En voilà une journée qui a du chien!

juillet 2016

Dans un coin de la salle des Arches, discret mais bien visible, Paul Hermant observe et prend note… percutant ici sur les interventions colorées des uns et des autres.

« Y a trop de questions qu’on se pose et peu de solutions qu’on propose », c’était le slam du matin, c’était l’abbé 7, et pour nous convaincre que les propositions tout de même ça existe, on s’est donc tous mis d’accord silencieusement pour éviter le ronronnement unanimiste ou le brouhaha d’un débat pugilat, on allait donc se lancer dans de l’innovation, dans du participatif, dans de l’intelligence collective. On allait voir ce qu’on allait voir.

Ah ça, la première invention de la journée, c’était quand même les mange-debout assis. « Prenez des chaises » a insisté David Lallemand. « Rassemblez- vous, rassemblons-nous ». Nous nous sommes donc rassemblés, assis, autour des mange-debout. Seuls quelques éternels rebelles et rétifs sont restés debout (sans manger) pour ce que Juliette Béghin a appelé « un temps d’arrêt ». Ce qu’elle n’avait pas précisé, c’est que ce temps d’arrêt, nous le prendrions avec la police.

Bon, concernant la police, vous aurez donc remarqué qu’il existe deux sortes de policiers : le policier sans visage et le policier avec visage. Le policier « avec » visage effectue deux interventions dans les écoles durant sa carrière, le policier « sans » visage, 200 — soit un facteur multiplicateur impressionnant. Méfions-nous donc des policiers sans visage, ils sont d’une efficacité redoutable et mènent ce que l’on appelait chez les Romains et Goscinny une guerre psychologique : « ça ne résout rien, mais ça impressionne et ça rassure ». Et le chien renifleur là-dedans joue un rôle prépondérant parce que, évidemment, comme chacun sait : « un chien c’est un chien ». « On va quand même pas prendre un hamster ». Juste. Les hamsters sont mauvais en guerre psychologique, tout le monde sait ça.

Tout ça, voyez-vous, m’a fait penser aux souffleurs de feuilles. Vous savez bien, lorsque l’automne arrive, on voit sur les trottoirs et dans les allées des parcs publics, des ouvriers munis d’une sorte de tuyau — un petit canon en vérité — qui fait du vent afin de regrouper des feuilles qui s’empressent cependant de se disperser une fois que l’ouvrier a le dos tourné. Ça fait du bruit, beaucoup de bruit : la propreté publique coûte du bruit commun. Le jardinier philosophe Gilles Clément prétend que cet appareil bruyant — qui remplace le râteau ou le balai qui sont des outils silencieux — a précisément cette fonction-là : faire du bruit afin de faire entendre à chacun et à tous que l’institution publique veille et que le gouvernement gouverne. À part ça, aucun intérêt. Et je me disais que c’était la même chose avec ces interventions policières et canines : ça fait du vent pour dissiper la fumée… À part ça…

« La peur produit le silence » a dit quelqu’un tout à l’heure. L’idée du vacarme serait-elle alors, par anti- thèse, d’installer de la confiance ? Mais non, parce que tout ce qu’on obtient c’est qu’à la fin, on n’a justement plus confiance dans les chiens ni dans la police et son monopole de la contrainte, a dit Anne d’Alcantara. Et peut-être est-ce comme ça qu’il faut comprendre les descentes de police, comme une descente de confiance dans la police. Et dans l’école aussi, a-t-on ajouté tout à l’heure chez Infor-Drogues: les dégâts collatéraux atteignant le sanctuaire scolaire, s’agirait-il alors de prendre la question à l’envers et que « joint du matin, chagrin; pétard du soir, espoir »?


Parce que, après tout, l’école a-t-on dit, a 50 ans de retard, elle ne comprend même plus que la fumette n’est plus rebelle, mais que ça fait peut-être bien partie de ces immédiatetés que réclame et promeut la société. On ne va tout de même pas s’étonner des libéralités d’une société libérale ? Si?

Bien entendu, afin de préserver l’exercice libre des libéralités, une société libérale doit aussi sanctionner les libertés, de sorte que l’on est passé rapidement, dans cette salle, de la police à la prison : l’école est- elle une prison et si oui, qui sont les matons ? Bernard Boon-Falleur a dit que pénétrer dans une école était aussi compliqué que d’entrer dans une prison quand on n’y est pas invité. La part entre la prison et la norme est mince, comme on l’aura compris.

Car voilà, la norme enferme et formate et comme le disait cette jeune élève s’interrogeant sur son avenir:

« Tu ne vas tout de même pas dire « casse-toi » à un patron qui est au-dessus de toi », non quoi… Heureusement dans sa grande sagesse, Jah, le dieu du reggae a inventé les rastas. Le formatage, c’est « quand on t’habitue à t’habituer » lui a répondu un jeune homme aux accents jamaïcains. Et quelqu’un dans la salle, pourtant sans dreadlocks, a surenchéri en disant plus ou moins: « une école qui fonctionne, c’est pas simplement une école sans chiens »…

Non, d’accord, mais une école qui fonctionne, c’est peut-être bien, a dit Isy Pelc, une école avec une chouette. « Une chouette heure », a-t-il expliqué, mise sur pied malgré un ping-pong institutionnel perdu 0-21 mais mise sur pied malgré tout. Une heure dégagée malgré donc la volonté des Pouvoirs Publics, comme on l’aura compris, au moment précisément où ceux-ci s’interrogent sur la manière de remplir ce que l’on appelle l’« heure de rien »… Ça, ça pourrait être chouette… « Ça éviterait la guerre de tous contre tous » a plus ou moins dit Frédéric. « Ça invente des solidarités inattendues » a-t-on compris aussi, les élèves faisant en quelque sorte la police contre le chahut dans leur bahut. Permettez-moi, mais ça au moins c’est une idée qui a du chien !

« Bouger les normes ne détrône pas les enseignants » a ajouté quelqu’un. « Bouger les normes », c’est peut-être se dire aussi que l’école, ne sert sans doute pas qu’à transmettre des savoirs, mais sans doute aussi à renforcer le pouvoir. « Le pouvoir devenir », c’est-à-dire, comme a précisé Dominique Paquot, faire en sorte que les élèves deviennent des acteurs et que toutes les intelligences soient convoquées. Bernard Boon Falleur a parlé quant à lui d’une école « lieu de vie, ouverte de sept heures du matin à six heures du soir », mais où pour autant, on ne serait pas vissé sur sa chaise H24, comme disait Julian dans la capsule vidéo.

Le modèle coopératif, la coopération contre la com- pétition, Kropotkine plutôt que Darwin, ça demande autre chose que ce que proposait Pascal de Ligny, de « Réussir 2.0 » et sa victoire des élites… Avec d’un côté – puisque tout le monde ne peut pas réussir et qu’il n’y a pas d’emploi pour tout le monde – d’un côté les chômeurs et de l’autre ceux qui génèrent le chômage et qui gèrent les chômeurs. Pardonnez-moi, Monsieur de Ligny, de m’adresser à vous personnellement, mais c’est vous qui êtes « obsolète », c’est votre manière de penser l’éducation qui nous mène dans ces impasses. Ce que vous avez dit était telle- ment outré, Monsieur, qu’on aurait dit un comédien interprétant un texte écrit par David et moi. Ah bon, vous êtes comédien ? Et le texte a été effectivement écrit par David et moi? Et personne, pas même Bernard et Juliette, n’était vraiment au courant ? Ah bravo, Monsieur, vous nous avez bien eus ! Et vous ne vous appelez pas Pascal de Ligny mais Gaël Soudron ? Et vous faites du théâtre en milieux défavorisé ? Encore mieux ! Décidément !

Mais voyez-vous, si cela nous réjouit, David et moi, que personne ici, si j’ose, ne vous a reniflé, ce qui nous attriste, c’est que c’est sans doute le signe que le monde que vous nous avez proposé n’est pas si loin, qu’il n’est pas inimaginable et qu’il est même pensable puisque, en effet il est pensé. Et que, probablement, l’on va même rapidement s’habituer à s’y habituer. « Y a trop de question qu’on pose et peu de solutions qu’on propose » disait le slam du matin. Et maintenant, bien sûr, puisque l’on sait que « Slam du matin, chagrin ; slam du soir, espoir », hé bien, pour s’habituer à ne pas s’habituer, la prochaine fois, promis, on ira jusqu’à la nuit !

« Il faudrait que les profs ne soient pas trop sévères ou stricts mais surtout qu’ils soient justes, compréhensibles et compréhensifs. »

Extrait de la capsule « Pourquoi le jeune se drogue-t-il ? »