentiment d’oppression, de trop-plein. Enfin, sa consommation est parfois renforcée en synergie avec d’autres produits tels l’alcool ou le cannabis. Vide, solitude, ennui, stress, oppression, trop-plein, dépendances croisées,  polyconsommation, autant d’expériences ou de ressentis qui se sont souvent trouvés exacerbés en ces temps de confinement, de restriction des libertés individuelles, de perte de repères et de crainte de la maladie. Et les ressources qui pouvaient être requises habituellement étaient parfois moins accessibles.

Tout professionnel de la santé ou du social suivant des personnes souffrant d’assuétudes sait qu’il s’agit d’être concurrentiel par rapport au produit en s’investissant pleinement, en prenant la balle au bond, en étant créatif, en co-construisant avec le patient des solutions, en le confortant dans la recherche d’alternatives et de motivation au changement. Or, même dans un contexte idéal, cela n’est pas gagné d’avance car le produit offre toujours une réponse plus rapide, plus facile, plus familière… Et ce jeu de concurrence se double alors pour l’accompagnant d’une exploration de l’ambivalence de la personne avec la tentative de la soutenir dans la résolution de celle-ci. Que le  « oui, mais… » bascule vers une prise de décision, que le plateau de la balance penche du côté d’une mise à distance de la consommation vécue comme problématique, penche du côté d’un chemin vers le changement au bénéfice de ce que la personne aura identifié et intégré comme étant pour elle-même un mieux-être…

Dans le contexte de la Covid, tout ce processus a donc été rendu d’autant plus complexe. Comme d’autres, les professionnels de première ou de deuxième ligne abordant la question du tabagisme ont été amenés à repenser leurs pratiques ou à prendre de nouvelles initiatives : ainsi, par exemple, un certain nombre de tabacologues ont proposé un accompagnement à distance complémentairement à la ligne d’aide et de conseil Tabacstop. Au niveau du Service Prévention Tabac du Fares, nous avons essayé de potentialiser davantage la communication en ligne notamment via le site « Aide aux fumeurs », avec des articles d’actualité, des informations dans une optique de sensibilisation et de prévention, des conseils de réduction des risques et de gestion du tabagisme, des propositions de ressources et d’alternatives telles que la pleine conscience, des exercices de cohérence cardiaque, etc. Il s’est agi d’aider autant que possible le fumeur à redéployer ses compétences psychosociales en fonction de la situation et de ce qui était à sa disposition. Cependant, nous sommes conscients que cette stratégie, à elle seule, a sans doute laissé toute une série de personnes « sur le carreau », la fracture numérique étant directement liée à la fracture sociale…

Une enquête réalisée par le Service d’étude et de prévention du tabagisme (SEPT asbl1) via mailings et le réseau social Facebook (du 3 au 20 avril 2020 – 356 répondants représentés entre autres par des fumeurs, ex-fumeurs, vapoteurs et abstinents), a permis pour sa part de dresser un état des lieux de l’impact du confinement sur la consommation de tabac. Et les hypothèses qui s’en dégagent apportent un éclairage intéressant sur cette problématique. D’abord, sans surprise, il est à noter que la catégorie la plus représentée est associée à une hausse de la consommation de tabac (36,6% des répondants).

Par contre, apparaît également un phénomène de diminution (16,4%) ou d’arrêt de la consommation (15,1%). 30,4% des répondants sont demeurés quant à eux dans un statut quo par rapport à leur situation d’avant le confinement. Cela fait dès lors au total deux tiers des répondants pour lesquels un changement de comportement tabagique est observable dans le contexte du confinement. Enfin, il est tout à fait interpellant de constater que près de 40% des personnes ayant augmenté leur consommation tabagique se trouvaient paradoxalement dans de bonnes dispositions pour ce qui est de la perspective d’un arrêt avant la Covid tandis que près de 40% des personnes ayant arrêté le tabac durant la même période n’étaient avant le confinement que moyennement motivées (score de 5/10) par un changement de comportement. Il n’y a donc manifestement dans le cas de ces personnes pas de corrélation forte entre motivation/désir et changement. Et l’on peut dès lors supposer que c’est le contexte lui-même, plus qu’une motivation ou non-motivation préexistante, qui a pesé sur une modification de la relation de ces individus à leur consommation tabagique.

À la lumière de ceci, s’il ne faut certes pas mettre de côté le processus motivationnel (lequel a quand même joué pour la majorité des répondants), il s’agit par ailleurs de rester attentif à l’impact du contexte sur les assuétudes – tantôt il sera protecteur tantôt fragilisant, sachant qu’un même contexte peut être vécu de manière radicalement différente par l’une ou l’autre personne. Ainsi, notamment dans le cadre d’un accompagnement tabacologique, tenir compte du contexte du patient, voire l’aider à agir sur celui-ci, peut grandement favoriser la démarche d’aide à l’arrêt.

Le cas de la cigarette électronique

Un autre sujet de réflexion que les circonstances ont mis en avant concerne la cigarette électronique. Dès le début des mesures de confinement, le Fédéral a décidé de ne pas considérer les boutiques d’e-cigarettes comme commerces essentiels – lesquelles ont donc dû fermer leurs portes – ni non plus, ce qui aurait pourtant permis de compenser cette décision, de revenir provisoirement sur l’interdiction légale de la vente en ligne de ce type de produits. Dès lors, les vapoteurs n’ont plus eu d’autre choix que de se tourner vers certaines librairies et différents supermarchés proposant eux aussi une gamme de produits électroniques, mais une gamme cependant moins large, avec des dispositifs dans une certaine mesure moins efficaces en regard d’une démarche de sevrage ou de réduction des risques (cigarettes électroniques de génération, qualité des liquides, etc.).

Tout cela fait craindre qu’il y ait eu un retour vers le tabagisme classique pour nombre de vapoteurs soit parce qu’ils ne trouvaient plus un lieu d’approvisionnement pour ce qui est des recharges et autres accessoires pour leur cigarette électronique soit parce qu’ils n’avaient plus accès à leurs produits de prédilection…

Cette décision du Fédéral peut donc nous interpeller, sachant que la cigarette électronique est susceptible d’être utilisée comme outil d’aide au sevrage tabagique – en troisième intention après les substituts nicotiniques et les aides médicamenteuses, ou d’offrir en tout cas une réduction des risques par rapport au tabac étant donné qu’elle fonctionne sans combustion et n’émet donc ni goudrons ni monoxyde de carbone (CO) mais aussi qu’on ne trouve pas plus de quatre substances dans la composition du e-liquide.

Est-ce la conséquence du statut ambigu de la cigarette électronique dans la mesure où elle est aussi susceptible de jouer le rôle de porte d’entrée vers le tabagisme classique pour certains consommateurs, notamment les jeunes ? Ou du fait que sa toxicité est encore difficile à évaluer avec certitude à ce jour car un manque de recul demeure du point de vue des études dont les plus anciennes remontent à 2009 ? Ou encore en raison du manque de considération pour la notion de réduction des risques à laquelle, on l’a dit, elle peut pourtant être associée ?

Quoi qu’il en soit, en termes de prévention, de réduction des risques et d’aide à l’arrêt, il ne sera sans doute pas inutile de poursuivre le débat autour de l’e-cigarette et peut-être d’envisager les choses autrement s’il advenait dans un temps proche ou lointain que les commerces ferment à nouveau leurs portes. Quant à la communication des professionnels à l’attention des vapoteurs, dans le cas où leurs produits devenaient à nouveau plus difficilement accessibles et afin d’éviter un retour au tabagisme classique, l’idée serait
qu’elle s’oriente alors également vers des alternatives telles que l’accompagnement par un tabacologue, les substituts nicotiniques, les aides médicamenteuses sur prescription du médecin, l’hypnose, la pleine conscience, mais aussi toute activité ou comportement perçu par la personne comme positif et soutenant dans son quotidien. La liste est longue en réalité… Et cette voie s’applique bien sûr également, nous l’avons dit, au fumeur, lequel est potentiellement à tout moment de son parcours tabagique susceptible de s’inscrire dans une perspective de changement…

Comment trouver un tabacologue disponible en cette période ?

Retrouvez l’ensemble des tabacologues reconnus sur le site www.tabacologues.be

Pour connaitre les tabacologues disponibles à distance et leurs modalités de contact, sélectionnez « Covid19 : consultations par téléphone/vidéo » dans l’onglet « consultations ».

Enfin, la ligne Tabacstop reste bien entendu disponible gratuitement du lundi au vendredi de 15 à 19h au 0800 111 00 pour répondre à vos questions et vous épauler dans votre cheminement vers un arrêt !

  1. Service d’étude et de prévention du Tabagisme (SEPT asbl) : https://www.sept.be/– L’enquête évoquée sera publiée prochainement sur le site du SEPT.